Parfois une évidence crève les yeux et on ne la voit pas. Depuis deux décennies que je fréquente les festivals et salons littéraires, c’est à Paris que je m’étais habitué à rencontrer mes confrères africains.
Je me souviens d’un déjeuner avenue Marceau avec l’écrivain camerounais Mongo Beti dont l’élégance vestimentaire me frappa, moi qui ai tendance à me vêtir comme l’as de pique. Après une discussion de haute volée sur les mérites comparés d’Aragon et de Breton, l’agrégé de lettres classiques m’apprit, au dessert, à faire un nœud de cravate Windsor, ce qui me sert encor(e).
Je me souviens d’un canular que nous fîmes, l’Algérien Azouz Begag et moi, en nous faisant passer l’un pour l’autre dans un lycée de Montrouge: même âge, même taille, même diplôme, les élèves n’y virent que du feu. Moi Kabyle d’un jour et lui Doukkali de rencontre, nous prouvâmes qu’il n’y a pas grande différence entre nos deux peuples, séparés – hélas– par des crispations dont on espère qu’elles s’estomperont un jour.
Je me souviens du talentueux Alain Mabanckou, enfant du Congo, qui s’étrangla de rire dans un restaurant pakistanais de la rue Saint-Jacques quand je lui racontai la blague du chameau et du hérisson –et qui m’amusa grandement, à son tour, en faisant croire à l’accorte serveuse qu’il était sultan de Zanzibar –nous eûmes droit à un dessert gratuit, une sorte de riz au lait rose.
Je me souviens d’une danse impromptue au Salon du livre, porte de Versailles, avec la virevoltante Fatou Diome, femme de lettres sénégalaise –danse qui se termina dans une grande confusion quand je me pris les pieds dans la moquette et m’étalai de tout mon long sous le regard effaré d’Amélie Nothomb qui passait par là, sous un chapeau de sorcière.
Bref, il me semblait tout à fait naturel de rencontrer tous ces confrères à l’ombre de la tour Eiffel ou dans les salons de l’Hôtel de Ville parisien.
Comme je me trompais.
Je m’en rendis compte le weekend dernier à l’occasion du FLAM, le Festival du Livre Africain de Marrakech. Cette charmante petite ville ocre présente l’avantage d’être située non loin de Benguerir, le centre du monde. Accessoirement, on y trouve une population affable, une poignée d’hôtels très chics et quelques restaurants accueillants où le pèlerin affamé trouve de quoi se sustenter.
C’est là que je croisai des auteurs venus de toute l’Afrique: le Mauricien Le Clézio, prix Nobel; la Congolaise Annie Lulu (qui m’apprit que la fameuse Frida Kahlo était d’origine tzigane (ne me dites pas que vous le saviez)); le Togolais Sami Tchak, qui m’apprit ce dicton: «Quand le sujet est trop vaste, on peut dire n’importe quoi»; la fine Jennifer Richard qui me montra, au petit déjeuner, comment utiliser ma fourchette sans que ses crissements ne réveillent tous les chats des environs; la Sénégalaise Ken Bugul, qui me fit mourir de rire –c’est mon fantôme qui écrit ce texte; et bien d’autres.
Bref, mes yeux s’ouvrirent. Il n’est nul besoin d’aller à Paris, Londres ou New York pour rencontrer nos pairs africains. Nous partageons le même continent. La Mauritanie, c’est à côté; le Sénégal, c’est juste là (geste); le Gabon, le Cameroun, un peu plus loin; les deux Congo, il suffit de traverser quelques rivières.
Je lance donc un appel à toutes les institutions de notre beau pays, à tous les mécènes, à notre sympathique ministre de la Culture: soutenez les prochaines éditions du FLAM! La première a été montée par trois mousquetaires enthousiastes; il faut prendre la relève. Marrakech finira bien par être proclamée capitale de l’Afrique –ce qui ne serait que justice eu égard à son passé et au melting pot qui constitue sa joviale population.
PS: Le correcteur me fait remarquer que les trois mousquetaires de Dumas étaient quatre. Mais c’est bien ce que je dis, camarade, c’est bien ce que je dis: ils sont quatre à organiser le FLAM.