Ferhat Abbès, président du G.P.R.A., après avoir reconnu le problème territorial posé par la délimitation et imposé arbitrairement par la France, déclare que «ce problème trouvera sa solution dans des négociations algéro-marocaines» (Fonds Afrique-Levant, Maroc 1962-1968, 24QO/991). Il va jusqu’à proposer en 1961 la création d’une commission mixte pour y remédier. Parallèlement, le G.P.R.A. réaffirme que «les accords qui pourraient intervenir à la suite des négociations franco-algériennes ne sauraient être opposables au Maroc quant aux délimitations algéro-marocaines» (Fonds Afrique-Levant, Maroc 1962-1968, 24QO/991).
Pourtant, une fois le G.P.R.A. liquidé et le complot contre les résistants et moudjahidines mené à terme par Houari Boumediene, celui-ci, chef de file du FLN des frontières à l’époque, adoptera une attitude diamétralement opposée, voire traître.
Le point d’achoppement: le traité du 6 juillet 1961 et les accords d’Évian
Un indice annonciateur de ce revirement se trouve peut-être dans une note de 1963, qui rapporte que «le communiqué Maroc-FLN du 7 juillet 1961, avait indiqué que les deux parties considéraient que les problèmes de délimitation territoriale entre le Maroc et l’Algérie les concernaient seuls et ne pouvaient être réglés qu’entre les deux États et en dehors de toute prétention ou ingérence étrangère» (Direction Politique, Afrique du Nord, 31 octobre 1963, Fonds Afrique-Levant, Maroc 1962-1968, 24QO/991). Cependant, l’auteur anonyme de cette même note évoque un engagement franco-algérien sur la non-implication du Maroc dans la délimitation des frontières: «De même, était-il prévu que tout accord entre l’Algérie et la France lors de l’accession de l’Algérie à l’indépendance ne pourrait lier le Maroc, en ce qui concerne la question des délimitations frontalières».
La messe est dite: il n’y avait qu’un pas entre le colonialisme et le nationalisme algérien.
Ainsi, l’ALN commandée par Boumediene a réduit au silence le G.P.R.A. et entamé l’exécution d’un projet colonial datant de 1890 visant à mettre le Maroc dans l’orbite de la colonie algérienne. De 1962 à 1975, l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, tout comme le projet de faire tomber le régime politique marocain, ont été les armes utilisées par Boumediene au nom de l’autodétermination et du soutien aux peuples aspirant à l’indépendance, ou plutôt à la réalisation des rêves des putschistes en Algérie.
L’Algérie n’a pas retenu la leçon de la Guerre des sables et l’ambassadeur français à Rabat, Pierre de Leusse, n’a pas manqué de rappeler dans un rapport très secret adressé au ministre des Affaires étrangères, le 2 décembre 1963, le mauvais calcul de nos voisins: «Cet éloge rendu aux Forces armées royales n’est pas infondé. Les succès qu’elles ont remportés au cours des opérations qui les ont opposés à l’ANP, trouvent en effet leur justification dans une organisation de type conventionnel, plus efficace, dans ce genre de conflit, que celles des troupes algériennes… où la responsabilité de l’ouverture du feu doit incontestablement être amputée à l’initiative algérienne.» (La Courneuve, Fonds Afrique-Levant, Maroc 1962-1968, 24QO/992). Il faut encore une fois souligner et rappeler que c’est l’Algérie qui a agressé le Maroc lors de la Guerre des sables et non pas l’inverse, comme s’évertue à le propager la propagande algérienne.
L’usage des territoires marocains ayant servi à la libération de l’Algérie et leur annexion en 1962-1963
Le complot algérien contre l’intégrité territoriale du Maroc s’est manifesté bien avant la signature du traité du 6 juillet 1961, bien que son application ait coïncidé avec celle des accords d’Évian et l’annonce de l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet 1962.
Deux anciens combattants au service de Boumediene depuis le Maroc, à savoir Slimane et Ahmed Bencherif, ont amorcé la réalisation de ce projet dès leur installation à El Mahbes. Ils y ont noué des contacts avec des colonels espagnols afin de freiner l’élan de l’armée marocaine dans sa lutte pour la libération des régions sahariennes. Ahmed Bencherif, un ancien de l’armée française qu’il avait quittée en 1957 — la même année que sa visite à El Mahbes— illustre parfaitement cette dynamique. Le passé colonial de ces élites militaires, comme celui de Bencherif et d’autres officiers fidèles au FLN sous la direction de Boumediene, n’a fait que reproduire l’expansionnisme français.
Chargé des frontières entre 1957 et 1960, Bencherif a été l’un des piliers de cette stratégie. Une note française, rédigée à la suite de la Guerre des sables le 21 octobre 1963, rapporte: «Les Algériens considèrent comme leur frontière occidentale la ligne qu’occupait en fait l’armée française à l’époque des accords d’Évian.» (Note de quatre pages datant du 31 octobre 1963, Fonds Afrique-Levant, Maroc 1962-1968, 24QO/992) L’objectif de l’Algérie en déclenchant la guerre était d’annuler les droits du Maroc sur la frontière de 1956 et d’imposer non seulement la ligne de fait de 1957, mais aussi la ligne opérationnelle adoptée en 1958 par la France en guise de représailles contre le soutien militaire marocain à la «révolution algérienne».
Cette réalité, qui fut révélée avant même le déclenchement de la guerre, est corroborée par une déclaration de l’ambassadeur français en date du 1er février 1963: «Selon un autre renseignement en provenance d’Algérie, le bataillon de l’A.L.N. de Tindouf récemment renforcé de deux compagnies a augmenté ses effectifs d’Hassi-El-Mounir et d’Oum-el-Achar. Ces deux informations qui sont de sources à protéger laissent une fois de plus penser (mon télégramme N° 3232/62) que les responsables algériens entendent adopter comme frontière dans la région du Drâa non pas la ligne Trinquet qui servait autrefois de limite administrative entre les deux pays, mais la limite opérationnelle que nous avons fixée à partir de 1957». (Ambassade de France, Rabat le 1er février 1963, Service de la liaison de l’Algérie, La Courneuve, Carton 49)
L’historien Mohamed Harbi confirme que le projet expansionniste algérien était déjà en marche avant la Guerre des sables. Il souligne que les liens noués entre l’ALN et les Espagnols à Mahbes en 1957 ont perduré. En 1962, Ahmed Bencherif, devenu colonel de l’ALN, puis futur chef de la gendarmerie algérienne (1962-1971) et ministre de l’Hydraulique et de l’Environnement (1977-1979), s’est rendu à Mahbes. Son objectif n’était pas de défendre l’intégrité territoriale de l’Algérie, mais d’entraver les avancées de l’Armée de libération marocaine vers le Sahara dit espagnol (cité par Mohamed Harbi dans «FLN entre mirages et réalités», éd. Syllepse, 2024, p. 273).
Un rapport signé par l’ambassadeur français à Rabat, Pierre de Leusse, le 4 octobre 1962, va dans le même sens: «Le commandant Bencherif s’est rendu à Mahbes, où il s’est entretenu pendant plusieurs heures avec un colonel espagnol. Il est à noter que le ministre de la Guerre espagnol doit inspecter incessamment la garnison de Mahbes.» » (Fonds Afrique-Levant, Maroc 1962-1968, 24QO/991)
La note de 1963, citée ci-dessus et rédigée en pleine Guerre des sables, met en lumière cette réalité coloniale reprise par l’ALN, tout en apportant des arguments en faveur des revendications marocaines: «Les Marocains ne manquent pas d’arguments juridiques en dehors des traditions historiques invoquées par les irrédentismes pour soutenir leurs revendications, non seulement sur la zone d’Hassi Beida-Tinjoub, mais sur Tindouf lui-même. Une instance internationale qui dénierait toute valeur aux différents accords franco-marocains ou hispano-français et déciderait de s’en tenir aux usages, pourrait difficilement choisir parmi ceux-ci le plus récent (la ligne opérationnelle 58 (1958)).» (Note de quatre pages datant du 31 octobre 1963, Fonds Afrique-Levant, Maroc 1962-1968, 24QO/992)
La France elle-même reconnaît l’illégalité de l’adoption de cette ligne de frontière par ses propres autorités en 1958, puis par l’Algérie en 1963.
Il s’agit donc d’une agression caractérisée, que ni l’OUA ni l’ONU n’ont prise en compte à l’époque des faits, ni même jusqu’à nos jours. La même note rappelle: «La convention franco-espagnole du 27 novembre 1912 stipule d’autre part que les régions marocaines situées au nord et à l’est de ce qui est devenu le Rio de Oro et la province de Tarfaya restent sous l’influence française. Les négociations semblent donc reconnaître le caractère marocain de Tindouf». Cette dernière phrase, contenue dans le rapport, aurait été supprimée par l’Élysée, comme en témoigne l’archive:
De la spoliation territoriale aux menaces proférées envers la Monarchie
Le complot militaro-politique amorcé depuis 1962-1963 trouvera des jours meilleurs dans les desseins de Boumediene après la crise liée au Sahara marocain et à la débâcle de la bataille d’Amgala, considérée comme une agression marocaine contre une intervention humanitaire au profit des séquestrés sahraouis. Le nombre élevé d’officiers, dont l’actuel chef d’état-major Saïd Chengriha, et les soldats algériens arrêtés témoignaient de l’engagement militaire direct de l’armée algérienne dans le conflit du Sahara.
En 1976, on peut lire ceci dans une correspondance entre le diplomate américain M. Atherton et M. de Courcel, des Affaires étrangères françaises: «Le Président Boumediene ne veut qu’une chose: la chute du Roi du Maroc, oubliant que, quel que soit le gouvernement en place à Rabat, il ne saurait renoncer au Sahara. Ceci dit, il n’a pas fermé toutes les portes» (Sous-Direction d’Afrique du Nord, Entretien de Courcel avec M. Atherton, Paris, 5 mars 1976, Archives La Courneuve, Carton 945). Selon la même source, l’ambassadeur américain à Rabat conclut à la même date: «À Alger, l’idée essentielle à retenir des entretiens avec le Président Boumediene était qu’à travers la crise du Sahara, le Président algérien avouait viser essentiellement la chute du régime marocain».
L’ambassadeur de France à Alger reconnaît que les responsables algériens utilisent sans scrupule «tous les moyens de pression dont ils disposent pour exploiter dans le sens de leurs exigences la politique intérieure des pays fragiles» (De Commines, Alger, 1er mars 1976, Archives La Courneuve, Carton 945).
N’y a-t-il pas là un indice fort témoignant de la continuité de cette même politique menée par l’Algérie, aussi bien au sein de l’OUA qu’aujourd’hui vis-à-vis de la Tunisie, qualifiée de «Petite Tunisie» lors de la Conférence du Caire en 1974, dans le débat qui opposait les deux pays sur une question frontalière?
Les lieux de mémoire/miroir d’un lieu de crimes
La fuite en avant a poussé l’Algérie, soucieuse de ses pseudo-appuis africains, à transiter par Addis-Abeba, Bamako, Le Caire et Tanger pour tenter de dissimuler ses implications dans le déclenchement de la Guerre des sables en 1963. Le mirage de l’unité maghrébine, qui a servi à l’accord du 6 juillet 1961 et aux accords d’Évian, a été à nouveau réutilisé. La suite est connue: l’Algérie s’est braquée sur la question des frontières sous le slogan de l’amitié et du bon voisinage. Les traités de 1969 à Ifrane, de 1970 à Tlemcen et surtout celui de 1972 lui ont donné un nouvel élan pour aller se brûler dans les sables du Sahara marocain.
Voici le parcours et la généalogie des faux-semblants de la politique «progressiste» algérienne. La posture de sainteté et de loyauté marocaine ne saurait à nouveau se laisser leurrer face à une diplomatie qui défend le principe de l’autodétermination partout ailleurs sauf dans l’empire colonial hérité par l’Algérie néocoloniale. Car tout cela n’est ni «révolutionnaire» ni «national». Le tandem colonisation/décolonisation n’est plus opérationnel et la pseudo-dernière colonie en Afrique est en réalité l’ultime cartouche du projet expansionniste algérien visant l’accès à l’Atlantique.