«On peut commencer la guerre quand on veut, mais on ne la finit pas de même». La phrase est d’un certain Nicolas Machiavel et elle date d’il y a cinq siècles déjà. Elle s’applique néanmoins avec une stupéfiante acuité à l’Algérie du XXIème siècle qui excelle dans l’art d’ouvrir des fronts, non seulement sans jamais arriver à ses fins, mais également sans la capacité, même en se couchant, de les refermer. Le scandale, le dernier en date mais sûrement pas l’ultime, de l’affaire Amir DZ en est la parfaite illustration.
Le régime d’Alger a beau courber l’échine dans son bras de fer avec la France, huit mois après l’éclatement d’une crise sans précédent entre les deux pays à cause de la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, rien n’y fait. La justice française n’en a que faire. Mercredi 9 avril dernier, le quotidien Le Parisien révélait ainsi qu’au moins trois suspects avaient été placés en garde à vue la veille mardi par la brigade criminelle et la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) dans la sombre affaire d’enlèvement du célèbre influenceur et opposant algérien réfugié en France, Amir Boukhors, dit Amir DZ. Ceci, pour arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire en relation avec une entreprise terroriste, selon le Parquet national antiterroriste (Pnat) français. S’y ajoute «association de malfaiteurs terroriste criminelle». Mis en examen vendredi, les concernés ont été placés en détention.
Faux diplomate, vrai barbouze
Le plus croustillant, c’est que dans le lot se trouve un agent algérien opérant sous couvert de diplomate en exercice sur le sol français. Conclusion: l’enlèvement, et même un projet d’assassinat selon Le Parisien, du blogueur a été commandité par les services secrets du régime d’Alger. Il n’en fallait pas plus pour que le début de réconciliation entre les deux pays, sur la base d’un renoncement pur et simple du voisin, explose en plein vol.
Lire aussi : L’Algérie accepte la reconnaissance par la France de la marocanité du Sahara
Alors que le régime a sacrifié tant «son» Sahara que son «nif» (orgueil) dans le processus, il se voit ainsi ramené à la case départ. Aujourd’hui, il s’agite… de façon hystérique. Hier samedi, il a convoqué, pour la cinquième fois depuis décembre dernier, l’ambassadeur de France à Alger, Stéphane Romatet, pour… «exprimer sa vive protestation» contre la mise en détention du «diplomate».
Lire aussi : L’Algérie sort de son silence après l’arrestation en France de son agent consulaire
On remarquera jusqu’ici le silence gêné du régime d’Alger, dont la diplomatie aura réagi quatre jours après les faits. Ainsi donc, pour celle-ci, «ce nouveau développement inadmissible et inqualifiable causera un grand dommage aux relations algéro-françaises». Ne pouvant s’en empêcher, le régime militaro-policier jure par tous les saints ne pas «laisser cette situation sans conséquences». Dont acte. Le reste, un véritable vaudeville et du verbiage pioché dans un vieux dictionnaire voulant que «l’argumentaire» des autorités françaises soit «vermoulu et farfelu» et que l’affaire soit une «cabale judiciaire inadmissible» se servant du «voyou» et «énergumène» Amir Boukhors. Là encore, la diplomatie algérienne tord le cou au droit en dénonçant une arrestation du faux diplomate «sans notification par le canal diplomatique et en flagrante contravention aux immunités et privilèges rattachés à ses fonctions près le Consulat d’Algérie à Créteil».
Incompétente ou mauvaise foi (ou les deux), Alger oublie que la question de l’immunité diplomatique ne se pose pas dans cette procédure. L’homme arrêté ne bénéficie pas d’un passeport diplomatique, mais d’un passeport de service, précise une source bien informée citée par l’Agence France-Presse et Le Monde.
Un consternant amateurisme
Le régime d’Alger occulte également que l’affaire ne date pas d’hier et qu’il s’agit de l’aboutissement d’une année d’enquête, presque jour pour jour. Le 29 avril 2024, Amir Boukhors est enlevé près de chez lui dans le Val-de-Marne par des hommes se faisant passer pour des policiers. Emmené de force jusqu’en Seine-et-Marne, il comprend qu’il s’agit d’un kidnapping lorsqu’un des ravisseurs lui affirme qu’un responsable algérien veut lui parler. Il est alors conduit dans un lieu isolé, drogué, puis enfermé avec les poignets menottés. Le lendemain, il se réveille sous la surveillance de deux jeunes femmes. L’une d’elles, prise de panique après avoir vérifié son identité et son statut de réfugié politique, confie qu’il devait être envoyé en Espagne. Plus tard, d’autres hommes le menacent en raison de ses vidéos évoquant l’Algérie. Il est finalement relâché après 27 heures.
L’affaire, initialement au point mort, connaît un tournant en février 2025 avec l’implication de la brigade criminelle et de la DGSI. La main du régime dans cet enlèvement, d’un consternant amateurisme, est ainsi révélée. Mieux, c’est lors de cette enquête que la DGSI a découvert un réseau d’espionnage impliquant un fonctionnaire franco-algérien du ministère français de l’Économie. Celui-ci aurait transmis des informations sensibles sur des opposants algériens en France aux autorités algériennes. Il a été mis en examen pour «intelligence avec une puissance étrangère». Sa complice, une agente de l’OFII avec qui il avait une relation, lui aurait fourni des données confidentielles. Elle a été mise en examen pour «violation du secret professionnel», mais laissée en liberté.
Lire aussi : Pour mieux courber l’échine face à la France, l’Algérie bombe le torse devant le Maroc
De quoi révéler une nouvelle facette des barbouzeries algériennes en France. Alors que le magazine Marianne en faisait sa Une la semaine du 27 mars au 2 avril, il a suffi d’une enquête de 6 minutes de France2, dans l’émission «L’œil du 20 heures», diffusée le 3 mars dans le cadre du journal télévisé, pour que ces pitoyables manœuvres soient mises à nu. Spéciale dédicace à la manière dont l’Algérie tente de faire taire ses opposants sur le territoire français, notamment les militants pacifiques du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK).
Le 27 mars, la même chaîne remettait une couche (cette fois en 4 minutes) pour montrer les pressions, les intimidations, voire les représailles dont plusieurs témoins du «premier épisode» faisaient l’objet.
La retenue et la «gradation» sont de mise, mais les révélations prospèrent depuis et une chose est sûre: le régime d’Alger aura beau plier devant Paris après avoir soulevé, huit mois durant, bien des tempêtes, le coup est parti et, pour l’Algérie, rien ne sera plus comme avant s’agissant de la France. Il ne fallait vraiment pas commencer.