Comment les camps de Tindouf sont devenus un incubateur de terroristes

Dans un des camps du Polisario à Tindouf, en Algérie. (AFP).

Dans un des camps du Polisario à Tindouf, en Algérie. (AFP).. AFP or licensors

Dirigés par Alger et administrés par le Polisario, les camps de Tindouf sont non seulement un angle mort géopolitique, mais une matrice du terrorisme transnational, alerte une analyse du prestigieux magazine The National Interest. Le front séparatiste s’éloigne définitivement de son vernis pour incarner une menace sécuritaire globale accentuée par un parrain algérien désormais classé à «haut risque» en matière de financement du terrorisme par l’UE.

Le 11/06/2025 à 13h19

Les alertes sur la mutation du Polisario en organisation terroriste qui s’allie volontiers aux forces du mal se suivent et commencent à se ressembler. Dans une tribune sans concession publiée le 9 juin dernier sur les colonnes du prestigieux The National Interest, un bi-mensuel américain de référence en matière d’affaires internationales, Ahmad Sharawi, analyste à la Foundation for Defense of Democracies, jette un nouveau pavé dans la mare. Pour lui, le Front Polisario ne peut plus être considéré comme un simple mouvement séparatiste. Il s’agirait désormais, selon ses mots, d’un «bras armé aligné avec les acteurs les plus radicaux de la région». L’analyse, solidement documentée, s’inscrit dans une tendance de plus en plus marquée chez les observateurs occidentaux: la requalification du dossier du Sahara occidental comme enjeu sécuritaire global. Cette fois, c’est le magazine ayant publié en 1989 le célèbre «The End of History?» d’un certain Francis Fukuyama qui monte au front.

Sharawi ne mâche pas ses mots. Ce n’est plus une déviation. C’est une mutation, écrit-il d’emblée, dénonçant un glissement clair du Polisario vers une logique de subordination idéologique et opérationnelle à des organisations telles que le Hezbollah libanais et les Gardiens de la Révolution iraniens. L’élément central de son analyse repose sur des faits précis: des échanges interceptés entre un représentant du Polisario à Damas et un agent du Hezbollah, saluant l’attaque du 7 octobre menée par le Hamas, évoquant un front unifié allant «de Gaza au Sahara occidental», et suggérant même une attaque contre l’ambassade israélienne à Rabat.

Cette révélation, initialement publiée dans le journal allemand Die Welt, est mobilisée par Sharawi comme une preuve tangible du virage radical du mouvement sahraoui, devenu «un agenda stratégique», insiste-t-il. Pour l’analyste, le soutien de l’Iran au Polisario, y compris via la fourniture de drones kamikazes, constitue un tournant dangereux que les chancelleries occidentales ne peuvent plus ignorer.

Le Maroc, «la seule digue contre l’expansion terroriste»

Dans sa démonstration, Sharawi s’appuie également sur l’évolution du contexte régional. Il souligne que de plus en plus de pays, à commencer par les États-Unis, la France, Israël ou plus récemment le Royaume-Uni, ont reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, tandis que le nouveau régime syrien a expulsé le Polisario de Damas. Une dynamique qui, selon lui, isole davantage le mouvement, désormais réduit à deux soutiens majeurs: l’Algérie, éternel parrain, et l’Iran, le grand corrupteur régional.

Le ton de la tribune est tranché, presque accusatoire. Sharawi interpelle directement les décideurs internationaux: «Veut-on confier un territoire entier à une organisation en contact avec le Hezbollah, soutenue par l’Iran, et enracinée dans les réseaux jihadistes sahéliens?» Et d’ajouter: «Cela reviendrait à saboter la seule digue contre l’expansion terroriste dans l’Afrique du Nord».

L’article prend aussi le soin de rappeler des épisodes passés souvent occultés: la création de cellules jihadistes dans les camps de Tindouf dès 2008, l’émergence d’Adnan Abou al-Walid al-Sahraoui, ancien membre du Polisario devenu chef de l’État islamique au Grand Sahara, ou encore l’utilisation d’enfants soldats, dénoncée par des ONG devant l’ONU.

Derrière cette argumentation, le Maroc émerge comme bastion sécuritaire majeur contre la prolifération terroriste au Sahel. «Le Maroc est aujourd’hui le seul rempart contre la transformation du Sahara occidental en sanctuaire jihadiste», martèle-t-il, liant ainsi la reconnaissance de la souveraineté marocaine à une forme de devoir stratégique. Le Polisario n’est plus une «cause» mais une menace grandissante.

De «réfugiés» à terroristes en chef

Dans son édition du 8 juin dernier, et sous le titre évocateur «Des Sahraouis radicalisés à la tête de l’État islamique au Sahel», le quotidien espagnol La Vanguardia ne disait pas autre chose. Une dizaine de «sahraouis» radicalisés, issus des camps contrôlés par le Polisario, figurent désormais parmi les dirigeants de la branche sahélienne du groupe État islamique (ISWAP), l’une des organisations les plus violentes du continent africain. Ils ont grandi dans les camps de Tindouf, bénéficié de l’hospitalité européenne via le programme «Vacaciones en Paz», appris l’espagnol avec des familles d’accueil bienveillantes… puis, ont rejoint l’État islamique. L’information, glaçante, est un signal d’alarme géopolitique. Les enfants que l’Europe croyait sauver du désert sont devenus les visages polyglottes d’un jihad transcontinental. La Vanguardia révèle que leur parfaite maîtrise de l’espagnol est aujourd’hui un outil de propagande utilisé par les réseaux de Daech, notamment pour inciter à des attaques isolées en Europe.

Cette trajectoire n’est ni accidentelle ni marginale. Elle confirme une dérive documentée depuis des années: les camps de Tindouf ne sont pas de simples zones pour réfugiés, mais des incubateurs d’endoctrinement et de radicalisation, sous le contrôle d’un Polisario désormais incapable, ou complice, d’en contenir la dérive terroriste. Le tout, avec la bénédiction d’Alger.

Ce que La Vanguardia pointe du doigt, c’est que des éléments radicalisés du Polisario sont désormais capables de porter leur action terroriste sur le sol européen. Loin des fantasmes de «résistance» du 20ème siècle, ces nouveaux profils sont les enfants d’un cynisme géopolitique nourri d’impunité. La bienveillance naïve de certains cercles militants et diplomatiques devient une complicité passive.

Financement du terrorisme: Algérie, «pays à haut risque»

L’alerte est donnée. Il reste à l’écouter, avant qu’elle ne se transforme en bilan. Elle est appuyée par un nouveau risque, celui que représente le parrain de toujours: l’Algérie. Dans ce qui s’apparente à un camouflet diplomatique que les autorités algériennes auraient préféré dissimuler derrière leur rhétorique tiers-mondiste, la Commission européenne a ajouté hier mardi le voisin oriental à sa liste noire des pays à haut risque en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Alger rejoint ainsi le cercle peu envié des juridictions sous surveillance renforcée aux côtés du Venezuela, du Liban ou encore du Laos.

Les institutions financières de l’UE sont tenues de renforcer leur vigilance dans toute transaction impliquant Alger, une mesure officielle, étayée par une évaluation technique rigoureuse, selon les mots d’un communiqué de l’Exécutif européen, qui s’est appuyé sur les analyses du Groupe d’action financière (GAFI), organisme international chargé d’évaluer l’action des États en matière de lutte contre le blanchiment, les dialogues bilatéraux et les visites de terrain. Cette mise à l’index de l’Algérie s’ajoute à un faisceau de signaux qui en font un État voyou. Les bravades et les postures de déni n’y changent strictement rien.

Par Tarik Qattab
Le 11/06/2025 à 13h19