Peu connu, un rapport interne du Conseil de sécurité de l’ONU (daté d’octobre 2022, rendu public deux ans plus tard) relate comment le Polisario a confiné la MINURSO dans ses bases, l’assignant littéralement à résidence depuis que le mouvement séparatiste a décrété la rupture du cessez-le-feu en novembre 2020. On y apprend par exemple que les observateurs de l’ONU «se sont vu interdire tout mouvement au-delà d’un rayon de 20 km autour de leurs campements». Les Casques bleus ne peuvent plus s’éloigner de leurs «team sites» qu’à pas comptés, et il leur est même prohibé d’approcher «à moins de 200 m des unités combattantes du Front Polisario».
Toutes les tentatives de visite des positions du Polisario– plus de 2.400 rien qu’entre septembre 2021 et août 2022– ont été «systématiquement refoulées» par les combattants sahraouis, explique le rapport. Les vols de reconnaissance en hélicoptère de la MINURSO au-dessus des zones où s’activent les séparatistes ont été purement suspendus: «aucun hélicoptère onusien n’a plus été autorisé à survoler l’est du berm (mur de défense marocain, NDLR) depuis novembre 2020». Ainsi, la MINURSO est incapable de patrouiller librement dans cette partie de la zone tampon où s’active illégalement par le Polisario.
Chantages sur les approvisionnements
L’approvisionnement des cinq teams sites situés côté Polisario est devenu un casse-tête: à plusieurs reprises, la MINURSO a manqué de carburant et de vivres, ses convois logistiques étant bloqués en Algérie, à Tindouf. Plus aucun ravitaillement par route n’a pu atteindre, pendant toutes ces années, les cinq bases de l’ONU, plongeant la mission dans une dépendance périlleuse aux rares vols aériens autorisés. Dans cet autre rapport de l’ONU (fin 2023) est rappelé que la situation avait tourné à la catastrophe lorsque les casques bleus, désespérés et réellement affamés, manquant d’eau potable pour se laver, ont tenté d’organiser, discrètement, un convoi de ravitaillement depuis Es-Semara au Maroc, aidés par les FAR, vers leur site de Mehaires, dans la «zone» Polisario. Arrivé près de destination, le convoi a été intercepté par «une vingtaine de miliciens armés, qui ont sommé les camions de rebrousser chemin sous peine de représailles». Les casques bleus ont dû passer la nuit immobilisés dans le désert, avant de se retirer le lendemain, bredouilles. L’affaire avait scandalisé au plus haut niveau: quelques jours plus tard, sous la pression du Conseil de sécurité de l’ONU, le Polisario avait cédé et laissé passer cinq convois de réapprovisionnement en avril-juin 2023, puis un autre en septembre.
Mais cette ouverture fragile n’a pas levé à ce jour les entraves: le Polisario continue de verrouiller l’est du Sahara, au mépris de toute considération humaine et révélant ce dont il est capable. Aucun convoi terrestre permanent n’a été rétabli aujourd’hui; les rotations aériennes demeurent au compte-gouttes (deux vols par mois tout au plus) et toujours soumises au bon vouloir du Front Polisario.
Team site de Oum Dreyga de la MINURSO dans le Sahara. (Photo: MINURSO)
Ce bras de fer illustre la perte de contrôle de la MINURSO sur le terrain depuis la rupture du cessez-le-feu unilatéralement par le Polisario. Il en résulte une sorte de huis clos dans la zone tampon: l’ONU y opère au bon vouloir du Polisario, et ne peut plus assurer sa principale mission: garantir justement ce cessez-le-feu.
Des mises en scène «guerrières» démasquées par la MINURSO
Par contre, le Polisario n’hésite pas à «utiliser» les membres de la MINURSO dans des mises en scène surréalistes. L’ONU rapporte, par exemple, que des casques bleus avaient été emmenés un matin par le Polisario près de Bir Lahlou, afin d’assister à un «bombardement»: une dizaine de miliciens tiraient en l’air en direction du mur lointain, filmés par la télévision du Front pour la propagande, tandis que les casques bleus les observaient en silence. Une fois le tournage terminé, les séparatistes ont salué les observateurs et sont repartis. La MINURSO n’a pas rapporté cet «échange de tirs» dans ses documents officiels, considérant qu’il n’y avait pas eu de confrontation réelle– au grand agacement du Polisario qui dénonçait un «silence complice».
Cette mise en scène du Polisario avait pour objectif de donner l’illusion d’une guerre, alors que les éléments du Polisario se terrent de peur de la menace venue du ciel.
Les team sites de la MINURSO: postes isolés, personnel cloitré et défis logistiques
Pour comprendre la vulnérabilité de la MINURSO, il faut imaginer la réalité de ses bases. La mission onusienne dispose de neuf de ces sites d’observation (4 à l’ouest du mur, côté marocain et 5 à l’est du mur dans la zone tampon). Isolés au milieu de déserts de rocaille ou de dunes, ces team sites sont de modestes installations faites de préfabriqués, de tentes, ceints de grillages ou de murs légers où vivent quelque 500 casques bleus et personnel de l’ONU (environ 50 personnes par team site qui effectuent des missions de 6 mois, ou d’un an). La vie s’y organise en autarcie. Les conditions de logement sont sommaires: les casques bleus habitent dans des préfabriqués ou conteneurs aménagés, chaque observateur disposant de son propre module-chambre, avec des conteneurs communs faisant office de mess (réfectoire) et de bureaux. L’isolement est extrême: la base la plus proche peut se trouver à 160 km de distance, accessible uniquement par piste à travers les dunes.
Chaque team site a une zone de surveillance couvrant des dizaines de milliers de kilomètres carrés (jusqu’à 47.000 km² pour le secteur d’Awsard). Ces défis logistiques sont devenus de véritables goulets d’étranglement pour la MINURSO. L’interdiction des convois terrestres côté Polisario a suspendu le lien vital qui unissait les bases de l’est à leurs dépôts de ravitaillement à Tindouf. Le carburant, l’eau et la nourriture sont rationnés dans ces postes avancés, le temps que d’aléatoires vols aériens viennent réapprovisionner les stocks.
Véritables prisonniers du désert, les ingénieurs de la mission ont tenté d’improviser des solutions pour survivre: installation de petites stations de traitement d’eau pour recycler les eaux usées localement, potagers tests, réduction de la consommation de carburant, etc. L’usure du matériel s’accélère, les véhicules tout-terrain tombent en panne sans pièces de rechange, et les panneaux solaires récemment installés ne peuvent alimenter tous les besoins. Même l’acheminement du courrier et la rotation des effectifs sont touchés, isolant encore plus les observateurs sur le terrain.
Vue générale de la ville de Tindouf. (Photo: MINURSO)
Aujourd’hui, ces conditions de vie délétères sont devenues encore plus vides de sens aux yeux du personnel de la MINURSO. Privés de la plupart de leurs patrouilles, ils se retrouvent à tuer le temps dans des camps reculés, mangeant et vivant à minima, sans véritable travail opérationnel. Certes, la routine demeure– entretien des véhicules, exercices physiques, suivi administratif– mais tout intérêt s’est évanoui. «On tourne en rond» pourrait être le leitmotiv de ces soldats de la paix tenus en otages depuis bientôt cinq ans par le Polisario. La perte du contact quotidien avec le terrain a aussi un impact sur leur moral. Le manque de vols réguliers signifie que les bases de l’est reçoivent très rarement du ravitaillement en produits frais: les vivres se résument souvent à des rations à longue conservation, monotones et peu appétissantes. L’ONU avait admis dans le rapport précité de 2022 que la pénurie de rotations aériennes a «affecté la disponibilité de produits frais et la rapidité des évacuations médicales d’urgence, ce qui a eu un impact négatif sur le moral et la santé du personnel» dans les team sites isolés. La perspective d’une évacuation médicale tardive en cas de maladie grave par exemple, hante les esprits. De même, l’absence de visites régulières du quartier général ou de l’extérieur renforce le sentiment d’isolement.
Enfin, les communications avec l’extérieur sont limitées. Chaque team site est équipé d’une radio HF et de terminaux satellite permettant de disposer d’internet et d’envoyer des emails, ou de passer des appels périodiquement. Cependant, le faible débit rend difficiles la navigation ou les visioconférences.
À quoi sert encore la MINURSO?
Au terme de ce panorama, la question surgit d’elle-même: à quoi sert encore la MINURSO en 2025? Déployée depuis 34 ans, elle est désormais entravée dans une partie importante de sa mission: superviser un cessez-le-feu désormais inexistant selon le point de vue du Polisario. La composante onusienne au Sahara occidental apparaît de plus en plus comme un vestige inutile d’une autre époque. Ses défenseurs argueront qu’elle représente au moins une présence symbolique de la communauté internationale et qu’elle empêche une escalade incontrôlée. Mais le Front Polisario lui-même ne cache plus son mépris pour cette force, et l’a acculée à la frigidité totale. Faute de redéfinir ses missions (donc cesser d’être la MINURSO), la question reste posée, crûment, comme un défi. Car à présent la mission onusienne ressemble à un mirage dans les sables brûlants du Sahara: visible, mais sans substance, présente, mais sans pouvoir réel, avec des femmes et des hommes isolés, épuisés et démoralisés. Ce drame révèle crûment les limites de l’ONU face à une guérilla qui vivote grâce au soutien du régime d’Alger.