Vie et mort des jeunes recrues du Polisario dans la zone tampon

Karim Serraj.

ChroniqueTapies le jour dans des caches de fortune et sous la menace permanente des drones marocains, les jeunes recrues du Polisario qui font aujourd’hui la «guerre» survivent dans une peur constante, entre illusion guerrière et réalité d’une existence précaire. Plongée dans le quotidien de ces fantômes du désert, inexpérimentés et tous nés après le cessez‑le‑feu de 1991, piégés dans une zone tampon devenue théâtre d’une intime propagande.

Le 15/06/2025 à 10h30

Lorsque la nuit tombe, de petites silhouettes émergent en silence des creux de dunes et des affleurements rocheux. Ce sont les miliciens du Polisario, ombres furtives opérant clandestinement dans la zone tampon, ces étendues arides s’étendant à l’est du mur de défense marocain, que le Polisario nomme, avec une arrogance trompeuse, ses «territoires libérés». Pourtant, cette zone est, depuis 1991, un espace placé sous une stricte réglementation internationale, administré par l’ONU. Ni les forces miliciennes ni les civils ne sont autorisés à y pénétrer, encore moins à s’y installer.

Les miliciens ont néanmoins recréé, dans cette frange interdite, une structure militaire rudimentaire: bases précaires à Bir Lahlou et Tifariti, zones de tir improvisées à Mijek et Agounit, caches disséminées dans les reliefs rocheux et sablonneux. Ce dispositif brinquebalant permet au Polisario de maintenir la flamme guerrière chez ses jeunes recrues tout en défiant ouvertement les règlements internationaux incarnés par la MINURSO.

Il s’agit pour l’essentiel de petites unités de guérilla mobiles qui se déplacent sans arrêt pour éviter de présenter une cible fixe. Le jour, les miliciens se terrent dans des campements camouflés ou des abris de fortune à faible signature radar et thermique. Le Polisario a adopté une logistique de l’éphémère. Dans certaines zones, les miliciens ont creusé des abris sommaires dans le sol – de petites tranchées ou cachettes individuelles– qu’ils rebouchent lorsqu’ils quittent l’endroit afin de ne pas laisser de trace visible depuis les airs. Les armes lourdes sont cachées sous des filets de camouflage ou dans de petits bunkers dissimulés dans le relief. Ce jeu de cache‑cache permanent est devenu vital depuis que le Maroc a renforcé sa panoplie de surveillance et de frappe.

Selon The New Humanitarian (2023), les miliciens conduisent la nuit «phares éteints et à vive allure à travers le désert», illustrant leur peur viscérale d’être détectés dans des étendues pourtant désertiques à mille lieues à la ronde. Cette psychose a pris la forme d’une menace permanente, qu’illustre l’expression «Yeux dans le ciel» dont font usage les séparatistes entre eux, à voix basse, pour parler de leur «ennemi», rapporte la même source. Leur quotidien est régi par la nécessité de se tapir comme des rats pour survivre.

Le bouclier technologique du ciel: un Big Brother marocain

Outre le perfectionnement continu du mur de défense – doté de fossés antichars, de bunkers et de capteurs de surveillance sur toute sa longueur –, le Maroc a, depuis 2021, déployé des moyens technologiques redoutables. La peur du ciel est désormais dans tous les esprits des séparatistes sahraouis. Aux drones armés et de reconnaissance avancée s’ajoutent des radars tridimensionnels de nouvelle génération, des systèmes de défense antiaérienne d’avant‑garde (Barak MX israéliens) et des réseaux de capteurs sismiques et acoustiques enterrés, venant compléter le dispositif. Le résultat est un bouclier technologique à fort degré d’avancement, sans égal sur le continent– un Big Brother qui surveille le Polisario dans la zone tampon. C’est de lui qu’ils ont peur…

Cette menace est omniprésente. Les rares témoignages des miliciens sur ce sujet font état d’un véritable traumatisme: «Je n’ai moi‑même jamais été visé par une frappe de drone, mais ils existent, ils existent, ils existent…», rapporte en 2022 Middle East Eye.

Le Polisario tente aussi de masquer sa signature électronique: radios de communication et téléphones sont désactivés, de crainte que les signaux ne trahissent leurs positions.

Les jeunes recrues du Polisario post‑2020: chair à canon d’une guerre fantasmée

Qui sont ces miliciens sur le «front», qui narguent l’ONU et le Maroc? Depuis la rupture du cessez‑le‑feu, annoncée par le Polisario en novembre 2020, des recrues inexpérimentées, embrigadées dans les camps humanitaires de Tindouf, opèrent dans la zone tampon. Toujours selon Middle East Eye, ces «combattants» qui n’ont reçu ni formation ni instructions précises sont envoyés au casse‑pipe lors de naïves mises en scène: la nuit, ou juste avant l’aube, ces gosses «s’approchent du mur et ouvrent le feu à la Kalachnikov», bien que ces tirs ne fassent que retomber quelques centaines de mètres plus loin, sans aucun adversaire en face– un vrai simulacre destiné à épater «les soldats plus âgés». Les sections de combattants se positionnent derrière une crête ou une dune, tirent plusieurs salves– obus de mortier, roquettes de type Grad, voire rafales de mitrailleuses lourdes– puis décampent rapidement. Les jeunes recrues rebroussent chemin aussi vite qu’elles sont arrivées, observant un ciel devenu improbable; les drones marocains, imperturbables, y patrouillent sans relâche. Les chefs d’unité, pour entretenir l’illusion des jeunes, promettent «qu’un assaut en bonne et due forme viendrait plus tard».

Cette nouvelle génération de miliciens, parquée dans la zone tampon, est née après le cessez‑le‑feu instauré il y a trente‑cinq ans (1991). Elle n’a jamais connu les hostilités, ni les combats parfois farouches survenus entre 1975 et 1987, avant l’achèvement du mur de défense marocain. La propagande va‑t’en‑guerre diffusée dans les camps humanitaires de Tindouf exhorte désormais les jeunes recrues à «revivre la gloire passée» et «faire l’histoire de leur peuple», rapporte toujours la même source, sans considération pour la réalité du dispositif des FAR, qui, pour l’instant, privilégient la retenue.

Un rapport des Nations unies rappelait en 2021 «l’absence de perspective d’avenir autre que militaire pour ces jeunes»: faute d’emploi ou de formation orientée vers la vie civile, ils grandissent avec le sentiment que seule la lutte armée peut leur apporter un statut. Même constat dans une synthèse du Comité américain pour les réfugiés et les immigrants (USCRI) qui évoque en 2024 une «génération de plus en plus désespérée et radicalisée, confrontée à des opportunités éducatives et économiques limitées». Cette situation préoccupe les services de renseignement des pays voisins et l’Union européenne, d’autant que des groupes extrémistes tentent de recruter ces jeunes désenchantés: Al‑Qaïda au Maghreb islamique, par exemple, enrôle des miliciens des camps d’Algérie, souvent très jeunes et déjà frustrés par des années d’impasse politique.

Un quotidien d’épuisement et de survie

Ces recrues post‑2020, poussées par l’Algérie et son proxy Polisario dans la zone tampon, sont motivées par l’endoctrinement et l’épuisement de la vie dans les camps humanitaires. Leur quotidien dans la zone tampon est spartiate: les vivres et l’eau arrivent par camions depuis Tindouf ou depuis des puits forés dans la région (l’eau saumâtre est traitée par des unités de potabilisation rudimentaires). Le régime alimentaire se limite souvent à du riz, des pâtes, des lentilles et des conserves fournies par l’aide humanitaire détournée ou par les stocks du Croissant‑Rouge sahraoui. La viande de chameau ou de chèvre est un luxe, réservée aux visites de gradés du Polisario ou de journalistes sympathisants qui s’aventurent parfois jusque dans ces zones.

Le carburant est rationné: chaque unité de «technicals» (terme désignant un pick‑up doté d’une artillerie, de moyens de communication, de stocks de nourriture et d’eau pour quelques jours) reçoit quelques dizaines de litres d’essence par semaine, juste de quoi réaliser une ou deux patrouilles. Les journées sont longues et oisives sous un soleil de plomb. Les jeunes recrues tuent le temps en écoutant la radio (BBC Arabic, Radio Algérie Internationale ou la radio du Polisario), en jouant aux dominos à l’ombre d’une toile de tente ou en s’exerçant au démontage de leurs Kalachnikovs.

Le moral est entretenu par des victoires imaginaires (annonces quotidiennes de «tirs sur l’ennemi» dans les communiqués du Polisario) et par l’espoir que les lignes finissent par bouger. La réalité, pourtant, est celle d’unités constamment à court de moyens, contraintes de se cacher, dont l’efficacité militaire est inopérante face au bouclier déployé par le Maroc.

Les développements récents de la fermeture, par la Mauritanie, de la brèche frontalière de Breika (documentée par le journal londonien arabophone Elaph), isolent davantage les éléments du Polisario dans la zone tampon, réduisant encore leur espace de mobilité– et de fuite vers ce pays voisin– comme une peau de chagrin.

Le décalage entre le discours triomphaliste du Polisario et le quotidien misérable de ses miliciens dans la zone tampon est frappant: ces derniers mènent davantage une existence de fugitifs traqués qu’une véritable campagne militaire. Leur seule présence dans la zone tampon constitue, du point de vue onusien, une hérésie juridique, révélant une naïveté oscillant entre fausse bravoure et véritable impuissance, dans l’immensité d’un désert surveillé par les «Yeux dans le ciel».

Par Karim Serraj
Le 15/06/2025 à 10h30