Sahara: pourquoi la résolution 2756 a rendu hystérique le régime d’Alger

Amar Bendjama, le représentant de l'Algérie à l'ONU.

Si l’Algérie, via son représentant à l’ONU Amar Benadjma, a totalement perdu ses nerfs, jeudi 31 octobre, et laissé libre cours à une diatribe pour le moins déplacée au Conseil de sécurité lors du vote de la résolution 2756 sur le Sahara, c’est parce que le texte adopté a inclus deux paramètres décisifs pour l’évolution du dossier. Le régime d’Alger était prêt à tout pour le retrait de ces deux ajouts. Bien que membre non-permanent du Conseil de sécurité avec une chance unique de peser sur le dossier, il a lamentablement échoué. Révélations.

Le 04/11/2024 à 12h27

Généralement, la séance se déroule en presque un clin d’œil et tant pis pour les retardataires: présentation succincte de l’ordre du jour, déclinaison du titre et de la référence de la résolution, son adoption (avec généralement deux abstentions depuis 2017), deux à trois commentaires totalisant à peu près 5 minutes et le tour est joué. De mémoire de journaliste, c’est traditionnellement ainsi qu’il en est allé chaque fin octobre à l’ONU s’agissant de la résolution du Conseil de sécurité sur le Sahara. Pas cette année. Loin s’en est fallu. Et pour cause, la présence de l’Algérie en tant que membre non-permanent du conseil. Elle aura beau mentir et se prétendre «observateur inquiet», le sujet lui est trop cher et elle en a apporté une bien piètre démonstration jeudi 31 octobre 2024. Usant de tous les recours possibles et imaginables lors de cette session, l’Algérie a brillé. Pitoyablement. Jamais réunion du Conseil de sécurité autour du Sahara n’a été aussi spectaculaire.

Le «momentum», c’est l’autonomie

La séance de vote du jeudi 31 octobre aura été celle de tous les inédits. Le premier, en l’occurrence, a été la demande d’introduction faite par l’Algérie, membre non-permanent du conseil, de deux amendements au projet définitif de résolution, soit la version dite en bleu. Rare dans l’absolu, la pratique n’avait encore jamais été tentée s’agissant du dossier du Sahara. Le striptease intellectuel auquel s’est adonné le représentant de l’Algérie voulait que les amendements concernent les missions d’enquête de l’ONU au Sahara et l’élargissement des attributions de la MINURSO aux droits de l’homme. Il n’en est strictement rien, révèle une source informée contactée par Le360. Si le régime d’Alger était dans tous ses états, c’est parce que cette résolution est la pire qui soit pour l’Algérie. Et pour cause, l’introduction de deux nouveaux paramètres, les seuls ajouts par rapport à la résolution de 2023.

Le premier est l’insistance du Conseil de sécurité sur la nécessité de saisir le momentum récent pour faire évoluer le dossier. Dans sa résolution 2756, le conseil «se félicite du récent momentum et exhorte à le mettre à profit pour parvenir à une solution politique mutuellement acceptable», lit-on. CQFD: le momentum est une référence claire et nette à la dynamique internationale en faveur de l’autonomie comme unique solution au conflit. La dernière puissance en date à s’y être ralliée est d’ailleurs la France qui, par la voix de son président de la République, a déclaré et confirmé son soutien à la souveraineté du Maroc sur le Sahara et son appui à l’option d’autonomie comme seule issue au conflit.

Pas de cessez-le-feu, pas de négociations

Le second additif de la résolution concerne, lui, la sommation d’éviter les actes qui compromettraient le processus politique. En clair, il n’y aura pas processus politique sans cessez-le-feu comme préalable. Dans sa résolution, le Conseil de sécurité «note avec une profonde préoccupation la rupture du cessez-le-feu, rappelant la proposition de la MINURSO en février 2024 de cesser les hostilités et d’éviter tout acte mettant en danger la paix et la sécurité, et encourageant le plein respect d’une telle cession des hostilités». Mieux, il engage directement la responsabilité du Polisario dans cette violation. En la matière, le Conseil de sécurité «prend note des engagements fournis par le front Polisario à l’ancien envoyé personnel».

Le régime algérien était prêt à tout pour retirer du texte de la résolution ces deux nouveaux paramètres. Selon nos sources, le représentant de l’Algérie a, dans un premier temps, déposé 20 amendements au texte du Penholder, les États-Unis. Un parasitage délibérément voulu et dont l’objectif était de polluer les travaux préparatoires du texte, en vue de négocier leur retrait en bloc contre la suppression des deux nouveaux paramètres.

«L’Algérie a déclaré être prête à retirer tous ses amendements à la condition de revenir au texte de la résolution de 2023 en y introduisant les mises à jour techniques. Auquel cas, l’Algérie allait voter par abstention», nous apprend-on. Dans son interminable laïus et ses lamentations pathétiques devant le conseil, Amar Bendjama n’avait d’ailleurs pas dit autre chose, en insistant sur la nécessité de s’en tenir au contenu de la précédente résolution. Cette requête n’a évidemment pas abouti et le texte de la résolution n’a pas été déconnecté de la réalité du terrain en profitant du momentum et en rappelant l’impossibilité de négociations sans cessez-le-feu.

Si le représentant algérien n’a, fait rare, pu contenir sa logorrhée lors de la session, c’est parce qu’il a assisté, impuissant, à un rejet pur, simple et total de ses manœuvres. Non seulement l’Algérie, qualifiée par Abdelmadjid Tebboune de «force de frappe», n’a pas pesé sur la résolution sur le Sahara alors qu’elle siège au Conseil de sécurité, mais elle a subi la pire évolution, à ses yeux, de ce texte. Les lamentations, l’amertume et le dépit de l’ambassadeur algérien peuvent dès lors se comprendre si l’on tient compte de l’intensité du revers.

«De ce fait, l’Algérie accuse un isolement marqué sur la scène internationale. Ce fiasco à obtenir des voix de soutien à ses amendements est la preuve de l’impréparation et de la mauvaise gouvernance diplomatique. On ne saisit pas le Conseil de sécurité sur des amendements quand on n’est pas sûr de gagner. L’approche est particulière. C’est comme si l’Algérie croyait fermement pouvoir imposer son point de vue à la majorité des membres du Conseil de sécurité. Il y a là quelque chose qui traduit une fébrilité. Laquelle s’est prolongée lors du vote, puisque l’Algérie n’y a pas participé», note le politologue Mustapha Sehimi.

Cela a un nom: la folie– injustifiée– des grandeurs. Jouant au plus fin, et après avoir rejeté par deux fois (2021 et 2022) les résolutions respectives du Conseil de sécurité, le régime d’Alger a cru bon se retenir en 2023 pour mieux sauter l’année d’après au moment de siéger parmi les 15 en tant que membre non-permanent. Il a eu la prétention de croire qu’il allait bloquer la dynamique favorable au Maroc en modifiant la teneur des résolutions.

Fuite en avant

L’autre première de ce vote, en effet, c’est la non-participation de l’Algérie à un vote sur le Sahara. Le fait est inédit, nous affirme notre source. Habitué des arcanes de l’ONU, Mustapha Sehimi confirme. «S’agissant du Sahara, il y a toujours eu des prises de position, soit pour, soit contre, soit abstention. Jamais une non-participation», souligne-t-il.

À noter que jusqu’à 2017, il y a toujours eu consensus sur la résolution qui recueillait favorablement la totalité des 15 voix des membres du Conseil de sécurité. Les rares abstentions ont commencé à émerger quand les paramètres liés à l’évolution du dossier ont été modifiés par le Maroc et introduits dans les textes de la résolution. Ceci, à l’instar de la nécessaire «solution politique réaliste» qui est intimement liée à l’autonomie comme unique solution au différend.

Présenter des amendements sans avoir évalué les possibilités de ralliement et de soutien, se retirer le lendemain et dans le même esprit négatif et d’hostilité, voilà un beau doublé signé par le régime d’Alger.

La non-participation algérienne est unique en son genre, parce qu’il s’agit d’une partie prenante au conflit. «De ce point de vue, la non-participation au vote dénote par son caractère inédit non seulement dans les résolutions liées au Sahara, mais dans les instances onusiennes. Jamais auparavant, un pays n’avait refusé de participer à un vote sur un sujet qui le concerne au premier chef», explique cet observateur.

Pour lui, un minimum de cohérence aurait supposé que l’Algérie vote contre cette résolution. Une telle clarté aurait été lisible pour la communauté internationale. La non-participation d’une partie prenante, très impliquée dans le dossier, qui a des positions connues de tous revêt un caractère aberrant qui dévie de l’aire de la diplomatie et des relations internationales pour s’enraciner dans la psychologie: déception, frustration et schizophrénie.

La réaction de frustration et les pleurnicheries du représentant du régime d’Alger le jour du vote ne peuvent se comprendre que si l’on prend la mesure de la désillusion algérienne. Ce pays pensait malmener le Maroc au Conseil de sécurité et il voit, impuissant, la résolution la plus favorable au Maroc adoptée en sa présence. C’est plus qu’un échec. C’est une humiliation. Elle est doublée par le fait que même le grand frère russe n’a pas jugé bon de lui porter secours sur les amendements. La Russie s’est abstenue. «Moscou travaille toujours avec des gouvernements qui ont une politique étrangère stabilisée. Ce n’est pas le cas de l’Algérie qui accuse des crises majeures sur le plan interne, mais aussi pour ce qui est de sa politique étrangère. Je rappelle que lors du sommet des BRICS en août 2023 en Afrique du Sud, la Russie n’a pas du tout soutenu la candidature d’Alger. Le ministre russe des affaires étrangères, Sergei Lavrov, ayant même déclaré que l’Algérie n’avait ni le poids économique ni l’influence régionale nécessaires», relève Mustapha Sehimi.

Rendez-vous dans 25 ans

En guise de réaction, et à part s’en prendre vertement au Penholder et invoquer des droits de l’Homme sur lesquels son pays n’a aucune forme de légitimité – l’Algérie les bafouant chaque heure –, le représentant algérien n’a pas expliqué pourquoi son pays n’a pas pris part au vote. La rage exprimée est néanmoins la preuve que l’Algérie est LA partie prenante au conflit, mais ne veut pas assumer. C’est un fait: l’Algérie abrite, nourrit, arme et traite une entité qu’elle accueille sur son territoire, comme un Etat indépendant. Elle ne cesse ces dernières années d’insulter les résolutions du Conseil de sécurité sur le Sahara.

En 2021 et 2022, amer et dépité, le régime voisin avait sorti la grosse artillerie pour dénoncer les résolutions du Conseil de sécurité de ces années-là. En 2021, l’Algérie avait ouvertement rejeté la résolution 2602 sur le Sahara, au prétexte qu’elle était «déséquilibrée» et «partiale». En 2022, et dans une déclaration écrite, le chef de la diplomatie algérienne a estimé que «la résolution 2654 adoptée le 27 octobre 2022 résulte, comme ses devancières (…) d’un exercice laborieux de rédaction dépourvu de la volonté d’orienter et de stimuler des efforts destinés à préserver la nature de la question du Sahara occidental et à lui appliquer scrupuleusement la doctrine et les bonnes pratiques des Nations unies en matière de décolonisation».

Tout en les rejetant, l’Algérie prétend soutenir les résolutions du Conseil de sécurité et la légalité internationale! Nous ne sommes pas à une incohérence ou une marque de schizophrénie près.

Il reste au régime algérien une autre occasion, en octobre 2025, pour espérer entraver la dynamique inarrêtable en faveur de l’autonomie. Le régime d’Alger va-t-il lamentablement s’illustrer l’année prochaine comme il l’a fait jeudi dernier? L’Algérie attend depuis deux décennies de siéger au Conseil de sécurité et le jour venu, elle ne participe même pas au vote! Réussira-t-elle à faire mieux en octobre 2025, quand elle aura à jouer sa dernière carte sur le Sahara avant de quitter le Conseil de sécurité et prendre son mal en patience pendant 25 longues années pour y revenir? D’ici là, le dossier du Sahara aura certainement déserté les couloirs onusiens et l’affaire aura été réglée suivant la solution marocaine.

Par Tarik Qattab
Le 04/11/2024 à 12h27