À la fin du 19ème siècle et au début du 20ème, la conquête de l’Algérie entraîna peu à peu les troupes françaises vers les régions marocaines de la Saoura, du Gourara, du Touat et du Tidikelt, vaste ensemble désigné par l’administration coloniale sous le nom de Région des Oasis. Or, comme le montre la carte publiée dans ma précédente chronique, ces provinces qui appartenaient de temps immémorial au Royaume du Maroc lui furent alors arrachées pour être rattachées à l’Algérie.
Revenons en arrière afin de comprendre quels furent les processus qui aboutirent à ces graves amputations du Maroc.
Au mois de mars 1870, le général Emmanuel de Wimpffen commandant la province d’Oran s’empara d’Aïn-Chaïr et de la région de l’Oued Ghir, coupant ainsi à la fraction orientale de la tribu marocaine des Ouled Sidi Cheikh son accès au Maroc.
En 1879 et en 1882, la France, qui avait pour projet de créer un chemin de fer transsaharien, sollicita une autorisation de passage auprès du sultan Moulay Hassan 1er, ce qui montre bien que pour elle, la région était une possession marocaine. Les Britanniques, qui étaient alors opposés à cette voie de communication, justifièrent leur refus au nom de la marocanité du Touat et de toute la région.
En 1886, face aux menaces françaises, une délégation du Touat se rendit à Fès pour y demander au sultan Moulay Hassan 1er l’envoi de troupes marocaines, cependant que les tribus du Tidikelt se plaçaient sous protection marocaine. En 1887, Moulay Ali Ould Moulay Slimane, chef de la zaouïa des Kunta du Touat, vint demander au sultan Moulay Hassan 1er d’intervenir contre l’installation française à El Goléa.
Le 5 août 1890, aux termes d’une convention secrète, la France et la Grande-Bretagne se mirent d’accord pour délimiter leurs sphères d’influence en Afrique. Londres laissa alors toute liberté à la France pour occuper les régions marocaines du Touat, du Gourara, du Tidikelt et d’Igli, ainsi que toute la vallée de la Saoura. Cependant, pour des raisons diplomatiques, et se rangeant aux observations du ministre des Affaires étrangères Théophile Delcassé, le gouvernement français n’exploita pas immédiatement la convention.
Au mois de décembre 1899, les forces françaises prirent In Salah, puis occupèrent tout le groupe des oasis du Tidikelt et du Gourara dont Timimoun, la capitale régionale qui fut investie en 1901. Durant cette phase de la conquête, les forces militaires françaises eurent face à elles les caïds et les pachas marocains qui gouvernaient effectivement ces régions au nom du sultan du Maroc. En 1891, le sultan Moulay Hassan 1er avait ainsi investi dix caïds et cadis au Touat, au Tidikelt et au Gourara. En 1896, Ahmed El Boukhari Ben Rezzouk avait été nommé pacha de Timimoun, avant d’être remplacé par Driss Ben Kouri Cherradi puis par Mohamed Ben Omar Marrakchi.
Théophile Delcassé voulut ensuite établir un compromis avec le Maroc. Ce furent les Accords des Confins. Signés en mai 1902, ils ne délimitaient pas les territoires entre la France et le Maroc, se contentant d’instituer un contrôle commun de la région, ce qui revenait à reconnaître qu’elle était marocaine.
En 1910, Tabelbala, oasis marocaine où, durant toute la période du Protectorat, la prière ne cessa d’être dite au nom du sultan Maroc, fut prise par les Français.
L’occupation de Tindouf en 1934 marqua l’achèvement de l’entreprise française de conquête de la région. Or, l’administration marocaine s’était toujours exercée sur la vallée de Tindouf qui dépendait du Khalifa du Tafilalet, ses caïds étant nommés par dahirs du sultan du Maroc.
«Au mois de juillet 1962, à l’indépendance de l’Algérie, la population de Tindouf hissa le drapeau marocain. Le 3 septembre, l’armée algérienne tira sur la foule réclamant le retour de Tindouf au Maroc.»
Parlant de sa reconnaissance du mois d’avril 1925 à Tindouf, le capitaine Ressot écrit: «Par son architecture, Tindouf est en miniature une ville marocaine» (Bulletin du Comité de l’Afrique française, juillet 1926, p.320).
Arrivé en 1928 à Tindouf avec une autre reconnaissance, toujours commandée par le capitaine Ressot, le lieutenant Pigeot écrivit quant à lui: «(…) On a déjà raconté l’étonnement de la reconnaissance en découvrant à Tindouf non pas un ksar saharien, mais trois villes marocaines aux maisons bien bâties dominées d’élégants minarets» (Hespèris, tome XI, 1930, p178).
Dans son livre intitulé «Sur les traces du pacha de Tombouctou», et publié en 1936, le colonel Charbonneau, très bon connaisseur de la région, écrit à ce sujet: «(…) Quelle anomalie constituait en fait l’attribution à l’Algérie de la région de Tindouf. Anomalie certes, car ce territoire rattaché au Sud algérien par rapport auquel il est très excentré, vient couper par un coin enfoncé d’est en ouest une zone de passage où, de temps immémorial tous les courants ont lieu du Nord au Sud entre le Maroc et la Mauritanie.»
Le 27 novembre 1985, au sujet de Tindouf, le roi Hassan II déclara: «Tindouf faisait partie intégrante du territoire marocain jusqu’au début des années 1950 puisque, lors des cérémonies de l’Aïd-el-Kébir et de l’Aïd-el-Séghir, le pacha de cette ville, je l’ai vu de mes propres yeux, venait faire allégeance devant mon père. Mais, lorsque nous sommes partis en exil (août 1953), Tindouf, entre autres, nous a été enlevée pour être rattachée à l’Algérie.»
Au mois de juillet 1962, au moment de l’indépendance de l’Algérie, la population de Tindouf hissa le drapeau marocain. Le 3 septembre, l’armée algérienne tira sur la foule réclamant le retour de Tindouf au Maroc. Le 2 octobre, le caïd fut sommé de retirer le drapeau marocain qui flottait sur la kasbah. Le 8 octobre, l’armée algérienne investit Tindouf et, devant la répression algérienne, le caïd fut contraint de s’enfuir au Maroc avec plusieurs milliers d’habitants.
Comme l’écrit le roi Hassan II dans «Le Défi»: «À Tindouf, où le caïd et toute sa tribu ont rappelé qu’ils sont Marocains, on dépêche 600 gendarmes algériens. Une opération militaire algérienne sur Tindouf fait 100 morts parmi nos compatriotes».
Ces amputations du territoire marocain ont été clairement mises en évidence dans un important document de la Résidence générale de la République française au Maroc en date du 4 février 1924 et signé du maréchal Lyautey:
«Il n’est pas douteux que (…) l’Empire chérifien étendait nettement son influence au sud de l’Algérie, et il coupait celle-ci du Sahara proprement dit: les Oasis sahariennes du Touat, du Gourara et du Tidikelt relevaient depuis plusieurs siècles du Sultan du Maroc. (…) Des gouverneurs marocains y demeurèrent jusqu’à l’occupation française d’In Salah qui provoqua des protestations du Makhzen (…) Il ressort également qu’encore en 1897, le Tidikelt envoyait des cadeaux au Sultan (…) En 1917, le Général Gouraud, qui était alors Commissaire résident général par intérim, demanda le retour de Colomb Béchar au Maroc (…).»