Une carte permet de prendre la mesure de la mauvaise foi des dirigeants algériens, car, à sa lecture, l’évidence saute aux yeux, à savoir que le Sahara dit «occidental» ne fut qu’une partie des amputations territoriales subies par le Maroc. En plus de ses provinces du Sud, le Maroc fut en effet très largement privé de celles comprises entre Figuig et la région du Touat d’une part, et entre le Drâa et les actuelles frontières de la Mauritanie et du Mali d’autre part.
Comme l’a remarqué en son temps Pierre July, qui fut ministre des Affaires marocaines et tunisiennes du 23 février au 20 octobre 1955 dans le gouvernement Edgar Faure:
«Historiquement, le Maroc est absolument fondé, preuves à l’appui, pour réclamer les régions de Colomb-Béchar, de la Saoura et du Touat, qui étaient administrativement marocaines au début de ce siècle.» (Pierre July, «Le conflit algéro-marocain», La Gazette française du 29 janvier 1963).
Or, ces amputations, qui se firent au profit de l’Algérie, sont la conséquence du traité de paix signé à Tanger, à Dar Niaba el Cherifa, alors le siège du ministère des Affaires étrangères du Maroc, entre les représentants du sultan Moulay Abderrahmane ben Hicham (1822-1859), et ceux du roi des Français, Louis-Philippe, le 10 septembre 1844. Comme ce traité prévoyait l’établissement d’une délimitation frontalière entre le Maroc et les possessions françaises de la future Algérie, le 18 mars 1845, fut donc signée la Convention de Lalla Maghnia.

Dans son article 1er, cette dernière stipulait que les limites qui existaient autrefois entre le Maroc et la Turquie resteraient les mêmes, à savoir l’Oued Tafna. Comme la colonie turque d’Alger n’avait d’autorité que sur une petite partie de l’actuelle Algérie -la Kabylie, les plateaux du Sud et le Sud-Oranais lui échappaient-, et comme les régions sahariennes lui étaient inconnues, la délimitation frontalière fut donc très partielle. D’où les amputations successives qu’allait subir le Maroc.
La Convention de Lalla Maghnia distinguait trois secteurs:
1- Premier secteur: De la Méditerranée jusqu’au col de Teniet-Sassi, soit sur 120 kilomètres environ, la frontière était celle qui existait entre le Maroc et l’Empire ottoman avant 1830, date de la prise de contrôle par la France (art. 3).
2- Deuxième secteur: De Teniet-Sassi jusqu’à Figuig, soit sur environ 250 kilomètres, il était procédé à une simple répartition des tribus et des «kessours» (ksours) entre le Maroc et l’Algérie française (art. 4 et 5). La Convention de Lalla Maghnia fut ultérieurement complétée sur des points mineurs par les accords de 1901 et 1902, sans toutefois que soit fixée une frontière précise.
3- Troisième secteur: Au sud de Figuig (art. 4), la convention excluait le bornage frontalier, car il était écrit que, comme il s’agissait du «désert proprement dit (…) la délimitation en serait superflue» (art. 6).
«En réalité, et la carte le montre bien, la Convention de Lalla Maghnia ne concernait que la partie nord de la frontière entre le Maroc et les possessions françaises de la future Algérie.»
S’appuyant sur ces articles, l’Algérie soutient, contre le réel et contre l’histoire, que le Maroc et la France auraient donc ainsi implicitement reconnu que le Sahara était alors une res nullius, dont la propriété reviendrait au premier occupant, c’est-à-dire à la France, dont l’Algérie indépendante se considère comme l’héritière… Or, deux objections majeures vont à l’encontre de la thèse algérienne. L’une est géographique, l’autre historique.
Au sud de Figuig le climat est certes désertique, mais ce n’est pas un désert, car la région abritait plusieurs centaines de ksours peuplés par des dizaines de milliers de sujets marocains, notamment le long de la vallée de la Saoura, et sur une longueur de 600 kilomètres.
De plus, il s’agissait d’une dépendance marocaine traversée et animée de temps immémorial par une voie commerciale qui, partant de Marrakech et du Tafilalet, aboutissait au Niger. Jusqu’en 1901-1902, date de la conquête française, la région relevait d’ailleurs de la souveraineté marocaine, car les sultans y nommaient leurs représentants et y prélevaient l’impôt. Quant à la prière, partout, elle y était dite en leur nom.
En réalité, et la carte le montre bien, les Accords de Lalla Maghnia ne concernaient que la partie nord de la frontière entre le Maroc et les possessions françaises de la future Algérie, c’est-à-dire de la Méditerranée jusqu’à Figuig. Au sud de Figuig, il était en effet inutile de tracer une frontière, puisque la ligne plein sud aboutissait effectivement au désert, en l’occurrence au Grand erg occidental, qui se prolonge jusqu’au nord de l’actuel Mali. Et la délimitation frontalière n’avait pas lieu d’être, puisqu’il s’agissait de territoires marocains (Touat, Tidikelt, Gourara etc.).