L’information est passée sous les radars. Elle en dit cependant long sur une manœuvre bien calibrée pour déstabiliser sérieusement le chef présumé de l’État. Le 15 juin 2025, la justice algérienne a rouvert un dossier qu’Abdelmadjid Tebboune croyait à jamais enterré: le procès dit El Bouchi, du nom de ce promoteur immobilier reconverti en narcotrafiquant, dont les 701 kg de cocaïne saisis au port d’Oran en mai 2018 avaient plongé l’Algérie dans un séisme politico-judiciaire. Ce procès, ressuscité par un clan visiblement opposé à Tebboune au sein même du régime, est bien plus qu’un baroud judiciaire. Il constitue un acte de guerre dans l’interminable bras de fer entre les factions du pouvoir algérien. Et au centre de cette tempête, un nom revient: Khaled Tebboune, fils du président algérien. Car si ce procès refait surface en 2025, c’est pour rappeler au public algérien, et au monde, l’une des affaires les plus embarrassantes du «règne», même relatif, d’Abdelmadjid Tebboune.
Encore une fois, et grâce au forcing du padre, le procès a été reporté… sine die. Aucune date de reprise n’a été donnée. Un fait rarissime. «Un renvoi sans date peut parfois être utilisé stratégiquement pour enterrer un dossier, surtout dans les affaires sensibles. C’est pourquoi une telle décision doit être motivée et documentée. Les parties peuvent, dans certains cas, saisir l’instance supérieure (ex: ministère public, Cour d’appel) si elles estiment qu’il y a abus ou atteinte à leurs droits», explique un expert. Or, en l’espèce, rien ne justifie un renvoi aux calendes grecques si ce n’est que papa est passé par là.
Derrière la relance du procès El Bouchi se cache bien plus qu’un simple zèle judiciaire: c’est un signal fort envoyé à la présidence. Un avertissement. Car depuis sa prise de fonction en décembre 2019, Abdelmadjid Tebboune s’est acharné à faire disparaître toute trace de cette affaire, allant jusqu’à faire acquitter son propre fils Khaled malgré des accusations graves de «corruption», «abus de fonction», «trafic d’influence» et «perception d’indus cadeaux». Tout avait été orchestré pour refermer le dossier. La Cour suprême avait, dès janvier 2020, réécrit les chefs d’inculpation. Le juge du tribunal de Sidi M’Hamed avait déroulé une audience à sens unique. Résultat: acquittement express le 26 février 2020. L’exemple parfait d’une justice soumise, dénaturée, instrumentalisée.
Le fils du président, VIP de la prison El Harrach
Pour rappel, Khaled Tebboune avait été arrêté en 2018 alors que son père était en disgrâce après un bref passage en tant que premier ministre du 25 mai au 15 août 2017. Incarcéré à la prison d’El Harrach, il avait bénéficié d’un traitement de faveur flagrant dès l’élection de son père à la présidence. L’infirmerie avait été transformée en loft VIP pour l’accueillir. Le directeur de la prison lui-même l’avait ordonné: «il ne restera pas longtemps», glissait-il, comme pour annoncer une grâce anticipée.
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Et en effet, la machine d’État s’était mise en branle. Une justice aux ordres, des procureurs dociles, et un président tout-puissant prêt à tout pour soustraire son fils aux conséquences de ses actes. Même l’opinion publique, choquée, n’avait pas réussi à faire plier ce mur d’impunité érigé autour de la dynastie Tebboune.
Ce que la réouverture du procès El Bouchi vient bousculer, c’est le mythe de l’omnipotence présidentielle. Elle montre qu’au sein même du pouvoir, des factions ont choisi de frapper là où ça fait mal: dans le clan familial.
Car Khaled n’est pas un cas isolé. La présidence Tebboune a pris des airs de monarchie d’un autre âge: chaque enfant du président semble avoir sa sphère d’influence. Mohamed, le fils aîné, est conseiller occulte. Salaheddine Ilyes, amateur de berlines présidentielles, manœuvre en coulisses. Saloua et Maha s’imposent dans les nominations et les réseaux d’influence. Un véritable gouvernement de l’ombre, organisé autour des caprices familiaux.
Un président mafieux dans un État clanique
Tebboune, qui avait promis d’assainir la vie publique, s’est mué en chef de clan, usant des ressources de l’État comme d’un patrimoine personnel. L’affaire Amir DZ, opposant en exil en France, cible d’un enlèvement et d’une tentative d’assassinat orchestrés depuis Alger en avril 2024, est un autre indice du fonctionnement mafieux du pouvoir. L’opération, menée par les services secrets algériens, aurait été validée directement par Tebboune lui-même, selon plusieurs sources bien informées. Des agents du consulat de Créteil étaient mobilisés pour cette barbouzerie digne des années noires.
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Plus récemment encore, l’affaire du visa refusé à l’avocat de Boualem Sansal révèle la personnalisation extrême du pouvoir: c’est la présidence qui a ordonné l’obstruction, pour punir un écrivain que Tebboune avait publiquement insulté. Ce n’est plus une gouvernance, c’est une vendetta à ciel ouvert.
Avec la réouverture du procès El Bouchi, c’est tout l’édifice de l’impunité présidentielle qui se fissure. Le message envoyé est limpide: le président ne pourra pas éternellement protéger ses enfants ni verrouiller la justice. La résurgence de ce dossier sensible montre que les batailles d’influence n’épargnent plus la famille présidentielle. Et que dans ce système fondé sur le secret, la peur et les arrangements, des règlements de comptes internes peuvent surgir à tout moment.
Abdelmadjid Tebboune pensait avoir refermé la page de la cocaïne d’Oran. Mais la guerre des clans a décidé de la rouvrir. Et cette fois, c’est peut-être son propre fauteuil qui vacille.
Affaire Khalifa: un passé qui colle aux basques du président algérien
Présenté comme l’homme du renouveau post-Bouteflika, le parangon de «l’Algérie nouvelle», Abdelmadjid Tebboune, porte pourtant les stigmates d’une gouvernance qu’il prétend combattre. Au cœur de l’affaire Khalifa, l’un des plus grands scandales financiers de l’Algérie indépendante, son rôle trouble refait surface, entre zones grises judiciaires, privilèges de caste et immunités opportunes.
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On s’en souvient. Le 12 décembre 2019, Abdelmadjid Tebboune accède à la présidence de la République, dans un climat de rejet populaire massif. Pour beaucoup, cette élection, adoubée par le chef d’état-major de l’armée, incarne la perpétuation d’un système honni. Mais un détail achoppe: le «joker» choisi par Gaïd Salah pour redonner un visage civil au régime est tout sauf un homme neuf. Tebboune traine un lourd passé ministériel… et judiciaire.
En 2001, alors ministre du Logement, il figure parmi les membres du gouvernement cités dans le gigantesque scandale de la Khalifa Bank. Véritable pyramide de Ponzi d’État, le montage orchestré par Rafik Khalifa a siphonné plus de 6 milliards de dollars d’argent public, en grande partie issus des dépôts de grandes entreprises nationales et des OPGI (Offices publics de gestion immobilière).
Lors du premier procès en 2007 à Blida, plusieurs directeurs d’OPGI désignent nommément Tebboune comme l’auteur de correspondances ministérielles les incitant à placer leurs excédents de trésorerie dans les banques privées, alors que la seule en activité à l’époque était celle de Khalifa. Face à la gravité des faits, Tebboune est convoqué comme témoin. Il nie en bloc et s’abrite derrière l’indépendance juridique des OPGI. Pourtant, les accusés des offices, eux, pointent un seul donneur d’ordre: leur ministre de tutelle. Le tribunal retient leur exécution des «ordres venus d’en haut» sans remonter davantage la chaîne de commandement.
Un crédit fantôme et une carte Gold bien réelle
Mais l’affaire ne s’arrête pas aux seules correspondances. La justice interroge également Tebboune sur une mystérieuse Mastercard à son nom, émise par Khalifa Bank, alors qu’il affirme n’avoir jamais eu de compte chez l’établissement. Il reconnaît l’avoir utilisée en 2002 pour payer des soins médicaux et des nuits d’hôtel à Paris. Montant estimé du crédit? 34.000 dollars selon le liquidateur de Khalifa.
Un document transmis à la Cour suprême, puis brièvement publié par El Khabar avant retrait sous pression, établit une liste de 20 personnalités ayant bénéficié de cartes de crédit prépayées à l’étranger. Parmi elles, Tebboune, toujours décrit comme «l’homme propre» du régime. Aucun remboursement n’a été effectué.
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En 2012, surprise: Tebboune est inculpé dans le cadre de l’affaire Khalifa par la Cour suprême, pour «complicité dans la dilapidation de deniers publics», «détournement de fonds» et «délit d’initié». Il bénéficie toutefois d’un traitement de faveur: placé en liberté dans l’attente de l’instruction, il profite du privilège de juridiction réservé aux hauts responsables, selon les articles 574 à 577 du Code de procédure pénale.
Quelques mois plus tard, le même Tebboune est réintégré au gouvernement comme ministre de l’Habitat dans le cabinet Sellal. Le tour de passe-passe judiciaire transforme l’accusé en témoin, puis en ministre. En 2019, c’est ce même homme, au passé toujours flou, qui sera présenté comme la figure du changement par un régime militaire aux abois.
Des hauts fonctionnaires ou ministres «grassement servis» sans jamais apparaître officiellement comme donneurs d’ordre. Et pendant que les seconds couteaux purgent des peines de prison, les poids lourds du système, eux, grimpent les échelons.
À elle seule, l’affaire Khalifa illustre à merveille l’impunité sélective en Algérie. Tebboune, ancien bénéficiaire du système, en est aujourd’hui le garant suprême. Mais la relance du procès El Bouchi sonne un rappel des nombreuses casseroles que traine la famille Tebboune. C’est aussi un rappel du passé sulfureux d’un homme qui était l’un des bénéficiaires de pratiques qu’il prétend combattre.