L’admirable réaction de Boualem Sansal aux 10 ans de prison requis contre lui en appel

L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, Paris le 4 septembre 2015. AFP or licensors

Le monde retenait son souffle dans l’attente du procès en appel de l’écrivain et essayiste franco-algérien Boualem Sansal, espérant une issue favorable et une révision du verdict de son premier procès dont la peine requise était de 5 ans d’emprisonnement et 500.000 dinars d’amende. Mais le 24 juin, c’est un tout autre scénario, complètement ubuesque, qui s’est déroulé en présence de Boualem Sansal, droit dans ses bottes bien que privé d’avocat sur instruction de Tebboune.

Le 24/06/2025 à 19h12

Le 24 juin s’est joué le nouvel acte d’une tragédie algérienne, celle de Boualem Sansal. L’écrivain a été présenté au matin du mardi 24 juin, «selon le rituel des Régimes: un procès en appel au matin, sans avocats et avec un réquisitoire stalinien», annonce le journal français Le Point. Dans la salle, un journaliste algérien, «l’un des rares présents sur place», rapporte le journal, qui citant des témoins présents sur place, annonce que «la juge a été sévère».

Sévère? Un euphémisme si l’on en croit la peine requise contre Boualem Sansal par le procureur: 10 ans de prison ferme et un million de dinars d’amende. En somme, le double du verdict du premier procès contre lequel l’écrivain faisait appel. Un coup de massue pour l’homme de lettres, pour ses proches et ses innombrables soutiens de par le monde.

Boualem Sansal, digne jusqu’au bout face à une mascarade de justice

Mais au-delà de ce réquisitoire aberrant, ce qui l’est encore plus est la teneur de ce procès en appel, dont Le Point rapporte quelques précieuses minutes à travers les échanges tenus entre Boualem Sansal et la juge. Ainsi, apprend-on, celui-ci s’est vu rappeler froidement par la juge qu’«il ne faut pas se moquer des symboles de la République». Des propos qui n’ont pas laissé l’écrivain indifférent car celui-ci, privé d’avocat, va alors entrer dans une joute verbale avec la juge afin d’assurer lui-même sa défense.

 «En quoi je me suis moqué?», a-t-il ainsi rétorqué avant que celle-ci ne cite alors un message retrouvé sur le téléphone de Boualem Sansal, adressé à l’ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, avec lequel l’écrivain entretient une amitié de longue date: «Heureusement que nous avons le pétrole et Chengriha».

Boualem Sansal interroge alors la juge: «En quoi c’est insultant?»… Aucune réponse du tribunal.

Viennent ensuite les accusations qui pèsent contre lui, suite aux propos qu’il a tenus sur le plateau de l’émission Frontières en octobre 2024 au sujet des frontières orientales du Maroc avec l’Algérie. Pour rappel, celui-ci rappelait alors un fait historique connu de tous et amplement documenté: «Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc: Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara», rappelait Boualem Sansal. Et de poursuivre: «la France colonise l’Algérie, elle s’installe comme protectorat au Maroc et décide comme ça, arbitrairement, de rattacher tout l’Est du Maroc à l’Algérie, en traçant une frontière». Des propos qui lui valent une liste de chefs d’accusation longue comme un jour sans pain, parmi lesquelles «atteinte à l’unité nationale», «outrage à corps constitué», «pratiques de nature à nuire à l’économie nationale» et «détention de vidéos et de publications menaçant la sécurité et la stabilité du pays».

Interrogé à nouveau sur ces propos, Boualem Sansal n’a pas failli à son intégrité, et récusant l’accusation avec courage, a de nouveau expliqué que si les frontières algériennes étaient intangibles depuis l’indépendance, ce qu’il avait dit était en revanche une réalité historique, rapporte Le Point.

Et la juge de passer à un autre sujet: «Pourquoi vous êtes-vous rendu en Israël?», interroge-t-elle comme si c’était un crime. Car cette question est loin d’être anodine en Algérie, où le haut degré d’antisémitisme qui gangrène toute la stratosphère au pouvoir a d’ailleurs valu à l’avocat de Boualem Sansal, Me François Zimmeray, d’être écarté de sa défense en raison de sa judaïté.

«Je suis un écrivain, c’est un Salon du livre», lui rétorque Sansal qui se voit alors reprocher la teneur de ses écrits, comme on le ferait pour un assassin qui aurait commis un crime. «Vous n’avez pas d’autres choses à écrire que de médire de l’Algérie? Pourquoi vous n’écrivez pas autre chose?», questionne la juge en donnant un peu plus à cette audience la tournure d’une mauvaise farce.

À cette question aussi, Boualem Sansal a répondu avec dignité, courage et intégrité en rappelant à son détracteur: «Vous n’avez pas à juger mes livres».

À court d’arguments vraisemblablement, il n’aura fallu que quelques minutes au procureur pour signer l’épilogue de ce procès en annonçant un réquisitoire auquel personne ne s’attendait, si ce n’est le pouvoir algérien: «Dix ans de prison et un million de dinars en amende».

À l’écoute de ce réquisitoire, Boualem Sansal a perdu son sang-froid… comment ne le pourrait-il pas? «Je proteste, ce que vous dites n’a pas de sens. La Constitution algérienne garantit la liberté d’expression, et là vous êtes en train de faire le procès de la liberté d’expression et de la littérature», s’est-il écrié, bouleversé.

Dix ans de réclusion: un arrêt de mort

La peine requise par le parquet douche les fragiles espoirs que nourrissait encore la diplomatie française en faveur d’une libération de Boualem Sansal. D’autant, rappelle l’hebdomadaire Le Point, que «tout semblait avoir été expérimenté», de la diplomatie discrète, à la prudence, et jusqu’à «la consigne de ne pas surchauffer les médias en France et que beaucoup ont respectée, dans l’espoir de voir l’écrivain quitter sa geôle», ainsi que l’appel à dépolitiser le dossier, explique le média.

La France est allée jusqu’à consentir à soutenir la solution d’un avocat français– mais surtout non juif – autorisé à se rendre sur place à Alger, afin de remplacer Me Zimmeray, recalé par les autorités algériennes dans son rôle d’avocat de Boualem Sansal en raison d’une «judaïté disqualifiante». Tout cela aura donc été vain.

Abdelmadjid Tebboune à la manœuvre

La désillusion est donc totale… ou presque. Car qu’espérait-on in fine? interroge Le Point. Autre chose assurément, comme «peut-être un recul du ‘Régime’ sur le verdict», ou pourquoi pas «une grâce présidentielle à la veille de la Fête de l’indépendance algérienne», ou encore, se prend-on encore à rêver «une condamnation à l’équivalent des mois passés en emprisonnement pour l’écrivain». Et jusqu’à avoir pensé, pendant quelques minutes au moins, que «la sensibilité à ce qui se déroule au Proche Orient peut-être, ou bien le souci de stabilité» auraient pu attendrir le régime qui a pourtant fait la sourde oreille, et ce malgré «l’intercession d’un écrivain algérien, ancien militaire toujours proche du régime», rappelle Le Point, évoquant sans le nommer Yasmina Khadra qui a publiquement plaidé pour la libération de Boualem Sansal, auprès du président algérien Abdelmadjid Tebboune.

À quoi fallait-il s’attendre malgré toutes ces marques d’espoir? En résumé à rien, car quelques jours déjà avant le procès, «les signaux se multipliaient» comme autant de présages d’une funeste issue pour Boualem Sansal, explique le média. Tout a été fait côté algérien pour mettre des bâtons dans les roues de sa défense. Ainsi, son nouvel avocat a-t-il attendu jusqu’à la veille du procès un visa… sans réponse.

Malgré ses nombreuses demandes, ses tout aussi nombreux déplacements au consulat d’Algérie à Paris, sa mobilisation constante pour réunir les documents demandés afin d’obtenir un simple visa bien que muni d’une invitation algérienne parrainée par le bâtonnier lui-même et le ministre de la Justice algérien stipulant être au fait du programme «algérois» du défenseur…. Rien. Si ce n’est une réponse qui revient comme une litanie: «Le Consulat expliquait que le vice-consul, seule personne habilitée à tamponner le passeport, était… absent», ce qui «en langage algérien (…) signifiait un manque de consignes ‘d’en haut’», rapporte une source au média. Entendez par haut lieu, Abdelmadjid Tebboune.

Puis, le réquisitoire du parquet est tombé comme un couperet, confirmant ce que l’on pressentait déjà, à savoir que l’interdiction par Tebboune d’un avocat à Boualem Sansal n’augurait rien de bon. Dans cette affaire devenue personnelle pour le président algérien: «C’est la présidence algérienne qui récupère la main sur la demande de visa de l’avocat», a-t-on fait savoir à la défense de Boualem Sansal, celui-là même que le président algérien traitait le 29 décembre 2024 dans un discours officiel d’ «imposteur envoyé par la France», de «voleur», à «l’identité inconnue» et de «bâtard». Rien que ça…

Une manière de faire toute «présidentielle» qui rappelle l’affaire de l’enlèvement et de la tentative d’assassinat en France de l’opposant algérien Amir DZ en avril 2024, qui a mis à nu l’implication directe de Tebboune, aux commandes de cette barbouzerie perpétrée sur le sol français par les renseignements algériens et exécutée par des agents opérant dans le consulat de Créteil.

Que cherche le locataire de la Mouradia en allant jusqu’à s’opposer à l’obtention d’un visa par un avocat? À provoquer un bras de fer de plus avec la France? À montrer aux autres clans du «Système» qu’il ne se laissera pas intimider? Mais à ce jeu-là, faut-il rappeler que le président risque d’y perdre des plumes, ou plutôt ses fils. Il a bien réussi à renvoyer aux calendes grecques le procès de Kamal Chikhi, dit El Bouchi, dans l’affaire de la saisie d’une cargaison de 701 kg de cocaïne dans le port d’Oran au mois de mai 2018. Il n’y a pas eu de commentaires sur l’exhumation de ce procès le 15 juin 2025 au tribunal de Dar El Beïda.

La reprise de ce procès est une humiliation pour Tebboune. Cette audace ne peut être l’œuvre que d’un clan hostile à Tebboune. Car déterrer le procès d’El Bouchi, c’est remettre au goût du jour l’implication avérée dans un trafic de cocaïne de Khaled Tebboune, fils du président algérien, qui a été incarcéré au pénitencier d’El Harrach avant que son géniteur ne soit désigné président de la république algérienne par feu Gaid Salah et ne le libère dare-dare. Tebboune a réussi peut-être un deuxième enterrement du procès d’El Bouchi. Mais il ne réussira pas à biffer les noms de ses fils, Mohamed, Salahedine Ilyes et Khaled de la liste des dignitaires algériens pour biens mal acquis que les autorités françaises peuvent à tout moment diffuser.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 24/06/2025 à 19h12