Le cas Sansal au Parlement français

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniquePour une libération inconditionnelle de Boualem Sansal… à quelles conditions? Les débats parlementaires sur une résolution appelant à la libération immédiate et sans condition de l’écrivain ont inventorié toute une gamme de mesures envisageables, mais livré un sentiment d’impuissance collective à venir au secours du romancier franco-algérien.

Le 10/05/2025 à 10h01

Sansal, encore une fois… On croyait avoir tout entendu, en près de six mois de combat des uns, d’indifférence des autres, de statu quo général. Mais le spectacle qu’a offert la gauche radicale dans l’hémicycle, lors du débat autour du sort de l’écrivain, a rappelé qu’il y a toujours pire que le pire. Les élus de La France insoumise ont tenté de faire réécrire la résolution proposée par leurs collègues en l’expurgeant de toute critique du régime et de toute condition posée à Alger («Lorsque l’on soumet l’accord d’association entre l’Algérie et l’Union européenne à des conditions, comme le fait ce texte, il ne s’agit plus de demander la libération inconditionnelle de Boualem Sansal»), pour finalement se désolidariser de l’ensemble du texte dans une posture tout en finesse: «Nous disons oui à la libération de Boualem Sansal, mais non à l’algérophobie

Un vote «contre» isolé -puisque même les Communistes, pourtant très critiques, se sont abstenus- et marquant une radicalisation, tant par rapport à leur vote préalable en commission, qu’en comparaison avec l’abstention choisie par certains de leurs élus sur le vote de Strasbourg, en janvier 2025. Cette fois, une seule ligne: la meilleure défense d’Alger, c’est l’attaque. Contre les parlementaires («Si la situation politique est bloquée, c’est parce que des représentants du peuple français continuent de se comporter en colons, ici dans l’hémicycle»), contre le gouvernement et «l’agressivité et l’escalade irresponsable vis-à-vis de l’Algérie que s’emploient à créer depuis des mois des responsables politiques français», et finalement contre le président Macron («Vous oubliez ce qui s’est passé en juillet 2024! Il n’y a pas eu que les JO, mais aussi le Sahara occidental!»).

À partir d’un texte valant «résolution européenne» -c’est-à-dire sans aucune valeur juridique, les autres groupes politiques ont tenté un exercice pour autant difficile, conscients de la nécessité, 170 jours après l’incarcération de Boualem Sansal, d’en faire plus qu’un simple vote contre l’oubli: «Puisque nous discutons d’une proposition de résolution européenne, nous proposons de faire de la libération de Boualem Sansal non seulement une priorité française, mais aussi un impératif européen». Plus, mais pas trop puisque tant le rapporteur que le ministre chargé de l’Europe ont posé en séance les limites de l’exercice: toute mention de politique publique nationale ou ayant trait à la relation franco-algérienne à proprement parler doit être considérée hors sujet.

«Des parlementaires français invitent leur gouvernement et les institutions européennes à faire de la libération de Sansal une exigence préalable dans le cadre des discussions sur la révision de l’accord d’association UE-Algérie.»

Ce principe n’a souffert d’aucune exception pendant les votes: balayés les amendements proposant un moratoire sur les visas, rejetées les demandes de suppression de l’aide publique au développement à destination de l’Algérie, retoquées les propositions de gel des achats d’hydrocarbures. Que restait-il aux élus pour tomber d’accord? Une proposition de nomination de Boualem Sansal au poste d’Ambassadeur de la Francophonie, l’appel à une mission médicale internationale afin d’évaluer l’état de santé de l’écrivain âgé, déjà formulée sans succès par le Parlement européen en janvier. Une santé et un âge martelés pour obtenir des autorités algériennes un geste humanitaire, le «geste de clémence et d’humanité» que le président Macron attend depuis plus d’un mois de son homologue Tebboune.

Reste un point sur lequel l’initiative des parlementaires français apparaît audacieuse et potentiellement efficace. Ils invitent leur gouvernement et les institutions européennes à faire de la libération de Boualem Sansal une exigence préalable dans le cadre des discussions sur la révision de l’accord d’association UE-Algérie. Audacieuse, car ils vont plus loin que leurs collègues européens. La résolution votée, à Strasbourg, en janvier 2025 demandait «seulement» -sans lier directement la révision de l’accord au sort de Sansal- un renouvellement du partenariat fondé sur la réalisation de progrès constants et substantiels dans le domaine de la liberté d’expression. Efficace? Si la France est capable d’un sursaut et d’exigence, d’abord vis-à-vis de la Commission. À une question d’eurodéputés français l’interrogeant sur des «mesures de rétorsion ou sanctions ciblées», la commissaire Kallas vient de répondre que «l’UE a évoqué à plusieurs reprises et à plusieurs niveaux, auprès des autorités algériennes, le cas de Boualem Sansal afin d’obtenir sa libération. Pour y parvenir, maintenir un dialogue continu reste le moyen le plus efficace». Jusqu’à la mort de l’écrivain?

Avertissement à l’Europe! Dans son dernier essai, Sansal empruntait les mots de Thomas Mann: «Tout humanisme comporte un élément de faiblesse qui tient à son mépris du fanatisme, à sa tolérance et à son penchant pour le doute, bref, à sa bonté naturelle, et peut, dans certains cas, lui être fatal

Par Florence Kuntz
Le 10/05/2025 à 10h01