Entre constantes et circonstances, comment l’UE liste les organisations terroristes étrangères

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueDans la foulée de notes à charge de think tanks américains, des sénateurs Républicains plaident en faveur d’une inscription du Front Polisario sur la liste des organisations terroristes étrangères. Quid des politiques européennes en la matière?

Le 03/05/2025 à 10h01

Lister les organisations terroristes? C’est en 2001, sonné par les attentats du World Trade Center, que l’Occident, à travers un arsenal destiné à terroriser les terroristes, a notamment édité des listes d’individus et d’entités impliqués dans des actes de terrorisme, avec un double objectif: pouvoir contrôler les flux humains des cerveaux, auteurs et complices, et financiers des sponsors. Au niveau international (résolution 1373 du Conseil de sécurité) et européen (Position 931), l’ONU et l’Union européenne (UE) ont repris une initiative du Département d’État américain, de 1995, visant à publier les noms de personnes physiques ou organisations objet de sanctions: gel des fonds et avoirs et interdiction de circulation. Lançant, sur cette même période, une guerre totale contre le terrorisme, les États-Unis ont renforcé leur méthode de liste d’organisations terroristes étrangères «menaçant la sécurité des États-Unis ou de citoyens américains». Toute ressemblance entre les législations mises en place s’arrête là: aucune définition commune du terme «terrorisme» n’existe au niveau des institutions internationales. Et, y compris au niveau européen, les différents gouvernements ont chacun leur propre liste d’organisations terroristes.

C’est pourquoi, alors que dans la foulée des attentats de New York, puis de ceux qui ont successivement meurtri Madrid, Paris et Bruxelles, l’Europe s’est dotée d’instruments de lutte globale contre le terrorisme -coordinateur dédié, agence Europol, Centre européen de lutte contre le terrorisme-, la liste qui comprend des personnes et des groupes agissant à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE reste de la compétence du Conseil européen, c’est-à-dire des ministres des Affaires étrangères des pays membres. Et cette liste, révisée «au minimum tous les 6 mois», l’est à l’unanimité des États membres, et «uniquement si une décision a été prise en la matière par une autorité compétente d’un État membre ou d’un pays tiers».

Si l’Europe sait d’expérience combien le terroriste des uns peut être le résistant des autres -c’est au nom de la lutte contre les actes terroristes qu’au siècle dernier, à Paris, le Commandement militaire allemand faisait emprisonner ou exécuter ceux qui tentaient de rejoindre les Forces françaises libres ou les jeunes résistants communistes- et que la qualification de «terroriste» est d’abord lourde de sens politique, une lecture attentive de la liste des organisations répertoriées par l’UE depuis vingt ans (et en creux de celle des absents) dit beaucoup de son utilisation comme instrument de politique étrangère (par exemple, les tentatives d’y faire inscrire le groupe Wagner) et des désaccords entre États membres (par exemple, sur les interlocuteurs politiques au Proche et Moyen-Orient). En témoignent les différents traitements réservés aux mouvements palestiniens, en leurs branches politiques et/ou militaires.

«Mais vu d’Europe, on doit a minima lire les initiatives américaines comme une incitation faite aux autorités européennes à contrôler davantage l’activité des camps de Tindouf, gérés par le Polisario et financés par Bruxelles.»

Dans sa mise à jour de 2025, la liste européenne compte 14 individus et 22 organisations. N’y figurent ni les Pasdaran iraniens ni la branche politique du Hezbollah, deux mouvements ciblés par Washington, et que des chercheurs américains -et le sénateur de Caroline du Sud Joe Wilson- accusent d’aider militairement le Front Polisario.

Le Conseil européen a désigné la seule branche militaire du Hezbollah au titre du régime de sanctions de l’UE. Il n’a pas trouvé d’unanimité au sein des États membres pour inscrire sa branche politique sur cette même liste, alors que certains pays européens, comme les Pays-Bas ou la Lituanie, sanctionnent les deux branches du mouvement libanais. Quant aux Gardiens de la Révolution iraniens, un lobbying actif travaille à leur inscription sur la liste des organisations terroristes. En janvier 2023, le Parlement européen a adopté une résolution demandant à l’UE de procéder à cette désignation, tandis qu’un collectif de droite et centre-droit interpellait le Haut Représentant Josep Borrell sur cette mesure, lequel a répondu, selon la jurisprudence du Conseil, qu’«il faut d’abord une décision de justice. On ne pourra le faire qu’une fois qu’une juridiction de l’un des États membres aura rendu une décision condamnant concrètement l’organisation». Hors du Parlement européen, une tribune de parlementaires des 27 relayait cette demande à l’automne 2023, rappelant finalement le dessein d’une telle liste d’organisations terroristes: «Au-delà de la condamnation, l’Europe, évidemment, a une influence et un rôle à jouer. Il y a d’abord une finalité symbolique et politique à nommer les choses.»

On ne peut préjuger de l’issue du combat parlementaire des Congressmen et leur capacité à convaincre leurs collègues du danger que représenterait le Front Polisario pour la sécurité des États-Unis. Mais vu d’Europe, où la frontière sud commence au Sahel, on doit a minima lire les initiatives américaines comme une incitation faite aux autorités européennes à contrôler davantage l’activité des camps de Tindouf, gérés par le Polisario et financés par Bruxelles.

Par Florence Kuntz
Le 03/05/2025 à 10h01