L’Europe au SIAM: États membres et états d’âme

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueLa mobilisation des États membres et l’engouement des entreprises européennes pour le SIAM 2025 accroît la pression sur des institutions européennes à l’épreuve, au moment où Bruxelles doit régler le hiatus entre le dynamisme des coopérations politiques et économiques avec Rabat et la jurisprudence, hors sol des juges de Luxembourg.

Le 26/04/2025 à 10h05

«La présence de l’UE au SIAM 2025, ainsi que celle de nombreux États membres et d’entreprises européennes, constitue un reflet de la vitalité des relations commerciales entre l’UE et le Maroc.»

Les chiffres donnent effectivement raison au satisfecit du Service d’Action Extérieure de l’UE: en 2024, le commerce bilatéral dépasse les 60 milliards d’euros. L’UE représente près de la moitié des importations marocaines, près des deux tiers de ses exportations, et plus de la moitié des investissements étrangers au Maroc.

Sur le seul volet agricole, les échanges atteignent des niveaux records, dans les deux sens. Depuis l’entrée en vigueur de l’accord agricole en 2012, les exportations marocaines vers le marché européen ont plus que triplé, représentant aujourd’hui 14% des exportations marocaines globales vers l’UE; tandis que les exportations agricoles vers le Maroc comptent pour 10% des exportations globales européennes– et trois fois celles enregistrées en 2012. L’Union européenne a assuré près de 60% des besoins du Maroc en importations de blé.

Dans le même temps, le Maroc est devenu le premier fournisseur de légumes des Européens. Sur la seule année 2024, les volumes de légumes exportés ont crû de 7%; et pour la seule tomate, de 18%, faisant de celle-ci – en valeur– presque 30% des exportations agricoles totales du Maroc vers l’UE. Ces échanges agricoles s’accompagnent de projets stratégiques pour une agriculture marocaine durable, notamment dans le cadre du Partenariat Vert Maroc-UE, et d’une coopération bilatérale renforcée, avec les organismes techniques et les acteurs des secteurs agri-agro des États membres.

Le dynamisme de cette coopération économique n’a d’égal que la vitalité du dialogue politique entre le Maroc et les Européens. Ainsi, à la veille du SIAM, la tournée du ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, dans sept capitales européennes, tant pour renforcer les relations en bilatéral que pour élargir le consensus européen sur plan d’autonomie, fut une réussite, couronnée par le choix d’un parcours riche de sens.

Ce périple, initié et conclu dans les deux capitales européennes moteurs du soutien à la marocanité du Sahara– Paris et Madrid– a fait escale dans deux pays, Croatie et Estonie, majeurs pour le mandat 2024/2029, eu égard aux portefeuilles que leurs représentants occupent au sein de la Commission européenne. La trop discrète Dubravka Suica, ancien maire de Dubrovnik, est chargée de mettre en place un Nouveau Pacte pour la Méditerranée entre les 27 et les pays de la rive Sud. Tandis que l’Estonie, où le ministre a obtenu un soutien au plan marocain comme «bonne base sérieuse et crédible pour une solution convenue entre les parties», tout «en encourageant les autres gouvernements à rejoindre cette position», est le pays de Kaja Kallas, qui porte la voix de la diplomatie européenne.

En Slovénie, Bourita s’est vu confirmer l’engagement d’ouverture d’une ambassade à Rabat à l’été 25, et les deux ministres sont convenus que la décision réciproque du Maroc d’ouvrir une ambassade à Ljubljana donnerait un nouvel élan à la coopération bilatérale: la diplomatie slovène, active en Méditerranée– le premier ministre a inauguré une ambassade à Alger en 2024, et accueille depuis en retour une ambassade d’Algérie– pratique à sa manière les «relations verticales» théorisées par le président Tebboune!

Quant au stop en Moldavie, il illustre la politique proactive du Maroc sur l’ensemble du continent européen. Ici, Rabat noue des relations– et obtient un soutien sur le plan d’autonomie– avec l’un des pays les plus pauvres d’Europe, lequel a gagné son statut de pays candidat en juin 2022, à la faveur de la menace russe, et a démarré en 2024 ce qui s’annonce d’ores et déjà comme un très long processus de négociation.

Peut-on pour autant préjuger du futur de la coopération Maroc-UE? Ainsi que l’a exprimé le roi Mohammed VI dans son discours du 6 novembre dernier, pas de partenariat qui se fasse au détriment de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale du Maroc.

Quand le 4 octobre 2024, trois arrêts de la CJUE ont mis en danger les accords agricoles et enterré de facto l’accord de pêche, la présidente de la Commission européenne et le chef de la diplomatie européenne ont voulu, de concert, rassurer le Maroc. Les capitales européennes ont également soutenu l’importance d’un «partenariat stratégique» avec le Royaume, et avancent depuis, chacune à leur manière, vers un consensus sur le plan d’autonomie proposé par Rabat.

Six mois ont passé sans que Bruxelles ne tranquillise davantage ni le Maroc ni ses partenaires européens. Il lui en reste à peine autant pour respecter ses engagements: Pacta sunt servanda.

Par Florence Kuntz
Le 26/04/2025 à 10h05