La Slovénie, un petit pays aux grandes ambitions régionales

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueNonobstant ses dimensions et son poids démographique, la Slovénie parvient à défendre ses intérêts, en Europe et en Méditerranée.

Le 12/04/2025 à 10h00

À peine plus de 2 millions d’habitants, répartis sur quelque 20.000 kilomètres carrés, et neuf eurodéputés qui les représentent à Bruxelles (contre 96 députés allemands): que pèse la République de Slovénie dans l’Europe des 27? Membre fondateur, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, de la Fédération de Yougoslavie, indépendant dès 1991 et devenu État membre de l’UE en 2004, ce petit pays a su jouer de sa géographie, de son histoire et de ses soutiens parmi les «grands» pour devenir un acteur majeur de la relation entre l’Union européenne et les pays d’Europe centrale et orientale restés à ses portes.

Dès 2008, la Slovénie est le premier des nouveaux États membres à présider le Conseil de l’UE, et en profite pour mettre à l’agenda européen l’intégration des Balkans. En 2016, elle soutient, aux côtés de la Pologne, l’initiative des Trois Mers, créant un dialogue Nord-Sud entre les mers Baltique, Adriatique et mer Noire, et renforçant les projets d’échanges entre les pays de ces littoraux, au nom évocateur de Forum Business des trois mers. Depuis 2022, Kiev est partenaire associé de ce projet qui porte, plus que jamais, la volonté de casser la coopération Est-Ouest avec la Russie. Tant les positions des 27 contre Moscou que la nécessité pour Bruxelles de satisfaire rapidement à la promesse d’élargissement -en accueillant en son sein un État des Balkans- renforcent l’influence d’une Slovénie qui soutient la candidature de son voisin albanais, également ex-république yougoslave, lequel pourrait devenir son allié au sein du club européen avant la fin de la mandature.

En attendant, c’est aussi en Méditerranée que la Slovénie entend jouer sa partie. À un voyage au Maroc du ministre des Affaires étrangères slovène en juin 2024 -lequel a donné lieu à des promesses croisées d’ouverture d’ambassades et aux mots de soutien au plan marocain d’autonomie comme «une bonne base pour parvenir à une solution définitive et consensuelle»- a succédé une séquence algérienne qui s’intensifie: inauguration officielle de l’ambassade de Slovénie en Algérie par le Premier ministre Robert Golob, et inauguration, en retour, de l’ambassade d’Algérie à Ljubljana. Et en 2025, une mesure phare: le décret du président Abdelmadjid Tebboune qui officialise un accord d’exemption mutuelle de visa pour les titulaires de passeports diplomatiques et de mission. Cette annonce, faite le 9 mars dernier, intervient exactement au moment où la France se résout finalement à suspendre ce même type d’accord, dans le cadre d’une «riposte graduée» aux manquements du gouvernement algérien à ses engagements internationaux et à la détention arbitraire de Boualem Sansal.

«Les évolutions de la diplomatie slovène en Méditerranée s’inscrivent dans une dynamique régionale forte, portée par un autre membre fondateur de l’UE: l’Italie de Giorgia Meloni.»

Double pied de nez, d’abord d’Alger à Paris évidemment, mais aussi d’un État membre qui compte 33 fois moins d’habitants que la France à ce pays fondateur de l’UE! Autres temps, autres mœurs: lors de la crise irakienne de 2003, le président Jacques Chirac avait tancé les pays candidats à l’entrée dans l’UE qui osaient braver les diplomaties française et allemande en soutenant les néoconservateurs américains, leur signifiant qu’«ils avaient perdu une belle occasion de se taire». On ne peut s’empêcher de penser que les Slovènes ont perdu une belle occasion de manifester leur solidarité européenne pour un écrivain de nationalité française, donc européen, prisonnier du régime algérien. Et on n’entend personne, à Paris comme à Bruxelles, leur en faire le reproche!

Ces évolutions de la diplomatie slovène en Méditerranée s’inscrivent dans une dynamique régionale forte, portée par un autre membre fondateur de l’UE, voisin de la France comme de la Slovénie: l’Italie de Giorgia Meloni. Si la frontière italo-slovène porte la marque des conflits intra-européens du 20ème siècle, la relation entre les deux États est aujourd’hui au beau fixe. Ils entretiennent des relations bilatérales solides, dans les domaines les plus variés: évidemment la culture -les deux peuples ont pour partie l’italien en partage, qui bénéficie d’un statut de langue officielle-, ainsi que la gestion des flux migratoires sur une route des Balkans très fréquentée par les trafics d’armes et d’êtres humains. Ils ont des intérêts communs sur le sujet du calendrier de l’élargissement, mais aussi dans le secteur de l’énergie. Les deux étaient très dépendants de Moscou avant l’invasion de l’Ukraine. La Slovénie a continué de dépendre du gaz russe importé via l’Autriche après 2022 -encourant les reproches de Bruxelles et l’obligation de se tourner vers une alternative…

C’est ainsi que les «destins interconnectés» de l’Italie et de la Slovénie, qu’aime à célébrer Giorgia Meloni, additionnent une autre connexion, celle du gazoduc Transmed, et le fait qu’Alger a trouvé, en ce petit État d’Europe centrale, un allié précieux dans l’UE.

Par Florence Kuntz
Le 12/04/2025 à 10h00