France-Algérie: les scénarios d’une crise qui dure

Mustapha Tossa.

ChroniqueLa crise entre les deux pays s’installe dans la durée. Et à ce jour, le scénario le plus optimiste serait qu’elle s’arrête là, sans s’enfoncer davantage dans l’escalade et la rupture.

Le 26/05/2025 à 16h10

La crise entre Alger et Paris a atteint un degré de gravité tel qu’il est difficile d’imaginer une solution viable à court terme. Tout indique que les deux pays se sont sans doute involontairement inscrits dans une logique de rupture programmée. La raison principale réside dans le fait que leur bras de fer est devenu une affaire de politique interne dans les deux pays. Le différend est si grave et si profond qu’une réunion, présidée par Emmanuel Macron à l’Élysée, s’est tenue mercredi sur la question.

En Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune tente d’utiliser la haine contre la France comme un levier pour se procurer une légitimité politique, lui, le très mal élu, le mal-aimé de la politique algérienne, malgré les grandes mises en scène d’une popularité factice. En France, l’affaire algérienne est également devenue un enjeu de politique domestique qui fixe les ambitions et trace les carrières.

Les deux pays se sont tellement enfoncés dans un enchevêtrement de complications juridiques et politiques qu’un retour à la normale est devenu impossible. Deux affaires judiciaires sont actuellement en cours, dont la résolution ne dépend pas totalement du politique. La première, algérienne, concerne l’arrestation arbitraire de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Parce que cet intellectuel avait osé rappeler des vérités historiques évidentes selon lesquelles une grande partie de l’Ouest algérien faisait partie de l’empire chérifien, il s’est retrouvé dans les prisons algériennes.

Pire, le président Tebboune s’est impliqué personnellement dans cette affaire avant même que le simulacre de justice algérienne n’ait prononcé son verdict. En effet, les insultes d’une telle violence proférées le 29 décembre dernier par cet individu, devant les deux chambres du Parlement, à l’encontre de Boualem Sansal, rendraient toute grâce présidentielle immédiate perçue comme un autodénigrement et la reconnaissance d’un échec. «Vous venez (la France, NDLR) aujourd’hui m’envoyer un voleur, à l’identité inconnue, un bâtard, pour me dire que la moitié de l’Algérie appartenait en fait à un autre pays (le Maroc, NDLR)!», a en effet martelé le président algérien à propos de l’écrivain.

Par ailleurs, l’armée algérienne considère le cas Sansal comme un baromètre: le libérer serait synonyme de soumission à la France, alors que le maintenir en prison équivaut à une démonstration de fermeté algérienne.

La détention de l’écrivain occupe une place cardinale dans cette crise entre la France et le régime d’Alger. Sa libération aurait permis un apaisement dans leurs relations alors que son maintien en prison aggrave la discorde entre les deux pays.

En France, une affaire judiciaire est venue compliquer toute possibilité de normalisation. Elle concerne les mandats d’arrêt internationaux que Paris s’apprête à lancer contre des personnalités du sérail sécuritaire algérien impliquées dans la tentative d’enlèvement et d’assassinat d’opposants algériens en France, dont la plus célèbre est l’affaire Amir DZ.

«Les deux pays ont entamé une procédure d’expulsion réciproque de leurs diplomates en poste. Et l’affaire s’apparente davantage à un fil de pelote qu’on tire et dont on connaît l’origine mais dont la longueur et la destination sont incertaines»

—  Mustapha Tossa

Si le régime algérien cherchait à faire disparaître ces mandats dans un éventuel processus de négociation, il se heurterait à un mur. En vertu du principe sacré de l’indépendance de la justice, aucun tribunal ou juge français ne subordonnera sa décision aux aléas politiques et diplomatiques. Une fois la machine judiciaire française lancée contre ces personnalités, il est peu probable que la procédure soit interrompue.

À ces blocages d’ordre judiciaire s’ajoutent des complications d’ordre diplomatiques. Les deux pays ont entamé une procédure d’expulsion réciproque de leurs diplomates en poste. Et l’affaire s’apparente davantage à un fil de pelote qu’on tire et dont on connaît l’origine, mais dont la longueur et la destination sont incertaines. La crise entre les deux pays s’installe dans la durée. Et à ce jour, la perspective la plus optimiste serait qu’elle ne s’enfonce pas davantage dans l’escalade et la rupture.

Pour ceux qui connaissent les arcanes de cette crise, deux scénarios s’offrent à ses protagonistes. Soit une décision abrupte et inattendue d’Emmanuel Macron et d’Abdelmadjid Tebboune de se rencontrer pour aplanir toutes les difficultés, en prenant en considération les aléas et les blocages de chacun, notamment ceux engendrés par les défis judiciaires des affaires qui imbriquent leurs intérêts mutuels. Telle serait, au mieux, l’évolution des relations entre les deux nations.

L’autre hypothèse, et c’est la plus plausible selon un réalisme fataliste, est que la crise entre Paris et Alger perdure et s’enlise dans le statu quo jusqu’à un changement de pouvoir politique dans l’une ou l’autre capitale. Emmanuel Macron, qui, pour cause de frein constitutionnel, ne pourra prétendre à un troisième mandat, a pour horizon les élections présidentielles de 2027. Son successeur devra gérer autrement cette crise avec le régime algérien.

Pour Alger, deux facteurs de changement pourraient intervenir. Le premier serait une alternance présidentielle qui, au vu des coutumes politiques locales, pourrait intervenir à n’importe quel moment. Le second serait que ce régime, acculé par ses contradictions, puisse brusquement changer de braquet et tente de corriger les comportements irréfléchis qu’il a commis à l’encontre de la France.

Par Mustapha Tossa
Le 26/05/2025 à 16h10