Le «secret» a été ébruité jeudi 13 février par Mohamed Sifaoui, le bien informé et célèbre journaliste et écrivain franco-algérien, une des bêtes noires du régime d’Alger. Sur Facebook, ce dernier révélait qu’une des figures du «Système», à savoir Abdelaziz Khellaf, conseiller d’Abdelmadjid Tebboune, également son ancien directeur de cabinet et ancien ministre d’Etat, s’était vu refuser l’accès en France. La mesure est somme toute anodine, n’était-ce le fait que notre haut commis de l’Etat est détenteur du graal suprême dont tout apparatchik algérien doit absolument disposer: le passeport diplomatique. Un document de voyage qui n’a de diplomatique que le nom, distribué par le pouvoir algérien en guise de gratification à tous les responsables, civils et militaires qu’il a à la bonne, à leurs épouses, enfants et (accessoirement) concubines. Sa particularité: il dispense son détenteur de visa pour la France. Fièrement muni de ce sésame qui ouvre grands les Champs Elysées, Abdelaziz Khellaf, qui ne manque aucune occasion de cracher sur la France, se croyait pour ainsi dire chez lui. C’est compter sans la capacité de nuisance des autorités françaises quand l’envie leur en prend. Par ces temps de grandes tensions entre Paris et Alger, la tentation était grande. Tout directeur de cabinet et ministre d’Etat qu’il était, Abdelaziz Khellaf a été poliment refoulé. Plusieurs fois ministre, réputé très proche de Tebboune, il a dû rebrousser chemin à bord du premier avion pour Alger.
Tout a commencé cette même semaine, quand, accompagné de son fils, cet octogénaire a décidé de faire le voyage à Paris. Le temps de s’enquérir de ses nombreux biens immobiliers (au moins deux appartements) et de ses enfants installés dans l’Hexagone. Une fois face aux policiers, il s’est vu opposer des visages fermés avant d’essuyer un refus pur et simple d’accès au territoire. Au vu de son âge avancé et de l’heure tardive, il a été transféré à l’hôtel Ibis le plus proche avant d’être placé le lendemain matin dans le premier vol à destination de son pays.
Le motif du refus est de deux ordres. Abdelaziz Khellaf ne justifiait ni d’une assurance voyage ni d’un lieu de séjour en France. Assez, techniquement, pour faire perdre toute valeur à son passeport diplomatique. Comme tout haut responsable algérien qui se respecte, et bien que disposant d’appartements au cœur de la capitale française, le conseiller et ancien directeur de cabinet du président a depuis longtemps trouvé la parade pour échapper à tout questionnement. Ses biens n’étaient pas à son nom propre, mais à celui d’une société civile immobilière (SCI) qu’il avait faite créer. Une combine servant à contourner la loi en France en inscrivant une acquisition sur les registres d’une personne morale. En l’espèce, celui qui a également officié en tant qu’ambassadeur à Tunis ne pouvait prouver aucun lieu de résidence en France. La police aux frontières d’Orly, habituellement avenante et peu procédurière, ne s’est pas gênée pour «faire appliquer la loi». Un peu trop à la lettre.
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«Abdelaziz Khellaf, ancien directeur de cabinet d’Abdelmadjid Tebboune, ancien ministre, ancien ambassadeur, a passé, en début de semaine, une nuit à l’hôtel Ibis d’Orly et a été remis, le lendemain, dans le vol à destination d’Alger. Il n’avait pas d’attestation d’assurance ni de certificat d’hébergement. Il était accompagné de son fils», résume le journaliste Mohamed Sifaoui qui a fait éclater le scandale. «Ça fait quoi d’être traité comme n’importe quel autre citoyen?», s’est-il amusé.
On l’aura compris, l’attitude française dépasse la question de la procédure. Elle se veut une pique à l’endroit du régime d’Alger qui mène une véritable campagne contre la France, sur fond d’appui irrévocable par Paris de la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Une campagne dont un des épisodes a été le refus par Alger d’accueillir le tik-tokeur Doualemn, renvoyé de France pour appel à la haine et à la violence. Le niet opposé au conseiller et ancien haut fonctionnaire algérien a donc tout d’une réponse du berger à la bergère. Sauf que dans le premier cas, il s’agit d’un parfait inconnu et, dans l’autre, d’un proche collaborateur du numéro 1 (en théorie du reste) du régime d’Alger.
Censé être délivré au compte-gouttes aux seuls diplomates et affiliés, dans le cadre strict de l’exercice de leurs fonctions, le passeport diplomatique est devenu, en Algérie, un gâteau géant que se partagent tous les tenants, petits et grands, du pouvoir ainsi que leurs proches. Avec, en prime, la possibilité de résider, faire son shopping, se faire soigner et profiter de nombreux autres privilèges en France, sans avoir besoin d’un visa. Cette rente, le «Système» en a même fait un outil de pouvoir, utilisé pour rétribuer ses fidèles et sanctionner, en les privant du sésame, les récalcitrants.
Le passeport diplomatique sert à la fois de carotte et de bâton et fait l’objet de tous les abus. Ancien ambassadeur de France en Algérie durant deux mandats (de 2008 à 2012, puis de 2017 à 2020) et fin connaisseur du «Système», Xavier Driencourt ne cesse de dénoncer les pratiques auxquelles cette «liberté» donne lieu, plus particulièrement l’exemption de visa par la France des Algériens possédant un passeport diplomatique. Pour lui, il s’agit d’un privilège arbitraire et malsain dont bénéficient essentiellement les généraux et les caciques du régime d’Alger ainsi que leurs familles.
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«Les passeports diplomatiques sont diffusés très largement à toute la nomenclature algérienne: les diplomates, mais aussi les militaires, les politiques, leurs familles. Ils ont des passeports diplomatiques à vie, alors que du côté français, c’est quand même très limité», avait protesté l’ancien diplomate français le 6 septembre dernier, lors de son passage dans l’émission «Points de Vue» sur la chaîne Le Figaro TV, appelant à l’abrogation de ce privilège.
«Moi, en quittant Alger, j’ai rendu mon passeport diplomatique au ministère des Affaires étrangères. Et donc, tous ces gens de la nomenclature algérienne peuvent venir en France sans visa pour faire leurs affaires financières, se faire soigner. Si on voulait envoyer un signal au système algérien, on commencerait par dénoncer cet accord», a-t-il ajouté.
Pour lui, la solution est toute trouvée. Le ministre français des Affaires étrangères peut aisément mettre fin à cet abus «sans même l’autorisation du président de la République» par simple échange de lettres. Dans une tribune publiée le 30 septembre dans les colonnes du même Figaro, Xavier Driencourt revenait à la charge. Pour dénoncer l’accord, «il suffit d’un préavis de trois mois… Mettre fin à cet échange de lettres, ce qui relève de la compétence du seul ministre des Affaires étrangères, enverrait un signal». Un signal parmi un certain nombre de cartes «qui, mises ensemble, s’il y avait une volonté politique forte, c’est-à-dire la volonté de ne pas céder au dey d’Alger, permettrait une sorte de reset dans les relations migratoires avec Alger». Pour l’heure, Paris se contente de piquer le régime d’Alger là où ça fait (très très) mal. Et preuve que le message a été douloureusement reçu: le régime d’Alger n’a fait aucun commentaire.