Divulguer d’abord l’information sur les réseaux sociaux en la confiant à certaines sources informelles, avant de la confirmer officiellement quelques jours plus tard, tel est devenu le mode de communication auquel a généralement recours la junte algérienne pour annoncer les limogeages des hauts responsables de l’institution militaire, et particulièrement le renvoi des généraux-patrons des services de renseignements.
Ces derniers chutent d’ailleurs à un rythme si effréné que, durant ces cinq dernières années, ils sont quelque quinze généraux à s’être succédé à la tête des trois plus importants services de renseignements algériens (DGSI, DGDSE et DCSA). Dont sept généraux pour les seuls services de renseignements extérieurs. Mercredi 21 mai, plusieurs sources concordantes ont annoncé que le général Nacer El Djenn a été limogé et remplacé à la tête de la DGSI par le général «Hassan».
Ces deux hommes sont pourtant du même acabit et façonnés au même moule, puisqu’ils ont fait ensemble partie des officiers sanguinaires de la décennie noire et exerçaient des responsabilités au sein de l’ex-Département du renseignement et de la sécurité (DRS), dirigé sans partage pendant un quart de siècle par le général Toufik.
Lire aussi : Algérie: le retour aux affaires du général Hassan confirme la toute-puissance du duo Toufiq-Nezzar
Ce dernier semble toujours à la manœuvre au sein du pouvoir algérien, à travers certains de ses hommes de main dont il maintient la présence au sein des arcanes du pouvoir. Cela se confirme aujourd’hui encore avec le retour du général Hassan aux affaires, après une première apparition-surprise, en janvier 2022, en pleine réunion du Haut conseil de sécurité algérien.
Une intrusion, accompagnée ou suivie par celles de Djebbar M’Henna et Nacer El Djenn, et qui n’avait d’autre but, à l’époque, que d’annoncer le retour en force du clan de Toufik, qui s’est reconstitué suite à son démantèlement, entre 2015 et 2019, sous le régime d’Abdelaziz Bouteflika et son chef d’état-major le général Gaid Salah.
Ce dernier, pour mettre fin à la toute-puissance du DRS, avait saisi et pris comme alibi le retentissant fiasco des services de renseignements algériens dans l’attaque terroriste de In Amenas. Le général Hassan, qui dirigeait une unité supposée d’élite, avait commis un carnage lors de l’intervention visant à libérer des centaines d’otages, dont de nombreux étrangers, des mains du groupe terroriste qui a attaqué et occupé pendant plusieurs jours, en 2013, le site gazier d’In Amenas (Tiguentourine).
Lire aussi : Sahara marocain: le Polisario brandit ses menaces terroristes contre les investisseurs étrangers et les touristes
Selon le témoignage d’anciens ambassadeurs du Royaume-Uni et du Japon, l’idée que se faisait le monde du professionnalisme de l’armée algérienne avait cédé la place à l’effroi devant autant d’impréparation et d’amateurisme. Il est vrai que la mort de plusieurs dizaines d’otages de différentes nationalités, tués suite à l’intervention peu professionnelle, car aveugle, du commando de l’armée algérienne que dirigeait le général Hassan en personne, a fait perdre à l’Algérie le peu de crédit dont elle disposait encore auprès de ses partenaires internationaux.
Hassan sera ainsi arrêté suite à cette gestion catastrophique et jugé pour transfert illégal d’armes vers les groupes terroristes opérant au Mali, divulgation de documents militaires secrets… et condamné à 5 ans de prison ferme. Suite à cette condamnation, le général Toufik va sortir pour la première fois de l’ombre en décembre 2015, en s’exprimant publiquement à travers une lettre-plaidoyer, dans laquelle il se fait l’avocat du général Hassan, son ex-bras droit opérationnel au sein du DRS.
C’est dire la proximité du nouveau patron des renseignements intérieurs avec Toufik. Dans cette première sortie publique, Toufik a considéré que la condamnation du général Hassan était une grave erreur qu’il va falloir réparer rapidement.
Lire aussi : Tebboune affirme avoir fait plier l’Espagne sur le dossier du Sahara
En 2019, les deux hommes vont se retrouver ensemble en tant que pensionnaires de la prison militaire de Blida. Ils n’en sortiront qu’à la faveur, non seulement de la mort de Gaid Salah, mais surtout suite à la neutralisation manu militari, le 13 avril 2020, de l’ex-puissant chef de la DGSI, le général Wassini Bouazza.
La chute violente de ce général, condamné plusieurs fois, torturé et dégradé au rang de soldat, marquera le début d’une interminable purge qui verra des dizaines de généraux, dont plusieurs chefs du renseignement, limogés puis emprisonnés. Il faut rappeler que le général Nacer El Djenn a la particularité d’être le seul chef des renseignements algérien à n’avoir pas été installé officiellement à la tête de la DGSI, et ce contrairement à toutes les autres nominations du même genre, généralement présidées par le chef d’état-major de l’armée algérienne, Said Chengriha, qui supervise chaque passation de pouvoir.
Il a été propulsé à ce poste suite à la maladie du général Kamel Medjdoub Kehal, nommé à la DGSI en 2022, en remplacement du général Abdelghani Rachdi. C’est le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, qui avait lui-même, la voix tremblante de peur, demandé à Nacer El Djenn, qui le saluait lors des vœux de la fête d’El Fitr 2024, qu’il doit se tenir prêt pour prendre les rênes de la DGSI. Ce énième brusque changement à la tête des renseignements algériens instruit sur deux facteurs inhérents au fonctionnement du régime d’Alger.
Le premier, c’est qu’il n’existe pas de place pour de nouveaux talents: le Système recycle du vieux pour faire du neuf. Le second instruit sur l’instabilité systémique des services de renseignements algériens. Cette instabilité est à la fois un marqueur de l’effondrement de la diplomatie algérienne et d’un défaut de performance… qui est devenu la marque patente du régime d’Alger.