L’industrie automobile est l’un des plus grands succès industriels du Maroc. En l’espace d’une décennie, elle s’est hissée au rang de premier secteur exportateur du pays, devant les phosphates et l’agroalimentaire, portée par la montée en puissance de Renault à Tanger Med et Stellantis à Kénitra, ainsi qu’un large tissu d’équipementiers.
En effet, les exportations du secteur se sont multipliées par plus de trois (315,65%), passant de 44,91 milliards de dirhams (MMDH) en 2014 à 141,76 MMDH en 2023, selon les données de l’Office des changes. Cette ascension est plus marquée pour le segment de la construction. Celle-ci est passée de 19,68 MMDH à 67,62 MMDH (343,59%).
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La comparaison de l’évolution de ces expéditions d’une année à l’autre montre qu’elles ont augmenté de 33% en 2022 (dont +40% pour la construction et +28,9% pour le câblage), puis de 27,4% en 2023 (+22,6% pour la construction, +32,5% pour le câblage).
Dans le creux de la vague
Mais après cette croissance exceptionnelle, le secteur connaît un ralentissement significatif. En 2024, la dynamique s’est essoufflée, avec une croissance limitée à 6,3%, touchant davantage la construction (+4,9%) que le câblage (+6,5%).
L’évolution des exportations de l’industrie automobile en milliards de dirhams (Source: Office des changes).
2015 | 2019 | 2023 | 2024 | |
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Exportations de l’automobile | 54,09 | 80,15 | 141,76 | 157,60 |
Dont segment construction | 24,67 | 33,88 | 67.62 | 70,95 |
L’année 2025 marque un tournant plus préoccupant. Sur les quatre premiers mois, les exportations du secteur ont, ainsi, reculé de 7%, avec un plongeon de 22% pour le segment de la construction automobile. Une chute qui alimente les interrogations: simple creux conjoncturel ou début d’une fragilité structurelle?
Pour Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, il s’agit d’un ralentissement temporaire. «D’après nos discussions avec Renault et Stellantis, nous n’avons pas de souci majeur. Leur taux d’utilisation des capacités (TUC) est parmi les plus élevés du secteur industriel, oscillant entre 97 et 98%», a-t-il indiqué à l’issue de la deuxième réunion trimestrielle du conseil de Bank Al-Maghrib, au titre de l’année 2025, tenue le mardi 24 juin.
Les causes du coup de frein
Le patron de la Banque centrale identifie plusieurs causes conjoncturelles à ce coup de frein, notamment la crise en Europe et l’irruption massive des véhicules électriques chinois sur les marchés européens, un phénomène qui redéfinit les règles du jeu en matière de concurrence.
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Mais il garde confiance dans la résilience de l’écosystème marocain et anticipe un rebond dès 2026. Une reprise que devrait alimenter, selon lui, la sortie de nouveaux modèles, mieux alignés avec les évolutions du marché mondial. «Il ne faut pas oublier que c’est une industrie très sensible aux cycles de renouvellement de l’offre, à la qualité du management et à la compétitivité prix», souligne Abdellatif Jouahri.
Une industrie solide, en pleine transition
Si le ralentissement est indéniable, les fondamentaux du secteur restent solides. Le Maroc dispose de deux pôles industriels puissants (Tanger Med et Kénitra), une main-d’œuvre qualifiée, une base d’équipementiers étoffée, un cadre logistique et fiscal attractif ainsi qu’une politique industrielle volontariste, visant un taux d’intégration locale de 80% à moyen terme (ce taux est actuellement de 69%).
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Mais le défi aujourd’hui est celui de la transition énergétique, selon les experts. L’automobile marocaine, expliquent-ils, doit s’adapter rapidement à l’électrique et à l’hybride, ce qui nécessite de nouvelles compétences techniques, des investissements en R&D, une montée en gamme des composants (batteries, électronique embarquée…), et une diversification des débouchés au-delà de l’Europe.
Le virage de la mobilité verte
Plusieurs signaux positifs émergent, comme la volonté d’attirer des gigafactories de batteries, la fabrication de véhicules électriques à bas coût (exemple Neo Motors) ou encore, l’intérêt stratégique pour les métaux critiques (cobalt, cuivre, manganèse…).
À l’épreuve des mutations mondiales, l’automobile marocaine joue désormais une partie plus complexe. La dynamique industrielle est là, les capacités sont solides, mais c’est sa capacité à prendre le virage de la mobilité verte, à se détacher de la dépendance européenne et à gravir de nouveaux échelons technologiques qui déterminera si le Maroc s’affirmera comme un acteur incontournable de la voiture de demain.