Affaire Boualem Sansal: son avocat annonce saisir l’ONU et les instances internationales

L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal.

Quatre mois après l’arrestation arbitraire de Boualem Sansal à Alger, l’écrivain franco-algérien âgé de 80 ans est toujours privé de ses droits de défense. Malgré les nombreux appels à la libération immédiate de l’écrivain qui souffre d’un cancer, le régime d’Alger n’entend pas transiger sur sa décision. Alors que les relations franco-algériennes traversent une profonde crise, l’avocat de Boualem Sansal, François Zimmeray, annonce saisir l’ONU et les instances internationales.

Le 12/03/2025 à 12h27

Depuis le 16 novembre dernier, Boualem Sansal, âgé de 80 ans et souffrant d’un cancer de la prostate, est emprisonné dans les geôles algériennes. Accusé d’«atteinte à l’intégrité du territoire national», considéré comme un traître par le régime d’Alger pour avoir rappelé, dans une interview accordée à l’émission Frontières, l’histoire marocaine du Sahara oriental, l’écrivain a été privé de ses droits de défense. Le prétexte invoqué par les autorités algériennes: la judaïté de son avocat, François Zimmeray.

C’est parce que ce dernier est juif qu’il ne s’est pas vu accorder de droit d’entrer sur le territoire algérien et qu’il fait l’objet d’une campagne de dénigrement aux relents antisémites dans les médias et jusqu’au plus haut niveau du pouvoir en place. Ainsi, a-t-il été «conseillé» à Boualem Sansal de changer d’avocat en optant pour un avocat non juif pour assurer sa défense, ce qu’il a refusé.

Ces pressions ne se sont pas arrêtées depuis, car son avocat annonce avoir appris que l’écrivain avait à nouveau fait l’objet de tentatives de manipulations pour changer de défense, à deux reprises, il y a une quinzaine de jours, malgré sa menace d’entamer une grève de la faim en signe de protestation. «C’est à ce moment-là qu’il a été mis au secret absolu, lui et ses proches, c’est-à-dire que c’est un couvercle de peur, de menaces et d’intimidation qui s’est abattu sur lui et son entourage», explique son avocat dans une conférence de presse, organisée à Paris, mardi 11 mars.

L’inquiétude autour de l’écrivain est d’autant plus grande que depuis quelques semaines, plus aucune nouvelle de lui ne filtre. Un black-out d’autant plus inquiétant que selon son avocat, Boualem Sansal, incarcéré à Alger, et dont seule l’épouse dispose d’un droit de visite dispensé au compte-goutte, commençait à perdre le moral et évoquait une «dépression».

Après la stratégie de l’apaisement, le temps de l’offensive

Le 11 mars, Me Zimmeray, qui avait jusqu’à présent opté pour la stratégie de l’apaisement et de la modération, a exprimé sa vive inquiétude lors d’une conférence de presse organisée au siège de Gallimard, l’éditeur de Boualem Sansal. «Près de quatre mois après son incarcération, j’attends toujours la réponse à mes deux demandes de visa et je suis obligé de me rendre à ce constat: je n’ai pas pu aller auprès de mon client, je n’ai pas pu accéder au cabinet du magistrat instructeur, je n’ai pas pu voir les charges qui pèsent contre Boualem Sansal. Par conséquent, sa défense est aujourd’hui impossible. Et lorsqu’une défense est impossible, lorsque les droits de la défense sont rendus impossibles par le discrédit de l’avocat, par l’impossibilité physique d’exercer son métier, il ne peut pas y avoir de procès équitable. La détention est arbitraire», a ainsi dénoncé l’avocat de l’écrivain et essayiste.

Aujourd’hui, François Zimmeray a donc décidé d’opter pour une stratégie plus offensive, la précédente n’ayant pas porté ses fruits. En effet, elle s’est soldée par l’annonce faite devant les deux chambres du Parlement algérien, sans jugement, de la culpabilité de Boualem Sansal par le président algérien, Abdelmadjid Tebboune. Ce dernier a honteusement traité l’écrivain de «voleur, à l’identité inconnue» et de «bâtard», au mépris à la fois de la présomption d’innocence, de la séparation des pouvoirs et de la fonction présidentielle.

Ne pouvant exercer son travail de défenseur, François Zimmeray a ainsi annoncé saisir, dès ce mercredi, «les organes de l’ONU et toutes les instances dans lesquelles l’Algérie est présente pour dénoncer le caractère arbitraire de cette détention et les violations des traités définissant le procès équitable», explique Le Figaro.

La nouvelle stratégie de l’avocat de Boualem Sansal consiste ainsi à actionner «les ‘‘procédures spéciales’’ des Nations unies, à la fois pour ce qui concerne l’indépendance des juges et des avocats, l’indépendance de la justice et les violations de la présomption d’innocence et de la séparation des pouvoirs qui sont la base de toute procédure judiciaire, de tout procès équitable. Partout où cela sera possible, nous saisirons le droit diplomatique et judiciaire pour dénoncer cette détention», explique l’avocat qui espère jouer sur une corde sensible de l’Algérie, membre du Conseil de sécurité des Nations unies, en touchant à l’image qu’elle renvoie à l’international.

Pour François Zimmeray ainsi que pour Antoine Gallimard, PDG de la maison d’édition éponyme de Boualem Sansal, il convient de ne pas s’y tromper, l’écrivain est l’otage de la crise que traversent les relations franco-algériennes. «L’incertitude dans laquelle nous sommes à l’égard de la situation judiciaire de Boualem Sansal ne fait que confirmer que celle-ci est d’abord liée à un calendrier politique et diplomatique sur lequel nous n’avons pas prise», souligne ainsi l’éditeur, lui aussi sans nouvelles de l’écrivain, et qui annonce l’organisation régulière de points presse jusqu’à la libération de Boualem Sansal «afin de maintenir en éveil notre vigilance, ne pas nous résoudre au silence et appuyer nos actions de sensibilisation sur des informations sûres».

Par Zineb Ibnouzahir
Le 12/03/2025 à 12h27