Algérie: les autorités conseillent à Boualem Sansal de prendre «un autre avocat français non juif»

François Zimeray, avocat de Boualem Sansal, le 20 janvier 2025. AFP or licensors

Selon une information publiée par le magazine «Marianne», le 19 février, Boualem Sansal se serait vu fortement conseillé par les autorités algériennes de remplacer son actuel avocat, François Zimeray, lequel ne parvient pas à obtenir un visa pour l’Algérie depuis l’emprisonnement de son client en novembre. Motif de la requête du régime: François Zimeray est juif.

Le 19/02/2025 à 19h13

Dans un article publié le 19 février, l’hebdomadaire français Marianne cite des «sources judiciaires algériennes», selon lesquelles l’écrivain et essayiste Boualem Sansal actuellement incarcéré à Alger, aurait reçu «une drôle de visite» le 17 février, dans sa chambre. Ce jour-là, «des hommes sont venus dans la chambre du romancier pour lui conseiller vivement de changer de conseil et de prendre ‘un autre avocat français non juif’», révèle ainsi le journal.

Pour mieux convaincre Boualem Sansal qui souffre d’un cancer et suit actuellement des séances de radiothérapie, «ces émissaires particuliers ont expliqué que le remplaçant non juif de Me François Zimeray aurait une chance d’obtenir un visa afin de pouvoir le visiter». Ainsi donc, c’est en raison de sa judaïté que l’avocat de l’écrivain n’a pas pu entrer en Algérie.

Une explication qui rappelle l’un des pires moments de l’histoire de l’humanité et qu’assument visiblement les interlocuteurs de Boualem Sansal en ajoutant, «dans une menace à peine voilée», explique Marianne, «que ce changement serait bénéfique pour la sécurité même de ce dernier face aux campagnes de haine qui le visent». Selon les informations du périodique français, Boualem Sansal aurait accueilli cette menace avec colère et aurait protesté contre cette atteinte aux droits de la défense.

Une colère partagée par son comité de soutien en France lequel s’est fendu, suite à ces révélations de Marianne, d’un communiqué de presse dans lequel il se dit «indigné». Exprimant son total soutien à Me François Zimeray, le comité dénonce cette décision algérienne, si elle est confirmée, et ne manque pas de souligner la contradiction flagrante de cette annonce avec les propos tenus par Abdelmadjid Tebboune récemment dans la presse française.

L’histoire juive de l’Algérie à l’épreuve d’un profond antisémitisme

En effet, dans une interview accordée à L’Opinion le 3 février, le président algérien qualifiait de «polémique» la confiscation par les autorités algériennes du livre «L’Algérie juive» de Hédia Bensahli et balayait d’un revers de la main le potentiel problème de l’Algérie avec son histoire juive. Ainsi, expliquait-il, «l’Algérie a accueilli plusieurs communautés et religions durant les derniers millénaires, y compris les juifs qui font partie intégrante de l’histoire du pays».

Mais le «conseil» formulé à Boualem Sansal par les autorités algériennes est en fait beaucoup plus vraisemblable que la jolie réécriture de l’histoire à laquelle s’est livrée Abdelmadjid Tebboune dans son interview à un média français. Car celui-ci ne s’attarde pas dans cet échange sur le fait qu’en Algérie, Me François Zimeray est qualifié dans la presse à la solde du régime d’«avocat sioniste». Un adjectif communément utilisé en Algérie, des médias jusqu’au plus haut sommet de l’État en passant par l’armée, pour qualifier une personne juive.

À travers ce qualificatif, se révèle l’antisémitisme profond qui gangrène un régime qui désigne communément l’ennemi par le terme «sioniste». Le communiqué de presse de l’agence de presse algérienne, pour régler ses comptes avec les défenseurs de Boualem Sansal, en est le dernier exemple, alors qu’on y qualifie la France de «macronito-sioniste». Une expression dont le régime algérien affuble tout aussi souvent le Maroc et les Marocains, comme en 2020 déjà, lorsque cette même agence de presse algérienne avait qualifié sept députés européens de «sionistes marocains» manipulés par un lobby «maroco-sioniste»...

Ainsi, si les juifs font partie intégrante de l’histoire de l’Algérie, chose indéniable, c’est avec une expression dotée d’un coefficient à la fois péjoratif et haineux qu’on les qualifie. On rappellera, au passage, une vidéo datant de 2015 qui témoigne de la profonde idéologie antisémite qui sévit dans le corps de l’armée que l’on galvanise avec un chant appelant à massacrer les juifs.

«Oh Arabes, fils d’Arabes. Marchez et pointez vos armes vers les juifs. Pour les tuer. Les abattre. Les écorcher. Les égorger…», peut-on ainsi entendre chanter les soldats algériens dans cet hymne à la haine qui ne souffre aucune différence entre antisémitisme et antisionisme et désigne les juifs comme l’ennemi à abattre.

Il n’y a donc pas lieu d’être surpris aujourd’hui que Me Zimeray se soit vu refuser depuis trois mois un simple visa pour assurer la défense de son client, au motif qu’il est de confession juive.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 19/02/2025 à 19h13