Affaire Boualem Sansal: Emmanuel Macron appelé dans une tribune à durcir le ton contre l’Algérie

L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal et le président français Emmanuel Macron.

Dans une tribune collective publiée dans «le Figaro» le 18 février, dix membres du comité de soutien à Boualem Sansal, essayiste et écrivain franco-algérien âgé de 80 ans incarcéré en Algérie depuis trois mois, en appellent à Emmanuel Macron pour activer les leviers dont il dispose afin de le faire libérer et cesser la «bienveillance constante» de la France à l’égard de l’Algérie.

Le 19/02/2025 à 09h58

Trois mois après l’arrestation, ou plutôt kidnapping, de Boualem Sansal à son arrivée à l’aéroport d’Alger, les nouvelles de l’écrivain et essayiste âgé de 80 ans ne sont pas bonnes. Privé de son droit à disposer de l’avocat de son choix, ainsi que de toute visite de l’ambassadeur de France à Alger, l’écrivain souffrirait d’un cancer, a annoncé son avocat François Zimeray. Indifférent aux problèmes de santé de Boualem Sansal, le régime algérien semble déterminé à maintenir l’écrivain en détention, en vertu de l’article 87 bis du Code pénal, qui sanctionne en Algérie «comme acte terroriste ou subversif, tout acte visant la sûreté de l’État, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions».

Après avoir dénoncé cette arrestation qui s’apparente davantage à «une prise d’otage», les très nombreux soutiens de Boualem Sansal tirent à nouveau la sonnette d’alarme dans une tribune publiée le 18 février dans les colonnes du Figaro, à l’attention du président de la République française, Emmanuel Macron.

Et si Boualem Sansal ne survivait pas à son incarcération? La question reste en suspens, lourde de conséquences, tient à rappeler le comité de soutien de l’écrivain composé de 1.300 membres d’une vingtaine de nationalités, dont des personnalités publiques de premier rang.

Boualem Sansal, victime d’un pouvoir militaro-policier et de ses partisans en France

Dans cette lettre ouverte, dix membres du comité de soutien à Boualem Sansal dénoncent ainsi la position du régime d’Alger, lequel «bafoue la liberté d’expression, le bien le plus précieux de l’homme aux termes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789». Noëlle Lenoir (présidente du comité de soutien à Boualem Sansal), Arnaud Benedetti (fondateur du comité), Georges-Marc Benamou, Kamel Bencheik, Jean-Michel Blanquer, Lyne Cohen-Solal, Xavier Driencourt, Alexandre Jardin, Alexis Lacroix et enfin Stéphane Rozès sont unanimes: «ce régime a littéralement kidnappé Boualem Sansal», en brandissant des motifs à son arrestation qui «ne relèvent d’aucun droit, si ce n’est de la force brutale d’un pouvoir militaro-policier».

Car pour les signataires, la chose ne fait aucun doute, le seul tort de Boualem Sansal est «d’écrire en français, de publier en France et d’alerter sur les risques d’un basculement tel que celui qu’a connu l’Algérie lors de la guerre civile». Ainsi, accepter l’éventualité d’un procès s’inscrirait «dans la pire des traditions staliniennes». Un comble pour la France, à laquelle on rappelle dans cette tribune, sa vocation de «grande démocratie dont les Lumières se sont projetées et continuent de se projeter sur le monde».

Et de balayer d’un revers de la main les prétextes brandis par le régime d’Alger pour défendre l’indéfendable, à savoir «qu’il y va de la souveraineté de l’Algérie que d’incarcérer qui elle veut sous tous les prétextes», ou encore «que la justice est indépendante et qu’il n’y a rien à faire d’autre que d’attendre une condamnation» pour des faits, rappelle-t-on «gravissimes et inventés mais punis de la peine de mort!».

Tout aussi grave, la stratégie des «partisans du dos rond», dans laquelle s’inscrit l’eurodéputée Rima Hassan ou l’historien Benjamin Stora, qui expliquent ou laissent entendre que Boualem Sansal «l’a bien cherché». Une attitude propre à ceux «qui s’imaginent que la soumission à l’adversité est d’un moindre coût que toute forme de résistance» mais avec pour risque, prévient-on en cas de non-libération de l’écrivain ou de sa mort en détention, «une tache indélébile dans l’histoire des relations entre la France et l’Algérie».

La France embourbée dans le piège de la rente mémorielle

S’agissant de l’arrestation arbitraire de l’écrivain, son comité de soutien ne s’y trompe pas, en le qualifiant de «victime sacrificielle et emblématique d’une relation empoisonnée par une mémoire hémiplégique», laquelle a été, rappelle-t-on à Emmanuel Macron, «fort justement qualifiée en octobre 2021 de rente mémorielle» par ce dernier. Selon les auteurs de la tribune, le président français pèche par sa «bienveillance constante» face à un régime qui utilise celle-ci «comme de la faiblesse», s’engouffrant dans cette brèche «pour tirer à boulets rouges contre ce que vous avez appelé, non sans raison, la falsification de l’histoire». Comment la France doit donc réagir? Se renier «pour faire de cet abandon un trophée?», céder «parce que nous ne nous repentions pas assez de notre histoire commune avec l’Algérie», interrogent les signataires.

En attendant, la conséquence directe de cette relation déséquilibrée tient dans le non-respect par le régime algérien de la nationalité française de l’écrivain, lequel a pourtant droit «comme tout autre citoyen à la protection des autorités françaises». L’arrestation de l’écrivain et l’attitude du pouvoir algérien soulèvent ainsi une question de taille à laquelle il faudra bien s’atteler à répondre un jour: «Que vaut la naturalisation si elle ne permet pas de bénéficier de la même protection en cas de danger sur sa personne que tous les autres Français? Il s’agirait donc d’une naturalisation de papier?», questionnent les auteurs.

La relation franco-marocaine au cœur de l’affaire Sansal

Mais il est une question sous-jacente à l’affaire Boualem Sansal, auquel les autorités algériennes ne pardonnent pas sa prise de parole au sujet de la marocanité du Sahara Oriental dans l’émission «Frontières»: celle qui implique la relation franco- marocaine. «Devez-vous renoncer à la position de la France sur le Sahara occidental sous la pression de l’Algérie ou devons-nous plutôt défendre nos principes face à un pouvoir qui, à travers Boualem Sansal, cherche à humilier la France?», questionnent ainsi les auteurs de cette tribune. Si c’était le cas, prévient-on, il s’agirait alors pour la France de «solder ses principes», ce qui n’est pas une option possible, tout comme passer l’incarcération et peut-être la disparition définitive de l’écrivain «par pertes et profits».

À ces questions en suspens, le comité de soutien voit une seule et unique réponse: refuser que «Boualem Sansal puisse demeurer l’otage de relations diplomatiques qui n’appartiennent qu’à la décision de la France». Car le ton jugé «comminatoire» du président Tebboune dans sa récente interview au journal L’Opinion n’a échappé à personne, lorsque celui-ci «met en garde» contre «l’irréparable» d’une relation franco-marocaine qu’il interdit à la France d’entretenir.

Les leviers qui doivent être activés par la France

Il convient donc aujourd’hui pour la France de sortir «de cette étrange défaite», comme le préconise la résolution adoptée par la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale le 5 février dernier, car «amadouer le pouvoir algérien ne fonctionne pas».

Ainsi de la même manière qu’il faut à tout prix délivrer Boualem Sansal, il faut aussi délivrer la France d’un «chantage qui, de l’autre côté de la Méditerranée, s’accompagne de propos et de gestes manifestant une hostilité d’une violence inédite à l’encontre de notre pays», appellent les auteurs de cette lettre ouverte.

C’en est fini de la diplomatie de l’ombre qui «est en l’espèce improductive», estime-t-on. Il est désormais temps pour Emmanuel Macron d’activer les nombreux leviers dont il dispose afin d’une part, de «rééquilibrer» une relation franco-algérienne régie par le rapport de force qu’a voulu instaurer l’Algérie, et d’autre part, afin que «la France défende ses valeurs et ses intérêts vitaux tant économiques que politiques».

La solution est connue de tous, reste à l’appliquer: «Depuis la dénonciation de l’échange de lettres de 2007 entre MM. Kouchner et Medelci sur l’exonération de visas pour les détenteurs algériens de passeports diplomatiques jusqu’à une remise en cause du régime favorable des visas consenti à l’Algérie par l’accord du 27 décembre 1968, vous avez toutes les cartes en main», concluent les signataires de la tribune, rappelant au président Emmanuel Macron que le sort de Boualem Sansal est aussi entre ses mains.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 19/02/2025 à 09h58