Ce que pense Ahmed Rahhou de la corrélation entre le prix du baril de pétrole et les prix à la pompe

Ahmed Rahhou, président du Conseil de la concurrence, sur la corrélation des prix à la pompe. (Montage photo)

Les prix à la pompe au Maroc reflètent-ils le coût réel du baril sur le marché international? Les opérateurs ont-ils répercuté la totalité de la baisse observée ces dernières semaines sur le marché international? Éléments de réponse avec Ahmed Rahhou, président du Conseil de la concurrence qui annonce la sortie imminente du tout premier rapport mesurant les marges nettes des distributeurs de carburants au Maroc.

Le 19/05/2025 à 16h28

Pour le commun des mortels, les prix des carburants à la pompe demeurent anormalement élevés au Maroc. Beaucoup pensent que les récentes baisses du gasoil (20 centimes par litre le 1er mai, puis 10 centimes le 16 mai) sont loin de refléter la chute des cours du pétrole sur le marché international. Jamais en quatre ans, les prix de l’or noir ne sont descendus aussi bas que ces dernières semaines.

Nous avons cherché à savoir si l’absence de corrélation entre les cours du baril et les prix à la pompe, telle que ressentie par le consommateur lambda, est vérifiée et si cette perception est corroborée par des niveaux de marges exorbitantes chez les distributeurs. «La situation de chaque trimestre est traitée au milieu voire à la fin du trimestre suivant… Je ne peux pas commenter les niveaux actuels, car nous ne suivons pas le dossier au jour le jour. On parlera certainement de la situation actuelle, mais en son temps», précise d’emblée Ahmed Rahhou, président du Conseil de la concurrence (CC). Ce dernier assure un suivi trimestriel des engagements pris par neufs sociétés de distribution des carburants dans le cadre des accords transactionnels conclus en 2023. Le dernier reporting publié correspond au quatrième trimestre 2024.

S’agissant de l’année 2024, le président du CC affirme avoir constaté une «très forte amélioration» du rythme d’application des hausses et des baisses des prix. «C’est un des problèmes qui était posé auparavant, celui d’une application rapide des hausses et une application lente des baisses. Cela a été plutôt arrangé», assure-t-il.

«Nous avons constaté, poursuit notre interlocuteur, que les hausses et les baisses ne sont pas toujours appliquées avec la même amplitude. Quand il y a une hausse, parfois elle est appliquée totalement, parfois partiellement. On retrouve la même chose quand il y a une baisse. Quand une hausse n’est pas totalement appliquée, la baisse qui suit n’est pas totalement appliquée».

Selon Ahmed Rahhou, les marges brutes étaient plus ou moins stables autour de 1,20 à 1,30 dirham par litre sur l’ensemble de l’année 2024. «Dès qu’on aura les résultats financiers de l’exercice 2024, on sortira courant juin cette fois-ci un rapport sur les marges nettes», promet-il. Ce qui va permettre de mesurer avec exactitude les profits réalisés par les opérateurs et voir si les marges ont évolué en comparaison avec les années précédentes.

Ahmed Rahhou rejette fermement les critiques remettant en cause la fiabilité des données du CC à qui on reproche de sous-estimer les marges des opérateurs. «Les seules données qui font foi pour une entreprise figurent dans les publications validées par les commissaires aux comptes. Les données provenant des opérateurs sont corroborées par l’Administration des douanes et impôts indirects (ADII) et la Direction générale des impôts (DGI). Les seuls chiffres qui font foi sont ceux de la Douane (TVA, TIC) et de la DGI (données financières imposables)», rappelle-t-il.

À ceux qui estiment que les prix pratiqués au Maroc seraient «excessifs», Rahhou appelle à tenir compte de l’évolution du marché international. «On ne va pas demander aux opérateurs de vendre à perte ni même avec des marges au-delà de la norme. Celle-ci correspond à la marge que gagne un opérateur identique dans le monde entier. Il ne faut pas oublier que nous avons une économie ouverte. Il n’y a pas de raison qui pourrait pousser un opérateur à venir investir au Maroc en gagnant moins d’argent que dans un autre pays», explique-t-il.

Maintenant, poursuit le président du CC, «si les opérateurs gagnent beaucoup plus au Maroc qu’à l’étranger, on va le signaler. Cette analyse, qui consiste à comparer les marges à celles observéss à l’échelle internationale, on la fera dès qu’on aura collecté tous les chiffres de 2024».

Concernant les niveaux actuels des prix, le CC va sans doute les analyser, mais avec un décalage dans le temps. «Nous disons aux opérateurs que les marges font l’objet d’un suivi trimestriel et seront rendues publiques. Donc, attention aux répercussions. Si vous ne le faites pas, ça va apparaitre à un moment ou à un autre», avertit Rahhou.

À quand des instruments de couverture?

Le CC n’est donc pas en mesure de porter un jugement sur le tarif actuellement affiché à la pompe qui correspond au prix du stock et non au prix du marché. «En général, les cargaisons arrivent toutes les deux ou trois semaines. Les achats sont ensuite stockés. La répercussion peut parfois prendre quelques jours, voire quelques semaines», observe Rahhou. Sachant que les opérateurs maintiennent un stock d’à peu près un mois de consommation, les produits vendus en mai correspondent aux achats d’avril, tandis que les achats de mai seront répercutés en juin.

Aux yeux du patron du CC, les exigences en matière de stock de sécurité ont tendance à aggraver la situation. «Si on considère qu’il faut un stock de sécurité de trois mois au Maroc, les répercussions seront toujours décalées de trois mois. Parce qu’il faut bien écouler les stocks au prix d’achat. Ce n’est pas parce que la courbe de Rotterdam a bougé qu’on doit avoir une répercussion immédiate sur le prix à la pompe», argumente Rahhou.

Alors que certaines voix, y compris au sein du gouvernement, poussent vers un allègement des exigences en matière de stock de sécurité, Ahmed Rahhou, lui, se montre plutôt favorable au maintien de ce dispositif de précaution, mais à condition, dit-il, de «trouver des mécanismes de couverture plus souples qui permettraient à ce stock de ne pas être un frein à la répercussion des hausses et surtout des baisses».

«Comme aujourd’hui, il faut être capable de répercuter les hausses et les baisses dans un délai court, deux à trois semaines au plus tard. Trois mois, c’est beaucoup», soutient-il. Ainsi, apprend-on de même source, que le CC prépare une recommandation incitant le gouvernement à donner aux opérateurs le moyen de ne pas répercuter après un délai trop long s’ils augmentent le stock pour des raisons de sécurité. «Ce mécanisme existe. Mais la décision revient au gouvernement», conclut Ahmed Rahhou.

Par Wadie El Mouden
Le 19/05/2025 à 16h28