Sahara: réflexions sur l’initiative belge

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

De retour d’un déplacement au Maroc, le président du parti libéral francophone MR a annoncé le dépôt d’un texte au Parlement fédéral belge «qui visera à reconnaître la souveraineté internationale marocaine sur le Sahara». Son adoption approfondirait des liens bilatéraux anciens, mais surtout, elle renforcerait, au cœur de l’UE, l’axe créé par l’Espagne et la France, accélérant l’évolution des positions européennes sur le dossier du Sahara atlantique.

Le 17/05/2025 à 10h01

La position du Mouvement réformateur (MR) n’est pas nouvelle. Et l’évolution convergente des partis de droite, flamands et wallons, vers la proposition marocaine, non plus. Ce qui est nouveau en réalité, c’est que la Belgique s’est dotée d’un gouvernement! Et cette fois en à peine huit mois, un temps «record», si l’on compare la période récente à la crise de 2010, où les Belges étaient restés sans gouvernement pendant 541 jours.

Les nationalistes flamands étaient arrivés en tête des élections de juin 2024. Leur leader, Bart De Wever, avait été chargé par le Roi de constituer une coalition, finalement baptisée– en février dernier– coalition Arizona, en référence aux couleurs du drapeau de l’État éponyme, agrégeant au jaune des nationalistes de la NV-A, le bleu des libéraux du MR, le rouge des socialistes flamands du parti Vooruit, les centristes Orange du CD&V et du parti «Les Engagés». La gauche, grande perdante des élections en Flandre, mais aussi dans une Belgique francophone qui lui était traditionnellement fidèle, s’est retrouvée dans l’opposition au Parlement fédéral et en recul au Parlement européen. La Belgique, qui considérait le plan d’autonomie marocain «comme un effort sérieux et crédible du Maroc et comme une bonne base pour une solution acceptée par les parties» pourrait aujourd’hui tirer parti d’un nouveau paysage politique pour évoluer davantage. Jusqu’où?

Si le président du MR, Georges-Louis Bouchez, évoque déjà un accord au sein du gouvernement, ce qui, rapporté au Parlement fédéral, dessine une majorité théorique pour la coalition Arizona, de 80 députés à la Chambre des représentants (sur 150) et de 34 sénateurs au Sénat (sur 60), son initiative semble plus ambitieuse, puisqu’il parle d’élargir le plus possible les soutiens en espérant «que les partis de l’opposition sauront approuver la proposition». L’enjeu porte évidemment sur la capacité à convaincre les socialistes– au-delà de ceux d’Arizona– notamment le PS wallon qui a toujours été divisé en interne sur le dossier du Sahara, s’en tenant dans sa communication officielle à «une position alignée sur celle des Nations unies».

Les eurodéputés socialistes francophones affichent de maigres troupes au Parlement européen (deux élus dont l’ancien Premier ministre Di Rupo) et une grande prudence– sentiment partagé par l’extrême-gauche, puisque le Parti du Travail de Belgique– sommé de choisir entre Maroc et Algérie, répond habilement: «Nous n’avons pas de position sur le sujet. Comme ancienne puissance coloniale, il serait complètement déplacé de prétendre vouloir intervenir dans des conflits opposant des pays du Sud». Et au PE, Marc Botenga, vice-président de The Left, et membre de la commission Affaires Étrangères, s’y tient: il est l’un des rares élus du bureau de ce groupe à ne pas soutenir officiellement le Front Polisario.

L’autre enjeu est de savoir gérer la réaction d’Alger à une déclaration sans équivoque: «Il est aujourd’hui évident que la souveraineté et l’administration du territoire du Sahara sont effectivement et légitimement entre les mains du Maroc». Instruits de la «jurisprudence» espagnole et française, les politiques belges savent le prix d’un soutien à la marocanité du Sahara même si, concernant la relation bilatérale avec l’Algérie, les données, humaines et économiques, sont pour la Belgique, très différentes de celles des deux autres pays européens. 70.000 Algériens en Belgique, deuxième communauté kabyle après la France. En 2023, l’Algérie n’est que le 53ème client en importance de la Belgique; des échanges de marchandises soumis à d’importantes fluctuations d’une année l’autre, un fichier des exportateurs de l’Agence pour le Commerce extérieur qui ne recense que 1.504 entreprises belges exportant vers l’Algérie (sur un total d’environ 25.000 sociétés). Mais l’approche belge, addition de franchise et de pragmatisme, fait dire à Bouchez: «Je pense que pour la stabilité régionale, il n’est plus question de continuer à contester la souveraineté marocaine. Il faut essayer de trouver les meilleurs moyens pour pouvoir déployer cette solution, dans le respect des pays voisins». Et de formuler des pistes: «On connaît bien tout l’enjeu qu’il y a pour l’Algérie, dont la crainte est d’être complètement enclavée. Il est tout à fait possible d’envisager, peut-être, des accords de circulation de marchandises, des accords commerciaux.» Une méthode de «diplomatie des relations verticales» avec Alger et Rabat… capable de séduire d’autres États membres?

Impossible d’anticiper l’effet de contagion de cette initiative belge. Mais si les mois qui viennent donneront l’occasion de suivre l’évolution des partis politiques belges sur le dossier du Sahara, ils permettront aussi de mesurer la manière dont ce petit pays d’Europe, qui accueille en sa capitale toutes les institutions de l’UE, est capable d’influer sur chacune d’elles.

Par Florence Kuntz
Le 17/05/2025 à 10h01