Au commencement, pourrait-on dire, c’est l’Assemblée nationale consultative qui voit le jour dès les premiers mois de l’indépendance. Par dahir, en date du 12 novembre 1956, le Sultan Mohammed V crée cette nouvelle institution. Il s’agit d’initier et de promouvoir une véritable vie représentative permettant au peuple de gérer les affaires publiques dans le cadre d’une monarchie représentative. Cinq mois après la première Constitution de décembre 1962, un scrutin législatif est organisé.
Rappelée par le roi Mohammed VI dans son message est «l’entrée de notre pays dans une nouvelle phase de sa vie politique et constitutionnelle»: celle de «ses choix souverains en faveur du pluralisme politique, du multipartisme, de la démocratie représentative, des libertés d’association, d’appartenance politique et syndicale, d’opinion et d’expression».
Depuis six décennies, l’historique de la vie parlementaire atteste des «vicissitudes» de l’époque, évoquées par le Souverain. Lesquelles? La proclamation de l’état d’exception, le 7 juin 1965, jusqu’à la fin juillet 1970, par suite d’une crise politique liée à l’effilochage de la majorité parlementaire; l’éphémère Parlement de 1970-1971; le régime «transitoire» sans parlement entre mars 1972 et octobre 1977; le régime «provisoire» (1983-1984 puis 1992-1993) sans cette même institution.
Avec la Constitution de 1996, c’est le retour à un Parlement bicaméral, une structure qui a été maintenue depuis dans la Constitution de juillet 2011. Des réformes ont été entreprises à cet égard: la composition élargie à 395 membres pour la Chambre des représentants et à 120 pour la Chambre des conseillers; l’extension des attributions de celles-ci, la première à qui est confiée l’investiture du Chef du gouvernement nommé par le Roi; le rehaussement du statut et Chef du gouvernement; et des moyens accrus de contrôle de l’action de l’exécutif; sans oublier la consécration de la place et du rôle de l’opposition. Sur un autre registre, la séparation entre les pouvoirs est accentuée avec des domaines délimités et la consécration du pouvoir judiciaire.
La vie parlementaire traduit bien le chemin parcouru au cours des précédentes législatures, un acquis qui ne peut que se consolider avec celle ouverte en octobre 2021. Le pluralisme fonctionne et assure le caractère «composite» de la société marocaine, pour reprendre l’expression de Paul Pascon. Les échéances électorales sont respectées, ce qui aide à nourrir et même à enraciner la démocratie représentative et la participation politique. Au dernier scrutin de 2021, pas moins d’une bonne trentaine de partis étaient en compétition, signe d’une émulation et d’une mobilisation des électeurs. Il faut y ajouter le renforcement de la représentativité de la femme avec 95 parlementaires, soit le quart des 395 membres de la Chambre des représentants.
Cela dit, le Souverain a tenu à faire cette recommandation: «Il importe de redoubler d’efforts afin que la démocratie représentative institutionnelle puisse se hisser au niveau que Nous lui souhaitons et qui ferait honneur au Maroc». Cette préoccupation vise plusieurs domaines qualifiés de «défis». Le premier d’entre eux est pour les partis «de reléguer à l’arrière-plan les calculs partisans»: ce qui doit prévaloir, ce sont les «intérêts supérieurs de la Nation et des citoyens».
Les parlementaires «tiennent leur mandat de la Nation» et, à ce titre, ils constituent sous la coupole une représentation indirecte en tant que communauté organique. Ils expriment dans l’exercice de leur mandat la diversité de leurs attaches partisanes, telles que formulées dans les programmes et les positions de leurs formations respectives. Pour autant, ils ne sauraient mettre en équation les exigences liées à leur statut national dans le cadre d’une institution constitutionnelle. Le populisme, la démagogie et les surenchères politiciennes n’ont pas leur place.
Un autre défi regarde la moralisation de la vie parlementaire. La législature actuelle se distingue par des démêlés judiciaires impliquant une bonne vingtaine de parlementaires. Cela nuit à la crédibilité du Parlement et ne peut que nourrir un certain antiparlementarisme et plomber durablement la réhabilitation de la politique aux yeux des citoyens. La modeste participation de 53% au dernier scrutin législatif témoigne bien de cette situation. Or, une démocratie représentative renforcée a besoin d’une base électorale plus large entraînant le vote et la mobilisation d’une majorité plus franche du corps électoral. La responsabilité des partis est grande pour sélectionner et promouvoir des élites élues et parlementaires jouissant d’un profil marqué du sceau de l’éthique, du dévouement et de la compétence.
Dans cette même ligne, tout doit être entrepris en même temps pour «un accès accru des femmes et des jeunes aux institutions représentatives» comme l’a déclaré le Souverain. La marginalisation de ces deux catégories sociales doit être corrigée dans le sens d’une approche inclusive. De même, cela ne peut qu’élargir le champ d’une représentation sociale plus large et qui ne soit plus limitée à des «professionnels» de la politique. Autant de forces vives qui ne peuvent qu’être, elles aussi, en première ligne de ce grand chantier qu’est la construction démocratique.
Reste le Parlement à l’international. Cette institution déploie son action dans le domaine diplomatique. Elle accompagne et prolonge même ce qui est entrepris par le Royaume en politique extérieure. La cause nationale du Sahara marocain est bien entendu la priorité. Mais il faut également mentionner le devenir du continent africain: les «enjeux de justice climatique et de sécurité alimentaire, d’immigration et de paix», ainsi que le développement. Une doctrine connue fonde la diplomatie marocaine qui doit se traduire dans l’action du Parlement. Il y a là, au total, tant au-dedans qu’au-dehors, des axes pouvant et devant orienter la diplomatie parlementaire. Parfois mal aimé, ici et là, le Parlement a cependant capitalisé aujourd’hui une maturité à consolider. Légitimement, un plaidoyer à mettre en exergue…