L’histoire-propagande, matrice du «Système» algérien

Bernard Lugan.

ChroniqueL’histoire officielle de l’Algérie semble relever en partie de la thérapie nationale. Il faut en effet bien comprendre qu’en Algérie, l’histoire n’est pas tant l’étude du passé que le moyen de s’affranchir d’un traumatisme existentiel que Mohamed Harbi a résumé d’une phrase: «L’histoire est l’enfer et le paradis des Algériens».

Le 29/04/2025 à 11h00

Dans l’histoire lointaine, au 3ème siècle av. J.-C., le royaume berbère des Masaesyles, dont la capitale était Siga, près de l’actuelle Aïn Temouchent, et qui s’étendait de la Moulouya à l’ouest jusqu’à à l’Oued el-Kébir à l’Est, fut le seul moment d’existence d’une entité que l’on pourrait, tout anachronisme mis à part, considérer comme ayant été une «pré-Algérie». Ensuite, il faudra attendre la France pour voir naître un pays qui reçut le nom d’Algérie le 14 octobre 1839, quand le général Antoine Virgile Schneider, alors ministre de la Guerre, donna ce nom à la conquête française.

Géographiquement, ethniquement, linguistiquement et historiquement, l’Algérie est plurielle. Historiquement, ce sont ces diversités qui ont fait obstacle à un processus de fusion «nationale». En raison du poids exercé à l’ouest par le Maroc et à l’est par Tunis, ces deux pôles potentiels d’unité que furent Tlemcen et Bougie ne formèrent pas des noyaux pré-étatiques «algériens». À la différence du Maroc, où Fès et Marrakech développèrent des empires à travers des dynasties successives.

De plus, la «nation algérienne» n’existant pas, nulle part la prière n’était dite au nom d’un chef «algérien». Quant aux Turcs, ils ne favorisèrent pas l’évolution vers un État-nation algérien. Enfin, à la différence des Karamanli en Libye et des Husseinites en Tunisie, il n’y eut pas dans la Régence d’Alger d’apparition d’une dynastie nationale ou pré-nationale. Tout cela a fait dire au général de Gaulle que:

«(…) Depuis que le monde est monde, il n’y a jamais eu d’unité, ni, à plus forte raison, de souveraineté algérienne. Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes syriens, Arabes de Cordoue, Turcs, Français ont tour à tour pénétré le pays sans qu’il y ait eu à aucun moment, sous aucune forme, un État algérien» (Charles de Gaulle, 16 septembre 1959, déclaration à la RTF).

Ce fut la France qui rassembla ces ensembles dont elle fit l’Algérie, notamment à travers une ambitieuse politique de désenclavement routier. Ce fut toujours la France qui traça les frontières du pays. À l’ouest, en amputant territorialement le Maroc du Touat, du Tidikelt, du Gourara, de Tindouf, de Béchar, de Tabelbala, etc. Au sud, en l’ouvrant sur un Sahara qu’elle n’avait, et par définition, jamais possédé.

L’histoire officielle algérienne, écrite par le régime depuis 1962, nie ces réalités. Voilà donc pourquoi il est si difficile d’appréhender le passé de ce pays, car écrire son histoire contraint à un choix. Soit suivre la trame de l’histoire officielle popularisée en France par des historiens comme Benjamin Stora; soit s’en affranchir, mais en acceptant alors par avance les attaques et les procès d’intention. Une démarche scientifique impose en effet une profonde critique d’une histoire-propagande qui est avant tout l’addition de mythes et d’affirmations péremptoires de nature idéologique.

Peut-être encore plus grave, l’histoire officielle de l’Algérie semble relever en partie de la thérapie nationale. Il faut en effet bien comprendre qu’en Algérie, l’histoire n’est pas tant l’étude du passé que le moyen de s’affranchir d’un traumatisme existentiel que Mohamed Harbi a résumé d’une phrase: «L’histoire est l’enfer et le paradis des Algériens». Superbe formule, en effet, car, «enfer» des Algériens, leur propre histoire? Oui, parce qu’elle les ramène constamment à des réalités qu’ils nient, ce qui rend donc impossible toute analyse rationnelle du passé. «Paradis» des Algériens, leur propre histoire? Là encore, oui, parce que, pour oublier ces réalités, les Algériens s’accrochent à un passé reconstruit et même souvent fantasmagorique.

D’où l’impossibilité de réviser une histoire devenue dogme. Dans ces conditions, on comprend donc que le «travail de mémoire commun» si cher à Emmanuel Macron n’est qu’une farce, car, quand Paris ouvre largement ses archives, Alger ferme les siennes... Quant à Abdelmadjid Chikhi, le pendant algérien de Benjamin Stora, il ne se comporte pas en historien, mais en vengeur de l’histoire.

Par Bernard Lugan
Le 29/04/2025 à 11h00