Le «Dahir berbère» ou la tentative de briser l’unité nationale marocaine

Bernard Lugan.

ChroniqueQuoiqu’il en soit de ses buts réels ou cachés, ce texte fut considéré par la population comme une volonté de dissolution de la Nation car, avec le Dahir berbère, deux systèmes juridiques différents allaient être appliqués aux Marocains, ceux d’origine «arabe» étant soumis au droit islamique, tandis que les Berbères seraient régis selon leurs coutumes traditionnelles.

Le 03/06/2025 à 11h00

Après le départ du maréchal Lyautey, une certaine administration française tenta de suivre une politique qui était à l’opposé de celle qui avait été la sienne en cherchant à «autonomiser» les Berbères par rapport au droit d’État.

L’idée de la double composante marocaine, arabe et berbère qui était sous entendue dans le Dahir berbère du 16 mai 1930, était une très grave atteinte à l’unité nationale marocaine.

Pour la commission qui avait préparé le texte, le but était en effet de placer hors de la législation islamique nationale, le domaine juridique coutumier berbère (Orf ou Izref), ce qui aurait eu pour conséquence une partition ethnique du Maroc.

Certains responsables français avaient probablement en tête l’idée de rompre l’uniformité de l’organisation judiciaire du Protectorat afin de pouvoir, éventuellement, prendre appui sur l’élément berbère vu comme un contrepoids politique aux revendications nationalistes alors essentiellement portées par la bourgeoisie «arabe» de Fès.

Quoiqu’il en soit de ses buts réels ou cachés, ce texte fut considéré par la population comme une volonté de dissolution de la nation car, avec le Dahir berbère, deux systèmes juridiques différents allaient être appliqués aux Marocains, ceux d’origine «arabe» étant soumis au droit islamique, tandis que les Berbères seraient régis selon leurs coutumes traditionnelles.

«En réalité, le Dahir berbère allait provoquer émiettement, divisions et il était porteur de graves troubles.»

—  Bernard Lugan

Or, si les Berbères étaient soustraits au droit national coranique, ils ne dépendraient donc plus du Sultan Commandeur des Croyants. Dans ces conditions, qu’allait-il rester comme pouvoir à ce dernier?

Cette vision qui était attentatoire aux principes mêmes du Traité de Fès, prenait de plus l’exact contre-pied des vues de Lyautey dont la priorité constante avait été de renforcer, tout au contraire, l’unité nationale à travers la personne du Sultan.

Ainsi, pour le maréchal: «La source de toute autorité est chez le Sultan. Son autorité religieuse et son pouvoir politique s’étendent sur toutes les villes et les tribus de l’Empire (…)» (Lyautey aux notables de l’Empire chérifien, 1917)

De plus, comment distinguer les tribus les unes des autres, nombre de leurs segments étant soit réputés d’origine «arabe» ou d’origine «berbère»? A ce sujet, un insolite paradoxe que Mustapha El Qadéry a souligné dans son article intitulé La justice coloniale des “Berbères” et l’Etat national au Maroc est que les tribus berbères relevant de l’autorité du Glaoui ne faisaient pas partie des tribus dites «de coutume» recensées par le Dahir berbère de 1930 puisque: «Ses tribus n’ont jamais été classées dans le domaine de la «justice berbère» et comme territoire de coutume sous le régime de protectorat (…) toutes les tribus soumises au pouvoir du Glaoui furent soumises aux juridictions «musulmanes» ainsi qu’à leurs tribunaux. Pourtant il fut le «Seigneur des Berbères» comme le qualifiaient les écrits français et il n’avait que des tribus berbères dans son domaine caïdal et de pachalik.» (El Qadéry, 2007 :14).

En réalité, le Dahir berbère allait provoquer émiettement, divisions et il était porteur de graves troubles. Aussi, dès le 20 juin 1930, les premières manifestations se déroulèrent, notamment à Salé, à Fès et, dans les mosquées du royaume, fut récité le Latif, la prière de détresse réservée aux calamités publiques.

Refusant la gravissime atteinte à l’unité nationale, le Sultan Mohammed ben Youssef négocia pas à pas avec la Résidence. Finalement, il obtint gain de cause, le Dahir du 8 avril 1934 abrogeant en effet l’article 6 du Dahir du 16 mai 1930 dit Dahir berbère. Ce nouveau Dahir uniformisait les juridictions marocaines, donnant au Haut Tribunal Chérifien entière compétence pour juger les crimes commis dans tout le Maroc.

Par Bernard Lugan
Le 03/06/2025 à 11h00