Abdelmadjid Tebboune serait «en colère». Pourtant, aucun remaniement ministériel ni une intervention directe du concerné lui-même dans les médias publics n’ont eu lieu pour matérialiser ce mécontentement. C’est plutôt une dépêche de l’APS, sous le titre «Le Président Tebboune hausse le ton», dont l’auteur et la source sont inconnus, qui s’est emmitouflée dans le costume présidentiel mardi soir.
L’objectif n’est autre que de tisser des lauriers à un président en déperdition, dont la gouvernance chaotique a mené l’Algérie droit dans le mur, tout en tentant de faire assumer la responsabilité de ses déboires aux membres de son gouvernement.
Pour ce faire, Tebboune est présenté par l’APS comme l’homme ayant «transformé» (en quoi ?) l’Algérie «en l’espace de trois ans», mais qui «doit encore prendre des mesures “draconiennes” pour mettre fin à une certaine “culture de la passivité”, qui met à mal la concrétisation de certaines mesures prises». Il est également qualifié par ce média étatique d’homme qui «ne dort jamais sur ses lauriers» et qui doit sortir d’autres «thérapies» pour vaincre le cancer de la «bureaucratie»… Vaste programme!
Après avoir redoré le blason de Tebboune avec des formules creuses, l’APS en vient au vif du sujet: dresser un bilan catastrophique de «l’Algérie nouvelle» tout en le faisant endosser à l’équipe gouvernementale. En effet, selon l’agence de presse officielle, Tebboune est agacé par les «chiffres approximatifs», las des «échéances élastiques», outré par les décisions impopulaires qui «perturbent le quotidien des citoyens et celui des opérateurs économiques», révolté par «l’autoritarisme», indigné par le «protectionnisme», et juge criminelle «l’interdiction des importations», dont l’aboutissement est un «pays verrouillé et livré au bon vouloir de certains “dangereux” bureaucrates».
Qui est le responsable de toutes les décisions contre lesquelles le président algérien se révolte de manière aussi brutale? Abdelmadjid Tebboune himself. Il ne faut surtout pas chercher à comprendre quoi que ce soit dans la gouvernance du régime d’Alger depuis que le duo Tebboune-Chengriha est aux commandes. Les vieillards qui dirigent ce pays, en plus de la kyrielle de maladies chroniques dont ils souffrent, doivent être aussi atteints de démence. En tout état de cause, ce régime baigne dans l’irrationnel.
In fine, ce sont donc les membres du gouvernement d’Aïmène Abderrahmane que Tebboune veut livrer à la vindicte populaire en les présentant comme les seuls fautifs. Mais ces boucs émissaires ne sont en réalité que les exécutants zélés des décisions «ordonnées» par Tebboune, lui-même souvent «instruit» par la junte militaire dont il ne peut contrer l’ascendance.
C’est donc un véritable constat d’échec de la gouvernance de Tebboune qui est aujourd’hui indirectement dressé dans cette sortie médiatique, loin d’être anodine. L’on se rappelle que ces dérives qui sont aujourd’hui critiquées, particulièrement en ce qui concerne l’interdiction des importations, dans un pays qui ne produit rien à part l’extraction et l’exportation en l’état des hydrocarbures, ont été officiellement prises par Tebboune, 9 mois seulement après son «élection». Dans un communiqué du Conseil des ministres tenu le dimanche 20 septembre 2020, il est écrit que «le président Tebboune a ordonné de soumettre, à l’avenir, tout engagement financier dans l’importation et toute transaction en devises, à l’approbation préalable du Conseil du gouvernement, en vue de protéger le produit national, encourager sa consommation au niveau local et préserver les réserves de change».
C’est pitié de dire aujourd’hui que Tebboune «n’a, à aucun moment, interdit les importations, l’autosuffisance n’existe dans aucun pays au monde, les importations sont nécessaires», comme l’écrit maladroitement l’APS. Car c’est bien Tebboune qui a décrété, depuis 2020, la réduction drastique des importations. Il a même réitéré cette décision lors de plusieurs interventions publiques, y compris dans ses interviews avec la presse étatique, à tel point que jusqu’à aujourd’hui encore, l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers (ABEF), sur instructions de la présidence, des ministères des Finances et du Commerce, rejette toute domiciliation bancaire pour l’importation de produits faisant l’objet d’une interdiction comme les produits pharmaceutiques, les viandes rouges, les poules pondeuses, les pâtes alimentaires, la semoule… qui manquent cruellement sur le marché algérien ou sont écoulés à des prix exorbitants.
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La nouvelle colère de Tebboune sur le manque et le renchérissement de ces produits qu’il a interdits d’importation n’est donc rien d’autre que la marque patente de sa gouvernance épidermique, chaotique, détachée du réel. Un président qui perd facilement ses nerfs. Il y a tout juste quelques jours, il est entré dans une colère noire, cette fois-ci contre ses «amis» macroniens qui ont exfiltré vers la France, le 6 février courant, l’opposante franco-algérienne Amira Bouraoui, au point d’amener Tebboune à rappeler, pour la seconde fois en 3 ans de pouvoir, son ambassadeur en France.
Ces coups de sang intempestifs de Tebboune sont révélateurs d’un président qui tente de faire une démonstration d’autorité alors qu’il en manque cruellement. C’est ce président inconstant, illégitime et incompétent qui fait aujourd’hui volte-face et trouve un bouc émissaire commode dans des ministres qui n’ont fait qu’appliquer ses instructions.
Mais puisqu’il n’y a jamais de fumée sans feu, il n’est pas nécessaire d’être devin pour comprendre les raisons du rétropédalage subitement opéré par Tebboune sur les importations. C’est la grogne sociale qui couve actuellement en Algérie, annonciatrice d’une déflagration générale inéluctable, qui, seule, peut expliquer un tel coup de théâtre dans ce pays où l’irrationnel domine à tous les étages.
C’est donc rouge de honte, et non de colère, que Tebboune n’a pas osé s’expliquer lui-même, à visage découvert, sur les raisons de cette énième palinodie. Il s’est caché derrière une dépêche de l’agence de presse officielle, qui n’a finalement servi qu’à le décrédibiliser davantage.