L’Algérie rappelle son ambassadeur à Paris, suite à l’exfiltration par la France de la journaliste algérienne Amira Bouraoui

Le président français Emmanuel Macron et son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune.

C’est le président Abdelmadjid Tebboune en personne qui a décidé, ce mercredi, le rappel de l’ambassadeur algérien à Paris pour consultations. Cette décision intervient bien évidemment suite à l’exfiltration par les autorités françaises de la journaliste franco-algérienne, Amira Bouraoui. Cette opération, soutenue par la Tunisie, a eu le mérite de dévoiler au monde entier la face hideuse du régime algérien répressif.

Le 08/02/2023 à 19h10

La page de la lune de miel entre Paris et Alger est vite tournée. Dans un communiqué de la présidence algérienne, relayé par l’agence officielle de presse ce mercredi 8 février vers 18h, on apprend que le président algérien Abdelmadjid Tebboune a ordonné le rappel immédiat de l’ambassadeur algérien à Paris pour consultations.

Dans ce bref communiqué, on peut ainsi lire que «dans le prolongement de la note officielle par laquelle l’Algérie a protesté fermement contre l’exfiltration clandestine et illégale d’une ressortissante algérienne dont la présence physique sur le territoire national est prescrite par la justice algérienne, le président de la République M. Abdelmadjid Tebboune a ordonné le rappel en consultations de l’Ambassadeur d’Algérie en France, Saïd Moussi, avec effet immédiat».

Quelques minutes avant ce communiqué de la Mouradia, le ministère algérien des Affaires étrangères a diffusé un autre communiqué du même acabit.

«Le ministère des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger a exprimé aujourd’hui à l’Ambassade de France la ferme condamnation par l’Algérie de la violation de la souveraineté nationale par des personnels diplomatiques, consulaires et de sécurité relevant de l’Etat français qui ont participé à une opération clandestine et illégale d’exfiltration d’une ressortissante algérienne dont la présence physique sur le territoire national est prescrite par la justice algérienne», rapporte ce communiqué. Et de préciser que «ce développement inadmissible et inqualifiable cause un grand dommage aux relations algéro-françaises». Le ton est donné.

Comme on pouvait s’y attendre, la fuite rocambolesque de la journaliste Amira Bouraoui vers la Tunisie la semaine dernière, puis sa sécurisation par les autorités consulaires françaises à Tunis qui l’ont embarquée lundi dernier dans un avion à destination de Lyon, ont fini par faire perdre ses nerfs à la junte algérienne.

Tout laisse croire que les autorités françaises n’ont pas donné la moindre importance aux gesticulations d’Alger qui reconnaît avoir envoyé à Paris une «note officielle» de protestation, restée lettre morte. Ce qui a poussé le régime algérien à sortir sa méthode habituelle de rappel d’ambassadeur, une «sanction» qu’elle avait déjà utilisée contre la France le 2 octobre 2021, suite à des propos tenus par le président français Emmanuel Macron sur la «rente mémorielle» entretenue par un «système politico-militaire».

La Tunisie, elle, qui a subi d’énormes pressions de la part de la junte algérienne en vue d’extrader Amira Bouraoui, mais qui a fini par se plier aux conseils de la France, qui défendait après tout l’une de ses ressortissantes menacée de prison, a réussi à s’éviter la colère d’Alger. En effet, le ministre tunisien des Affaires étrangères, Othman Jerandi, a été limogé hier mardi par le président Kaïs Saied.

Ce limogeage est intervenu quelques heures seulement après le décollage d’un avion de Transavia reliant Tunis à Lyon, dans la nuit de lundi à mardi derniers, avec un passager convoité par la junte: Amira Bouraoui. Tout porte à croire qu’Othman Jerandi est le fusible qui a permis à Kaïs Saied d’éviter les représailles du régime d’Alger.

Cette nouvelle détérioration des relations franco-algériennes était dans l’air, du moins à la lecture des différents médias algériens de ce mercredi qui ont été lâchés comme une meute contre la France.

Dans un éditorial intitulé «Encore un énième acte inamical de la France», le quotidien Al Moudjahid écrit, dans son édition du mercredi 8 février, que «la France, qui fait face à tant de colère en Afrique, à cause de son arrogance néocoloniale, ne changera jamais. Lundi, elle a agi d’une manière “très inamicale” envers l’Algérie et la Tunisie. La France officielle, à travers sa représentation diplomatique en Tunisie, a bafoué la loi tunisienne en menant une opération d’exfiltration vers la France d’une ressortissante algérienne qui était sur le point d’être expulsée vers l’Algérie, car, elle se trouvait en situation irrégulière en Tunisie.»

De son côté, le quotidien L’Exression se plaint du fait que «la France exfiltre des militants politiques algériens et refuse de donner la moindre importance aux mandats d’arrêt internationaux lancés contre de nombreux opposants politiques algériens établis en France».

On verra combien de temps le président Tebboune va garder à Alger Saïd Moussi, son ambassadeur à Paris rappelé pour consultations «avec effet immédiat». Ce dernier occupait le poste d’ambassadeur à Madrid avant son rappel le 19 mars 2022. Depuis cette date, il n’y a pas d’ambassadeur d’Algérie en Espagne. Nommé à Paris comme pour faire un pied de nez à Madrid, le même Saïd Moussi est rappelé une fois encore à Alger ce mercredi 8 février.

La question qui se pose: est-ce que le poste d’ambassadeur d’Algérie à Paris restera vacant aussi longtemps que celui de Madrid? Ou bien est-ce que Saïd Moussi va regagner Paris par la petite porte et d’une façon quasi clandestine, comme l’a fait son prédécesseur Mohamed Antar Daoud quand il a été rappelé après les propos de Macron sur la «rente mémorielle»? Tout porte à croire que la junte choisira la voie honteuse et renverra dare-dare Saïd Moussi à Paris.

Par Mohammed Ould Boah
Le 08/02/2023 à 19h10