La récente intervention de Massad Boulos sur Sky News Arabia n’a rien d’anodin. L’homme, connu pour sa proximité avec Donald Trump, a choisi une chaîne arabophone émiratie et les deux uniques sujets évoqués durant l’entretien, qui dure dix-sept minutes, ne doivent pas être séparés: la question du Sahara d’une part, et le Soudan d’autre part. L’apparente neutralité de son propos masque mal une intention stratégique: tester les réactions, sonder les lignes rouges, et rappeler que Washington a toujours une longueur d’avance sur le dossier du Sahara.
En surface, Boulos s’exprime avec mesure. Il évoque le «rôle constructif» du Maroc, la «nécessité de parvenir à une paix durable» et la «part de l’Algérie» dans le dossier, si bien qu’il ignore superbement le Polisario qu’il ne cite jamais. Mais derrière ces formules convenues se cache un message subliminal, presque codé: la paix qu’il appelle de ses vœux n’est pas celle d’une négociation sans fin, et elle contient un scénario possible à la soudanaise pour Alger.
Soit Tebboune et l’armée algérienne acceptent la résolution du conflit artificiel du Sahara selon le modus operandi du roi Mohammed VI et de Trump, sauvant l’Algérie, les Sahraouis, et tournant la page sombre qui aura duré un demi-siècle; soit Alger va s’arc-bouter sur la doctrine de Boumediene et se diriger irrémédiablement… naturellement… sans autre solution possible… vers le scénario du Soudan. À savoir une partition de son pays, notamment pour loger les Sahraouis, les autres nationalités qui augmentent leurs rangs et les milices armées du Polisario.
On peut se demander en effet pourquoi dans cette interview le sujet du Soudan chevauche celui du Sahara? Simple coïncidence ou parallélisme subtil, recherché sciemment, constituant un message pour l’Algérie?
Premier scénario: la paix, mais pas à n’importe quel prix
Le premier scénario présenté par Massad Boulos est celui de la paix, un mot qu’il emploie comme un mot-valise. Dans la rhétorique diplomatique américaine, «paix» ne signifie pas neutralité: elle renvoie à une issue qui consacre le plan d’autonomie marocain comme unique voie réaliste.
Ce scénario, que Washington présente comme un compromis «gagnant-gagnant», repose sur deux piliers:
- Le désarmement du Polisario et la transformation du mouvement en une force politique civile;
- L’intégration des Sahraouis dans une région marocaine dotée de larges compétences administratives, économiques et culturelles;
Autrement dit, Boulos ne parle pas d’une paix abstraite, mais d’une solution finale conforme à la vision marocaine de stabilité régionale. Ce modèle fut d’ailleurs esquissé dès 2020, lorsque Donald Trump reconnut la souveraineté marocaine sur le Sahara.
Lire aussi : Massad Boulos réaffirme le soutien des États-Unis à la souveraineté du Maroc sur son Sahara
Le message est clair: la paix, oui, mais sous la bannière du Maroc. Il s’agit d’offrir aux Sahraouis non pas l’indépendance chimérique promise par Alger, mais une autonomie garantissant la dignité et la prospérité.
Scénario II, un avertissement voilé à Alger
Mais derrière cette proposition équilibrée, Massad Boulos adresse un avertissement à peine voilé à l’Algérie, que les chancelleries comprennent bien. Si Alger persiste à refuser cette solution politique, si elle continue de soutenir un front armé à ses frontières, le second scénario– celui qu’il évoque dans l’autre partie de l’interview– pourrait devenir réalité: un scénario à la soudanaise.
Dans ce cas, le mot «paix» s’efface devant celui de «scission». Boulos semble rappeler à l’Algérie que son refus d’évoluer pourrait se retourner contre elle. L’allusion au Soudan n’est pas fortuite: la guerre civile qui y déchire le pays depuis 2023, entre un Nord et un Sud fragmentés, incarne le pire cauchemar pour tout État.
Entre les lignes, chez Boulos, le risque n’est plus celui d’un conflit armé entre le Maroc et l’Algérie, mais celui d’une fragmentation interne de l’Algérie elle-même. Boulos n’a pas prononcé le mot, mais la comparaison suffit à réveiller les fantômes.
En cas de déni, une Algérie coupée en deux
Oui, ce scénario du chaos, que Boulos évoque dans l’autre partie de l’interview, sorte d’épée de Damoclès sous forme d’une métaphore soudanaise, renvoie à une hypothèse plausible: une Algérie divisée entre un Nord centralisé et un Sud saharien instable, livré à des forces centrifuges, composées notamment des milices armées du Polisario. Dans cette configuration, les Sahraouis, marginalisés et manipulés depuis des décennies, finiraient par revendiquer non plus un État fictif sur le sol marocain, mais un territoire sur les marges méridionales algériennes.
Ce discours, d’apparence théorique, trouve un écho dans la réalité géographique: le Sahara algérien représente 80% du territoire, mais à peine 10% de la population. Les tensions y sont latentes, alimentées par le sentiment d’abandon, les inégalités économiques et les trafics transfrontaliers.
En évoquant le Soudan, Boulos prévient Alger des conséquences d’une surenchère: à fuir et refuser le plan du Maroc, c’est elle qui pourrait voir sa propre cohésion territoriale menacée. Le message est brutal: celui qui nourrit le séparatisme finit toujours par en devenir la victime.
Le Maroc trace la ligne
Ce double scénario s’inscrit dans la continuité d’une doctrine américaine de stabilité pragmatique, déjà acceptée désormais dans les couloirs de l’ONU. En reconnaissant la marocanité du Sahara, les États-Unis ont placé la barre haut: ils n’envisagent aucun retour en arrière. Les récentes sorties médiatiques de Massad Boulos et de Steve Witkoff viennent le rappeler: la reconnaissance est actée, et l’option d’autonomie sous souveraineté marocaine demeure la seule considérée comme viable.
Ce rappel subtil, livré sur Sky News Arabia, vise aussi à préparer l’opinion algérienne à une mutation du discours: la communauté internationale n’est plus dupe de la rhétorique tiers-mondiste du régime d’Alger, et le front du Polisario, kaput, cassé, hors d’usage, ne peut survivre sans le Maroc.
Une diplomatie de la métaphore
Soit l’Algérie accepte de négocier dans le cadre de la proposition marocaine d’autonomie– et sauve la face et son intégrité territoriale–, soit elle s’enferme dans un isolement dont le prix politique pourrait être considérable.
Lire aussi : Pousser le régime à se raviser sur le Sahara: le vrai motif du voyage de Massad Boulos en Algérie
L’art du message subliminal, chez Massad Boulos, repose sur la métaphore. Il ne dit pas: «L’Algérie risque la division.» Il dit: «Le Soudan nous enseigne les dangers de l’immobilisme.» Il ne dit pas: «Le Polisario peut se retourner contre l’Algérie.» Il parle de «donner une chance à la paix». Mais dans le langage codé des diplomaties américaines, ces euphémismes valent injonction.
Ainsi, son passage sur Sky News Arabia ne s’adresse pas seulement aux gouvernements: il s’adresse aux opinion-makers du monde arabe, aux élites qui façonnent les récits et préparent les transitions. En évoquant à demi-mot une Algérie à deux vitesses, entre message et menace, Boulos inscrit le débat dans une temporalité courte: celle d’un pays fragilisé par son refus de l’adaptation.
En apparence, son intervention se voulait apaisante. En réalité, elle sonne comme un ultimatum doux, une dernière chance offerte à Alger pour se ressaisir avant que la logique de fragmentation ne s’impose. Entre la paix et la dislocation, le choix est clair. Reste à savoir si l’Algérie saura lire le message avant qu’il ne devienne prophétie.








