Qui l’aurait cru? En 2024, le Maroc deviendra le premier fabricant de véhicules sur le continent, devant l’Afrique du Sud, leader incontesté du secteur depuis plusieurs décennies, d’après le cabinet BMI, filiale de Fitch Solutions, spécialisé dans l’analyse financière. Selon ses prévisions, Rabat devrait produire un peu moins de 614.000 unités cette année (véhicules de tourisme et les utilitaires légers), contre 591.000 unités pour Pretoria, tirant ainsi profit des «mauvaises performances logistiques et une augmentation des importations de véhicules en Afrique du Sud en 2024».
Mieux, selon la même source, l’hégémonie marocaine devrait se maintenir au cours de la prochaine décennie, avec une production de véhicules qui connaîtra une croissance annuelle moyenne de 6,8% en glissement annuel jusqu’en 2033, pour atteindre un volume de production annuel de 1,09 million d’unités.
L’exploit ne doit rien au hasard. C’est le fruit d’une vision royale matérialisée par d’importants investissements et initiatives au cours de ces vingt-cinq dernières années. Une belle saga qui a démarré en février 2012, avec l’inauguration, par le roi Mohammed VI, de l’usine Renault Tanger. À l’époque, peu d’experts pariaient sur la réussite d’un tel projet, surtout dans un écosystème automobile encore balbutiant.
Un volume de 582.661 véhicules produits au Maroc en 2023
Un an plus tard, l’audace porte ses fruits. Douze mois après son démarrage, le site double sa production pour atteindre la barre des 100.000 véhicules, très loin des quelque 30.000 voitures de la marque au losange montées, à partir de pièces importées, à la Société marocaine de construction automobile (SOMACA) à Casablanca, au début des années 2000. Un cap venait d’être franchi. Au fil des années, l’usine monte en puissance au point de devenir la deuxième plateforme de fabrication de véhicules entrée de gamme de l’ex-alliance Renault Nissan, derrière l’usine historique de Renault à Pitesti, en Roumanie.
Inspiré par le succès de son homologue français, le groupe PSA (devenu Stellantis après sa fusion avec Fiat Chrysler), inaugure en juillet 2019, une nouvelle usine à Kénitra, logée dans la zone industrielle intégrée Atlantic Free Zone (lancée en 2010), pour un investissement de 570 millions d’euros, soit près de 6 milliards de dirhams.
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Aujourd’hui, ces deux constructeurs, dont près de 90% de la production est exportée principalement en Europe, sont la principale locomotive de la success-story de l’industrie automobile du Maroc, qui a produit 582.661 véhicules en 2023. Dans le détail, Renault avait produit 382.661 véhicules dans ses deux sites de Casablanca et Tanger, en hausse de 9,3% par rapport à 2022. Le mastodonte italo-franco-américain, qui fabrique 200.000 voitures par an, compte doubler sa capacité pour atteindre 450.000 véhicules par an.
Si le Maroc a pu asseoir cette solide industrie locale, c’est notamment grâce au Plan d’accélération industrielle 2014-2020 qui a véritablement dopé l’écosystème de l’industrie automobile et favorisé l’avènement de parcs industriels comme Atlantic Free Zone (AFZ), Tanger Free Zone (AFZ) et Tanger Automotive City (TAC), dans lesquels les industriels bénéficient d’une exonération totale de l’impôt sur le revenu (IR) pendant les 5 premières années.
Des exportations d’une valeur de plus de 140 milliards de dirhams en 2023
L’État propose aussi, à travers le Fonds Hassan II pour le développement économique et social, des subventions à hauteur de 15% du montant total de l’investissement, plafonnées à 30 millions de dirhams et des primes à l’intégration locale et un appui aux métiers pionniers pouvant atteindre 30% du montant de l’investissement. Ce plan a aussi encouragé la formation d’une masse critique d’ingénieurs qualifiés mis à la disposition des investisseurs.
D’importantes incitations qui ont attiré plus d’une centaine d’équipementiers automobiles comme Lear Corporation, Sumitomo, Delphi, TE Connectivity, Valeo, Yazaki, Denso ou encore Faurecia, permettant aux ingénieurs marocains de bénéficier d’un transfert de technologies et de maîtriser les différents maillons de la chaîne de valeur de la filière industrielle. Du câblage automobile à la fabrication de moteurs et transmission, en passant par la production de poids lourds et la carrosserie industrielle, ainsi que le métal/emboutissage.
Le manufacturier chinois Zhejiang Asia-Pacific Mechanical & Electronic (APG), spécialisé dans la production de systèmes de freinage et de contrôle électronique du châssis, qui installera aussi une unité industrielle à Tanger Automotive City, pour un investissement de 70 millions de dollars, rallongera bientôt cette liste.
L'usine de Renault Maroc de Tanger est la plus grande d'Afrique. Le groupe dispose d'une capacité totale de 440 000 unités qui passera bientôt à 500 000 unités.. DR
La proximité géographique du Royaume constitue également un atout attractif pour les multinationales qui peuvent exporter d’importants volumes dans les conteneurs, particulièrement à Tanger Med, première plateforme portuaire en Méditerranée. Résultat: l’industrie automobile marocaine enchaîne les belles performances à l’export.
En valeur, ses exportations s’élevaient à plus de 140 milliards de dirhams en 2023, en hausse de 27% par rapport à 2022, confirmant sa position de premier secteur exportateur du Royaume, loin devant les secteurs agriculture et agroalimentaire (83,14 milliards de dirhams) et phosphates (76,14 milliards de dirhams). Mieux, l’année dernière, le secteur a représenté, à lui seul, 33% des exportations totales du Royaume.
Les gigafactories, filière d’avenir du Royaume
La filière a aussi réalisé un chiffre d’affaires de plus de 220 milliards de dirhams en 2023 et atteint un taux d’intégration locale (le niveau de participation des fournisseurs établis au Maroc à l’activité productive de l’investisseur) de 65%. C’est aussi un important pourvoyeur d’emplois avec environ 220.000 postes créés.
Après avoir séduit les investisseurs, le Royaume ambitionne de développer une industrie de fabrication locale de véhicules. Une volonté symbolisée par la présentation, le 15 mai 2022, du premier constructeur national Neo Motors, qui a mis en place une unité industrielle à Ain Aouda (Région Rabat-Salé-Kénitra) pour la fabrication de véhicules automobiles destinés au marché local et à l’export, avec une capacité annuelle prévisionnelle de 27.000 unités et un taux d’intégration locale de 65%.
Le succès de l’industrie automobile du Maroc attire aussi des géants de la mobilité comme les groupes chinois BTR, CNGR ou encore Gotion High-Tech, mais aussi coréens et canadiens, qui vont ériger des gigafactories dans le Royaume pour la fabrication de batteries pour véhicules électriques. Des investissements qui, d’après BMI-Solutions, devraient soutenir davantage la croissance de l’industrie automobile.
Quittons l’automobile pour nous intéresser à l’aéronautique. Là aussi, l’évolution est plus qu’impressionnante. Quasi inexistante au cours des vingt dernières années, la filière a connu une transformation remarquable pour devenir une véritable base industrielle pour de grands constructeurs comme, Boeing, Airbus, Spirit Aerosystems, Safran, Sabca ou encore Collins Aerospace.
Aéronautique: du «néant» à la cour des grands
L’une des premières briques de cette réussite a été posée en 2007, avec la création du Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales (GIMAS) qui regroupe aujourd’hui plus d’une centaine de membres. S’en suivra la création de la zone franche Midparc à Nouaceur en 2011, de l’Institut des métiers de l’aéronautique (IMA) et de l’Institut spécialisé des métiers de l’aéronautique et de la logistique aéroportuaire (ISMALA), administrés par le GIMAS. À cela s’ajoutent les nombreux avantages fiscaux et l’accès au foncier pour les investisseurs, dans le cadre du Plan d’accélération industrielle 2014-2020.
Dans une usine d'Airbus au Maroc. (Photo d'illustration)
Septembre 2016, le tournant. Le géant américain Boeing signe un protocole d’accord avec le gouvernement pour la création d’un écosystème industriel au Maroc, qui a permis l’implantation de pas moins de 120 de ses fournisseurs. Une plateforme de sourcing local qui fut le kérosène ayant stimulé la croissance du secteur au Maroc.
Airbus a aussi misé sur le Royaume, à travers sa filiale Airbus Atlantic Maroc Composites qui ne cesse de monter en puissance. Le constructeur européen va d’ailleurs étendre ses activités au Maroc, après la signature d’un accord, le 1er juillet, avec l’équipementier américain Spirit Aerosystems, pour l’acquisition d’activités majeures liées à la fabrication de ses appareils dans cinq usines, dont celle de Casablanca.
Plus de 142 entreprises et 2 milliards de dirhams de CA à l’export
Sa filiale, Airbus Helicopters, a annoncé, le lendemain, l’ouverture d’une nouvelle filiale au Maroc. Cette entité se développera en centre de services pour la maintenance, la réparation et la révision, et deviendra son centre régional pour l’Afrique de l’Ouest.
À côté de ces mastodontes, d’autres grandes entreprises à l’instar des canadiens Pratt & Whitney et Shimco, l’espagnol Aciturri, ou dernièrement le groupe suédois Trelleborg, spécialisé dans la fabrication de systèmes d’étanchéité aéronautiques, se sont aussi installés à Midparc. Des industriels qui rejoignent une longue liste d’investisseurs déjà en place.
Aujourd’hui, plus de 142 entreprises opèrent dans les industries aéronautiques et spatiales au Maroc. L’industrie aéronautique emploie 20.000 personnes et génère un chiffre d’affaires à l’export de pas moins de deux milliards de dirhams. Son taux d’intégration locale a atteint 40%.
Comme dans l’automobile, le Maroc voit grand dans l’aéronautique. Son ambition: fabriquer un avion «100% marocain» d’ici 2030, selon le ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour. Une réalisation majeure qui permettra au Royaume de franchir un nouveau palier dans sa belle saga industrielle.