Elon Musk est en train de créer le chaos dans l’administration fédérale aux États-Unis. L’homme le plus riche du monde se croit qualifié pour diriger, par procuration, le pays le plus riche du monde. Ça lui semble logique. Ce ne l’est pas.
Du temps que j’étudiais l’économie, un de mes professeurs de l’EHESS, Ignacy Sachs, nous le répétait sans cesse: ce qu’on apprend en dirigeant une entreprise n’aide aucunement à la formulation de la politique économique d’un pays. Un pays n’est pas une firme. Pourquoi?
Prenons un seul exemple: la question des investissements étrangers. Oublions Musk un instant et intéressons-nous à notre propre pays. Le Maroc cherche -et c’est normal- à attirer le maximum d’investissements étrangers. Nous faisons tout pour ça, en simplifiant les démarches administratives, par exemple, ou en modifiant le Code du travail.
Supposons que ça marche et que les multinationales affluent pour construire chez nous des usines. Que se passerait-il alors pour notre balance commerciale? Si vous posez la question à un chef d’entreprise, disons Bennani (‘Bouazza’ ne serait pas très crédible comme pseudo dans ce contexte), il vous regardera comme si vous étiez un idiot et vous répondra:
- Avec toutes ces nouvelles usines, nous produirons bien plus que ce que nous consommons et notre cher pays commencera à enregistrer des excédents commerciaux.
Bennani raisonne ainsi en pensant à sa propre usine de Aïn Sebaâ. S’il en double la capacité, il pourra vendre plus. Il multiplie le raisonnement par cent (toutes ces nouvelles usines créées chez nous par des businessmen étrangers…), et il en conclut qu’on irait vers un excédent commercial pour l’économie de notre cher pays. Hourra!
«Elon Musk raisonne ainsi: si quelqu’un ne sert à rien dans mon usine, je le vire. Et c’est pourquoi il est en train de licencier des dizaines de milliers de fonctionnaires.»
Sauf que c’est faux. En fait, voici ce qui se passerait.
Les investissements étrangers affluent. Tout d’abord, une partie de cet argent est dépensée pour l’achat d’équipements importés pour les nouvelles usines; donc la balance commerciale en prend un (premier) coup. D’autre part, l’afflux d’argent alimente un boom intérieur: tous ces ouvriers, ces ingénieurs, ces administratifs marocains embauchés pour construire et faire tourner les nouvelles usines utilisent une partie de leur salaire pour acheter qui une télé Samsung, qui un iPhone, qui un 4x4 allemand, etc., c’est-à-dire des produits importés: de nouveau, la balance commerciale en prend un sérieux coup.
Par conséquent, et c’est là où Bennani ne comprend plus ce qui se passe, des entrées massives de capitaux (qui, selon lui, devaient entraîner plus d’exportations, donc un excédent de la balance commerciale du pays) ont été compensées par d’aussi massifs déficits commerciaux.
(Mes collègues économistes auront reconnu ici une vérité comptable aussi irréfutable que la loi de la chute des corps: la balance des paiements d’un pays doit toujours être nulle. Si un pays vend aux étrangers plus d’actifs qu’il n’en achète lui-même à l’étranger, il aura forcément un déficit commercial.)
Pour diriger un pays, il faut comprendre comment fonctionne une économie nationale et non comment tourne une entreprise.
Revenons, pour finir, à monsieur Tesla: Elon Musk. Cet entrepreneur raisonne ainsi: si quelqu’un ne sert à rien dans mon usine, je le vire. Et c’est pourquoi il est en train de licencier des dizaines de milliers de fonctionnaires qui, selon lui, ne servent à rien.
Espérons que les employés qui entretiennent l’avion personnel de Musk ne raisonnent pas comme lui et qu’ils ne font pas le ménage de façon aussi expéditive. Parce qu’un parachute, pendant des années, ça ne sert à rien. Et puis, un jour…