Le mois de ramadan approche et bientôt la population de notre beau pays va se diviser, comme chaque année, en deux parties très inégales: l’immense majorité, qui respecte la prescription coranique du jeûne, et une petite minorité qui n’en a cure.
Parmi la majorité qui jeûne, une bonne partie ne s’occupe que de ses affaires, ce qui est sage; mais l’autre partie va donner de la voix, en public et en privé, contre ceux qui ne jeûnent pas. Certains vont même se déchaîner contre eux, allant même jusqu’à les traquer, les dénoncer -l’expression wekkal remdane est censée être infamante.
Le fond est atteint quand on prétend que ce sont ces derniers qui sont responsables de toutes les catastrophes naturelles. Autrement dit, des innocents meurent dans un tremblement de terre à Amizmiz parce qu’un quidam a croqué un sandwich au thon dans une ruelle de Casablanca, un jour de ramadan. Ce ‘raisonnement’ n’a aucun sens, mais peu importe aux yeux de ceux qui arpentent en imagination et d’un pas conquérant les voies impénétrables de la Providence. Ils savent.
Chaque année, j’entends ces pénibles divagations sans rien dire. «On ne raisonne pas l’homme qui crie», disait René Char. Mais je me dis in petto qu’il y a onze mois dans l’année. Que font les imprécateurs pendant ces mois qui ne sont pas de ramadan? Sont-ils irréprochables? Euh…
Je me souviens d’une enquête publiée le 20 juin 2019 dans le prestigieux hebdomadaire Science, qui est une référence mondiale dans tous les domaines scientifiques. Cette fois-ci, il ne s’agissait pas de biologie, de mathématiques ou de chimie, mais d’anthropologie. Quatre chercheurs avaient fait une expérience dans pas moins de 355 villes, dans 40 pays différents.
«Je bous d’indignation contre ceux qui ne retrouvent leur sens ‘moral’ que pendant le ramadan et exclusivement pour tonner contre ceux qui, pour des raisons qui les regardent, ne jeûnent pas.»
Il s’était agi de déposer des portefeuilles identiques (plus de 17.000 au total…) aux comptoirs de diverses institutions (hôtels, banques, commissariats, etc.) et de noter combien seraient rendus à leurs propriétaires. Le nom, l’adresse, le numéro de téléphone et la carte de visite du propriétaire se trouvaient à l’intérieur du portefeuille, qui contenait aussi de l’argent -l’équivalent en monnaie locale de 100 dollars.
Le choix était donc clair: rendre ou voler.
Résultat: la proportion de portefeuilles rendus a dépassé 70% en Norvège et en Suisse. Le résultat était similaire aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Pologne. En bas du classement de l’honnêteté, seuls 10% des employés chinois ont remis le portefeuille à son légitime propriétaire.
Et au Maroc? Hélas… Moins de 10% des portefeuilles ont été rendus.
J’ai honte. Et en même temps, pour reprendre le fil de ce billet, je bous d’indignation contre ceux qui ne retrouvent leur sens ‘moral’ que pendant le ramadan et exclusivement pour tonner contre ceux qui, pour des raisons qui les regardent, ne jeûnent pas.
Le vol n’est-il pas tout aussi haram?
Ne pouvant m’adresser nominativement à tous mes compatriotes, je voudrais demander à l’un d’eux (au féminin d’ailleurs, parce que c’est une femme de ménage) qui a dérobé, un jour d’été, six mille dirhams d’un tiroir de mon bureau et que j’avais entendu un autre jour vouer à la géhenne ceux qui ne jeûnent pas, de se poser une de ces deux questions, au choix:
- Suis-je vraiment Musulman(e)?
- Ai-je le droit de blâmer autrui?