Bouazza Altman, le voleur volé

Fouad Laroui.

ChroniqueJe viens de regarder sur une chaîne de télévision américaine le dénommé Sam Altman, patron d’OpenAI, s’indigner du fait qu’un obscur Chinois aurait utilisé sans autorisation ses modèles de chatbot pour entraîner DeepSeek.

Le 05/02/2025 à 11h02

J’entends encore le mari de ma tante Zahra partir d’un rire homérique en nous racontant l’anecdote. C’était au temps de mon enfance, à El Jadida, dans les années 70 du siècle dernier. Zahra et son époux, qui exerçait la noble profession d’inspecteur de police à Casablanca, avaient l’habitude de venir passer quelques jours en été avec nous dans la capitale des Doukkala.

Ce jour-là, l’argousin riait aux larmes en nous racontant l’histoire d’un homme -nous le nommerons ici Bouazza Bouderbala- qui s’était présenté un jour au poste pour dénoncer un vol dont il avait été victime. C’était scandaleux, tout simplement scandaleux! Un certain Abdelmoula lui avait dérobé sa belle Fiat 127 couleur pomme et avait quitté en trombe Bernoussi, le quartier où les deux hommes habitaient.

La police marocaine est, on le sait, la plus efficace du monde, selon un classement officieux établi par Interpol -il semble que ce soit grâce au réseau de m’qaddem-s qui quadrille le territoire. Elle eut tôt fait de prendre ledit Abdelmoula au collet.

Et c’est là que l’affaire se corsa.

En effet, Abdelmoula affirma qu’on ne pouvait pas l’accuser de vol, vu que la Fiat 127 (couleur pomme) avait elle-même était volée par Bouazza.

Bouazza reconnut sans difficulté la chose, mais prétendit que ça ne regardait pas la police puisque le propriétaire de la voiture n’avait pas porté plainte.

Et voilà pourquoi le mari de ma tante Zahra riait aux larmes: au poste de police, où le voleur 1 et le voleur 2 développaient chacun son argumentation, les archers eux-mêmes s’étaient divisés, les uns soutenant la thèse bouazzique, les autres la thèse abdelmoulique. Les cours de droit de l’École de police étaient utilisés à l’appui de chaque thèse.

Pour régler l’affaire, il fallut l’intervention du fameux commissaire divisionnaire El Haj B., qui brisa son bureau d’un coup de poing furieux et hurla:

- Coffrez-moi ces deux pégreleux!

«Autrement dit, Sam Bouazza Altman, qui a volé des milliards de textes pour entraîner ChatGPT, accuse Liang Abdelmoula Wenfeng de larcin.»

Maintenant, vous vous demandez peut-être pourquoi je vous narre une anecdote qui remonte à l’époque des yéyés, des boums et des pantalons pattes d’éléphant.

C’est que je viens de regarder sur une chaîne de télévision américaine le dénommé Sam Altman, patron d’OpenAI, s’indigner du fait qu’un obscur Chinois, un certain Liang Wenfeng, aurait utilisé sans autorisation ses modèles de chatbot pour entraîner DeepSeek.

Autrement dit, Sam Bouazza Altman, qui a volé des milliards de textes pour entraîner ChatGPT, accuse Liang Abdelmoula Wenfeng de larcin.

Le mari de ma tante Zahra, paix à son âme, aurait ri encore plus fort s’il avait vécu assez longtemps pour voir où nous en sommes aujourd’hui. Ou peut-être aurait-il pleuré.

Parce que Bouazza Bouderbala ne sévissait que dans son quartier décrépit de Casablanca et ne prétendait à rien d’autre qu’à vivre sa vie. Bouazza Altman, lui, sévit à l’échelle du globe et prétend contrôler nos vies. Il fait partie de ces maîtres du monde autoproclamés. Mais au fond, il ne vaut pas mieux que le Bouazza de mon enfance -où nous nous passions fort bien d’intelligence artificielle.

Et, hélas, il n’y a pas à l’échelle du globe un commissaire divisionnaire El Haj B. pour jeter Altman et Wenfeng au trou et nous f… la paix.

Par Fouad Laroui
Le 05/02/2025 à 11h02