Le Maroc multiconfessionnel à l’heure du conflit Israël-Gaza

Zineb Ibnouzahir.

ChroniqueNous, Marocains, sommes riches de nos différences et en aucun cas ne devrions céder aux appels des extrêmes qui visent à nous diviser. Nous sommes Marocains, donc par essence, nous sommes musulmans et juifs, amazighs, arabes, hassanis et africains.

Le 20/11/2023 à 09h51

Dans un vieux quartier de Casablanca, où les trottoirs défoncés n’ont pas changé d’un iota depuis les années 90, et où les vieux immeubles côtoient désormais des résidences de très haut standing, on assiste encore à des scènes de vie qui font la beauté de notre pays.

Dans ces rues qui bordent le boulevard Ziraoui et la rue Jacquemin, il y a ces petits commerçants qui résistent au temps, du mécanicien au légumier, au snack, à la boucherie casher, aux vendeurs de pépites et au gardien de voitures… Dans ce quartier de la ville blanche, si atypique et si typique à la fois, la diversité est le maître-mot. Un lycée français en face duquel se trouve un lycée israélite, tous deux entourés de lycées publics. Trois types d’établissements scolaires représentant la laïcité, le judaïsme et l’islam se jouxtent et entraînent, à chaque heure de rentrée et de sortie des cours, un brassage à la fois multiculturel et multiconfessionnel.

Cœurs battants de ce quartier, il y a aussi ces cafés où se rassemblent les différentes communautés qui composent ce Casablanca cosmopolite auxquels les vrais Casablancais tiennent plus que tout. Attablés chaque matin en terrasse à l’heure du petit-déjeuner, une bande de joyeux retraités marocains de confession juive discutent, rigolent, interpellent leurs voisins qui passent, offrent un café à un ami, échangent des blagues avec le serveur, commentent l’actualité. C’est leur petit rituel de tous les jours.

À l’intérieur du même établissement, une foule de lycéens de tous bords se presse pendant les heures creuses pour boire un chocolat chaud, manger sur le pouce ou faire ses devoirs, sous l’œil attentif du patron qui veille au grain, des mamans qui attendent l’heure de sortie de leurs rejetons, des entrepreneurs le nez collé à l’écran de leur ordinateur…

Sur les écrans télé accrochés au mur, on ne passe que du sport. L’actualité du moment n’a pas sa place ici. Elle est déjà omniprésente partout, dans toutes nos discussions, mais ici, dans cette parenthèse en dehors du temps et loin des conflits du monde, la vie continue au même rythme depuis des décennies.

Ce jour-là, une femme d’un certain âge, la soixantaine dans toute sa beauté, habillée à l’occidentale, tout en élégance, entre et se dirige vers une table où sont assis autour d’un petit-déjeuner un homme âgé et son épouse, plus jeune que lui, habillée d’une jellaba et la tête couverte d’un voile. Elle se dirige vers l’homme qu’elle salue chaleureusement. À la langue qu’ils ont en commun, on comprend qu’ils sont tous deux marocains. Aux prénoms qu’ils échangent, on comprend qu’il est musulman et qu’elle est juive. Ils ne se sont pas vus depuis longtemps, déduit-on à la chaleur de leur étreinte et, spontanément, elle se saisit de sa main pour la lui embrasser, avant que celui-ci ne la retire et ne lui embrasse la tête. Elle lui demande: «C’est ton épouse?». «Oui», acquiesce-t-il avant d’inviter sa vieille amie à se joindre à eux pour le petit-déjeuner.

Cette scène-là n’est pas une fiction, elle a bel et bien existé sous nos yeux, il y a quelques jours à peine. Dans le tumulte émotionnel que provoque en nous tous la guerre qui oppose Israël au Hamas et dont Gaza fait les terribles frais, cette scène-là était d’une beauté saisissante.

Tous les jours dans ces vieux quartiers de Casablanca, où vivent encore les anciens de la Ville blanche, ceux qui ont connu cette vie de quartier communautaire en voie de disparition à mesure que la ville se modernise, ces scènes se déroulent encore. Tous les jours, la magie du vivre-ensemble opère et que l’on soit témoin ou acteur de ce type d’échanges, le sentiment de fierté s’impose dans nos cœurs. Car à cet instant précis, on touche à cette particularité typiquement marocaine.

Si le conflit qui se déroule actuellement est bouleversant à bien des titres, il ne saurait, en aucun cas, fragiliser l’équilibre et l’harmonie qui règnent entre les différentes composantes de notre société. Nous, Marocains, sommes riches de nos différences et en aucun cas ne devrions céder aux appels des extrêmes qui visent à nous diviser. Nous sommes Marocains, donc, par essence, nous sommes musulmans et juifs, amazighs, arabes, hassanis et africains. De la même manière que nous critiquons avec véhémence les appels à diviser les communautés qui se font entendre ailleurs, l’antisémitisme et l’islamophobie, nous nous devons, pour préserver notre identité, de faire de même au Maroc.

On peut être contre Israël, son gouvernement et sa politique, mais en aucun cas cela ne devrait ouvrir la porte à une quelconque hostilité à l’égard de nos frères et concitoyens de confession juive. De la même manière, le soutien à la Palestine et la critique de la politique de colonisation ne sauraient être considérés comme un acte antisémite au Maroc. Certains Marocains ne comprennent pas et ne tolèrent pas que des Marocains puissent soutenir Israël, tandis que d’autres ne comprennent pas à leur tour que des Marocains puissent ne pas soutenir Israël. Soit, nous sommes nombreux à ne pas être d’accord sur le sujet, mais en quoi cela remet-il en question notre marocanité à tous? Pourquoi des divergences d’opinions, sur un sujet de politique internationale, devraient-elles engendrer une fracture?

On ne sait que trop bien à quel point ce conflit en particulier peut embraser les foules, mais tâchons de raison garder en ne perdant jamais de vue ce qui nous rassemble, et ce qui fait notre spécificité, pour que ces scènes de vivre-ensemble perdurent dans les rues de notre beau pays.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 20/11/2023 à 09h51