Realpolitique espagnole en Méditerranée

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueLa visite de travail à Rabat du Premier ministre espagnol Sánchez: une étape de la relation bilatérale, et peut-être, selon les mots emphatiques de Zapatero, «le meilleur moment de l’histoire maroco-espagnole», mais aussi une séquence de l’offensive diplomatique inédite de Madrid en Méditerranée.

Le 24/02/2024 à 10h00

Il en va de la fidélité aux engagements comme de l’amour: il en faut des preuves…

Si dans le temps long de la relation Rabat-Madrid, le 18 mars 2022 fut assurément une date historique pour le couple, et que Pedro Sánchez, en garantissant son soutien à l’intégrité territoriale du Maroc, lui donnait également l’assurance que «l’Espagne tiendra toujours ses engagements», parole fut tenue.

La preuve: au sein de son exécutif, face à la gauche radicale, du gouvernement Sanchez II (Podemos) comme du gouvernement Sanchez III (coalition Sumar); au cœur de son groupe politique du Parlement européen, appelant ses eurodéputés à se désolidariser d’un vote socialiste hostile au Maroc en janvier 2023; et bien sûr, dans sa relation à Alger, quel qu’en soit le prix, puisque l’économie espagnole a lourdement souffert des sanctions algériennes à la «trahison» ibérique.

Ce n’est pas seulement cette promesse que le Premier ministre est venu renouveler à Rabat. De même, ce ne sont pas seulement les fortes ambitions, politiques, économiques et sportives de coopération bilatérale qu’il faille retenir, mais plus largement celles de l’Espagne en Méditerranée.

Depuis son accession à la CEE, en 1986 -année marquant également sa reconnaissance de l’Etat d’Israël-, la politique arabe de l’Espagne semblait dissoute dans le consensus bruxellois, réduite à une diplomatie culturelle, jusqu’à se renier totalement, le temps d’une campagne irakienne, au début des années 2000, avec un Parti populaire aux ordres de Washington.

Dans une Europe qui peine à adopter une position unie sur le conflit à Gaza, la singularité affichée par l’Espagne interpelle. Son refus de participer à toute coalition en mer Rouge, sous pavillon américain «Prosperity Guardian», ou sous bouclier européen «Aspides». Sa condamnation, à l’automne 23, des «attentats d’un groupe terroriste comme le Hamas» et de «la tuerie aveugle des Palestiniens à Gaza». Les demandes de cessez-le-feu permanent, de libération des otages et d’accès à l’aide humanitaire, les manœuvres pour empêcher la potentielle catastrophe de Rafah qui menacerait la stabilité régionale. Des requêtes portées, seule, comme l’idée d’une reconnaissance de l’État de Palestine par les membres de l’Union européenne (seul un tiers l’a fait à ce jour), ou tentées à plusieurs, comme unir sa voix à celle de la Belgique pour que deux présidences successives de l’UE évoquent cet hiver, depuis le Proche Orient, une solution à deux États, ou plus récemment, un courrier cosigné par le Chef du gouvernement avec son homologue irlandais, le 14 février, interpellant l’exécutif européen afin qu’il examine en urgence «le respect par Israël de ses obligations, dans le cadre de l’accord d’association UE-Israël, qui fait du respect des droits humains et des principes démocratiques un élément essentiel des relations bilatérales».

Jusqu’où ira Madrid? Le dialogue stratégique euro-méditerranéen est orphelin d’États européens audacieux. L’Espagne, qui fut en 2007, avec ses voisins latins, France et Italie, à l’initiative de l’Appel de Rome, l’Espagne, pays hôte d’une Union pour la Méditerranée (UpM) en «état de mort cérébrale», serait-elle en capacité de coaliser davantage d’États membres sur le futur de Mare Nostrum? Ou va-t-elle poursuivre seule une realpolitique en Méditerranée?

Par Florence Kuntz
Le 24/02/2024 à 10h00