Présidence de la commission de l’UA: pourquoi le régime d’Alger a bien raison d’être aux anges

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune. En médaillon: Selma Malika Haddadi, élue vice-présidence de la commission de l’Union africaine en charge des finances et des ressources humaines. (AFP/Le360)

Au bout de 7 âpres rounds et, surtout, de plusieurs années de disette, l’Algérie a obtenu sa première et inestimable victoire diplomatique: la vice-présidence de la Commission de l’Union africaine en charge des finances. Assez pour que le régime voisin célèbre une «véritable prouesse diplomatique» et une «victoire historique». En cela, il n’a pas vraiment tort. Voici pourquoi.

Le 16/02/2025 à 17h07

En Algérie, au sein de toutes les composantes du régime, des couloirs de la présidence jusqu’aux méandres de l’état-major, en passant par les murs de son parlement et autres institutions, c’est l’explosion de joie. Les médias locaux sont extatiques, les réseaux sociaux triomphalistes. La joie est immense et le bonheur complet.

Que s’est-il donc passé? Une Coupe du monde âprement disputée et remportée avec éclat sur l’un des stades d’Alger venus tout droit du futur? Même dans «l’autre monde», aucune date FIFA n’est signalée. La vision prémonitoire d’Abdelmadjid Tebboune, voulant que son pays soit devenu la troisième puissance économique mondiale, se serait-elle réalisée? Pas que l’on sache. Les BRICS, ce regroupant économique à peine digne de la grandeur du pays des 6,5 millions (ou 7, ou 8, ou même 9) martyrs et que le pouvoir a déployé une énergie folle pour y gratter, en vain, un strapontin? Que nenni! Alors, une place de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, avec droit de veto et tout? Franchement, aucun intérêt: la «force de frappe» ne pourrait s’abaisser à une aussi mince victoire.

On a beau chercher, googler, zapper entre majors des chaînes d’information, et dans toutes les langues, rien d’heureux ne se rapporte à l’Algérie, ni de près ni de loin. Rien, en réalité. Il faut s’armer de patience, et d’un coûteux VPN, pour enfin «capter». En fait, le samedi 15 février 2025, à Addis-Abeba, l’Algérie a remporté bien plus que toutes ces consécrations réunies.

Au bout d’une compétition menée avec brio contre le diabolique voisin marocain, incarnation du mal absolu, elle a gagné. Mais quoi? Le retour en force de la diplomatie algérienne, qui a fait plier l’administration Trump, l’obligeant à revenir sur la reconnaissance par les États-Unis de la marocanité du Sahara? N’exagérons rien. La France a-t-elle annulé toutes ses récentes démarches de reconnaissance de ce même Sahara marocain, et Emmanuel Macron a demandé pardon, à genoux, au régime d’Alger? Bien essayé. L’Espagne donc? Nada! Il faut zoomer à s’en dilater les pupilles pour découvrir que l’Algérie a obtenu… la vice-présidence de la commission de l’Union africaine (UA) en charge des finances et des ressources humaines. On arrête tout. C’est le triomphe ultime!

À la candidate algérienne, Selma Malika Haddadi, il aura fallu 7 bons tours de vote pour venir à bout de la Marocaine Latifa Akharbach. Le match au sommet a même failli ne pas avoir de gagnante. Alors qu’une suspension de l’élection était dans les esprits, l’Algérienne a finalement réussi à réunir les 33 voix nécessaires à sa victoire. Celle-ci n’en a été que plus savoureuse. Observer les premières réactions de la concernée, son émotion frisant les larmes et sa fierté devant le lourd poids des responsabilités qui l’attendent, c’est saisir que nous étions devant un véritable moment d’Histoire. Quoique passé inaperçu.

Venons-en justement à sa capacité à gérer les dossiers purement administratifs -c’est elle qui le précise. Et cela, c’est une autre paire de manches pour cette juriste justifiant d’à peine quelques mois d’expérience en tant qu’ambassadrice en Éthiopie. Maâlich. Le background? Les compétences managériales? La pertinence de la vision? La qualité de la présentation faite devant les chefs d’État? Bof…

Le régime d’Alger se suffit à lui-même et a fêté la victoire historique comme il se doit. Et bien plus. La consécration est énorme, et si l’on peut légitimement en douter, le régime d’Alger, lui, sait. Il sait qu’il vient d’annihiler le complot international ourdi contre l’Algérie, cette guerre perfide que mène frontalement le trio maroco-franco-israélien et derrière laquelle se cache la Terre entière. Le ministre algérien de la Communication n’a-t-il pas annoncé, sans sourciller, que 9.000 (oui, neuf mille) journalistes dans le monde travaillaient à la seule fin de tenir l’image de l’Algérie? On comprend dès lors que pour le régime d’Alger, battre le Maroc, quel que soit le terrain de la bataille, vaut tout l’or du monde.

Plaidoyer: «Le Maroc a tout. Nous, rien»

Soyons objectifs un instant. L’Algérie méritait cette victoire et son régime a bien raison de s’en féliciter. Il faudra même penser à leur envoyer fleurs et chocolats. M. le Secrétaire général des Nations unies, qu’attendez-vous? Et vous autres, chefs d’État du monde entier? Et pour cause, cela fait des années que le régime algérien n’a pas engrangé le moindre petit succès diplomatique, et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Mais toutes ses tentatives, ne serait-ce que de marquer son territoire, se sont soldées par de flamboyants échecs. Fâché avec une grande partie de l’Europe, il ne compte désormais que la Tunisie comme allié dans le monde arabe. Dans sa région immédiate et son «prolongement africain», c’est bien pire: l’Algérie est littéralement «encerclée». Même le «grand frère» russe l’abandonne et l’allié chinois lui préfère désormais son pire ennemi: le Maroc. Le refus net opposé à son intégration aux BRICS, «faute de poids économique et d’influence», pour reprendre les termes gravés dans le marbre du chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, finit de noircir le tableau. Alors, la vice-présidence de la commission de l’UA, en voilà un lot de consolation bienvenu!

Car l’ennemi marocain occupe déjà le poste très stratégique de numéro 3 de l’organisation africaine, en la personne de Fathallah Sijilmassi. En clair, si Selma Malika Haddadi est désormais vice-présidente à la comptabilité, le représentant du Royaume est, lui, installé à la direction générale. Alors il ne faut pas abuser. Et la gourmandise du Maroc -pays qui, 7 ans seulement après son retour au sein de l’UA, occupe depuis 5 ans déjà un siège au sein du vital Conseil de paix et de sécurité- doit un tant soit peu être modérée.

Cette «hégémonie» marocaine a été au demeurant le principal argument brandi par l’Algérie devant les délégations africaines, bien avant comme pendant le vote. Après tout, tous les moyens sont bons pour se replacer. Et s’il faut pleurer, soit. En plus, le Maroc et ses alliés ont pu faire élire comme président de la Commission le Djiboutien Ali Mahamoud Youssef, ministre des Affaires étrangères d’un pays qui soutient l’intégrité territoriale du Royaume et qui a même ouvert un consulat à Dakhla.

Et encore, la manœuvre a failli ne pas prendre. Le processus électoral pour la vice-présidence de la Commission de l’UA s’est conclu après 6 tours serrés, avec des résultats tantôt à égalité tantôt avec des écarts de 2 à 4 voix maximum. Ouf! Il y a lieu de se demander si d’autres «arguments» n’ont pas compensé les lacunes de la candidate, mais restons pudiques. Notons néanmoins que six pays amis et alliés inconditionnels du Maroc (le Gabon, le Niger, le Burkina Faso, le Mali, la Guinée et le Soudan) n’ont pas pu participer au vote, vu qu’ils sont suspendus de l’UA. Leur présence aurait fait la différence. C’est plutôt le hasard qui a arrangé les choses. Dieu est grand!

Maintenant, observons que pour l’Algérie, le seul et unique enjeu du Sommet de l’UA a été l’élection de «sa» vice-présidente, après la débâcle essuyée au Conseil de paix et de sécurité. Ce succès s’est-il accompagné d’une campagne sur «les droits du peuple sahraoui»? Nope. Au fait, que devient le Polisario? Des nouvelles de la fameuse RASD? L’Algérie a-t-elle pesé de tout son poids pour attirer l’attention sur le Sahara occidental, «dernière colonie d’Afrique», durant le sommet de l’UA? Motus et bouche soudée. Le sujet n’a à aucun moment été abordé, et personne, absolument personne, n’a pris la peine ne serait-ce que de l’évoquer. Au contraire, le régime d’Alger a subi une correction: intervenant en séance plénière, Mahmoud Abbas a bien précisé que la dernière colonie dans le monde, ce sont les territoires palestiniens occupés.

Donc, le tout s’est joué en bilatéral et les retraits de reconnaissance africains de la marocanité du Sahara, avec fermeture de consulats à Laâyoune et Dakhla, sont tombés en cascade. Non, non. Rien. Et rien, c’est exactement ce qu’a obtenu le régime d’Alger, acculé à quémander des sièges administratifs au Sommet de l’UA. On comprend dès lors que crier victoire relève de la catharsis après une interminable période de disette. Et même si seule une poignée de personnes sont capables de citer le nom du vice-président de la commission l’UA, on devrait tous se réjouir que le régime d’Alger ait trouvé quelques miettes à se mettre sous la dent. On n’allait tout de même pas le laisser mourir de faim.

Par Tarik Qattab
Le 16/02/2025 à 17h07