Union africaine: comment le Maroc a bloqué le passage de l’Algérie au Conseil de paix et de sécurité

Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, mercredi 12 février 2025 à Addis-Abeba.

Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, mercredi 12 février 2025 à Addis-Abeba.

Le mercredi 12 février, à Addis-Abeba, le Maroc a réussi à empêcher l’Algérie d’être élue au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Malgré d’intenses efforts diplomatiques, le voisin n’a pas obtenu la majorité des voix requise, même en étant seul candidat. Un fait rare. Dépité, Ahmed Attaf, ministre algérien des Affaires étrangères, et sa délégation, ont quitté la capitale éthiopienne le soir même. Récit.

Le 13/02/2025 à 15h14

Il est un peu plus de 19 heures ce mercredi 12 février à l’aéroport d’Addis-Abeba, capitale éthiopienne qui abrite la 46ème session ordinaire du Conseil exécutif de l’Union africaine (UA). Sur le tarmac, nombre d’appareils sont posés. Sauf un: le Gulfstream du gouvernement algérien qui s’apprête à faire, dans la précipitation et non sans une confusion certaine, le voyage retour vers Alger. À son bord, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf. La mine est grise, le visage fermé et le moral dans les chaussettes. De nombreux membres de sa délégation, abattus, sont également du voyage. Ceci, alors que les travaux du Conseil exécutif de l’UA se poursuivaient ce jeudi, et que tout ce staff devait assister au sommet ordinaire des chefs d’État, prévu les 15 et 16 février.

Il n’en sera rien. Il a fallu fuir au plus vite le tonitruant fiasco, un de plus, que le régime d’Alger n’avait pas vu venir. Entendez l’échec cuisant essuyé dans la journée: malgré une folle course, et au terme d’un ballet diplomatique agité, Alger n’a pas obtenu le tant convoité statut de membre du Conseil de paix de sécurité (CPS) de l’Union africaine, organe décisionnaire que le voisin a longtemps dominé entre 2003 et 2021.

Plus tôt dans la journée, le régime d’Alger jouait gros en se portant candidat à ce poste. Il entendait ainsi reprendre pied dans cet organe, dans l’espoir de redorer le blason terni de sa diplomatie et jouer de son influence au sein de l’UA. Pour y arriver, et en amont, la diplomatie algérienne avait mené une campagne forcenée pour s’attirer le maximum de faveurs des pays d’Afrique, ainsi que leur voix le jour du vote. Objectif: récupérer le siège qu’occupe le Maroc depuis trois ans au sein de cette instance exécutive.

L’agence de presse officielle algérienne APS avait assidûment documenté les pérégrinations du chef de la diplomatie algérienne depuis la première semaine de janvier. Le 5 janvier, il avait atterri à Bangui, en République centrafricaine, où il avait été reçu par le président Faustin-Archange Touadéra. Il s’était ensuite déplacé au Cameroun, où il s’était entretenu avec le secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh. Puis c’est le président congolais, Denis Sassou-Nguesso, qui avait reçu le ministre algérien le 7 janvier. Ce dernier s’était rendu ensuite à Cotonou, le 9 janvier, pour demander le soutien du Bénin à son homologue Olushegun Bakari.

Ahmed Attaf n’est pas le seul ministre à avoir été mis à contribution pour plaider la cause de la candidature algérienne. Nombre d’autres ministres, notamment ceux de l’Enseignement et de la Santé, ont temporairement mis de côté leurs responsabilités nationales pour participer à cette campagne africaine. Le dernier émissaire du régime à s’être rendu dans une capitale africaine est Mohamed Meziane, ministre de la Communication, qui a remis à Accra, le 7 février, une lettre d’Abdelmadjid Tebboune au président ghanéen John Dramani Mahama.

Sauf que le régime d’Alger a compté sans un adversaire de taille à ce poste: le Maroc. Le Royaume a cherché à se faire réélire au CPS pour empêcher le régime d’Alger d’y imposer son agenda, contraire aux intérêts africains et résolument hostile au Maroc. Aux bruits des réacteurs d’avion et au tapage des médias algériens, il a opposé sa discrétion habituelle, souvent couronnée de succès. Ce fut fait ce mercredi. Le Maroc, encore membre du CPS -son mandat reste valable jusqu’au mois de mars- et soutenu par ses alliés, a réussi à bloquer l’élection du candidat algérien. Résultat: ce dernier n’a pu obtenir la majorité requise des voix, soit les deux tiers. La course aura été longue, avec pas moins de 7 rounds de votes infructueux.

Au septième tour, l’Algérie était la seule candidate en lice. Et pourtant, elle a échoué à obtenir les 2/3 des voix requises pour siéger au CPS.

Une déconfiture inédite dans les annales de l’UA et qui en dit long sur l’idée que se font nombre d’Etats africains de ce pays belliqueux et très peu soucieux de la paix sur le continent. Au bout d’une pénible journée, il a fallu se rendre à l’évidence: pour Alger, le siège au sein du CPS, ce ne sera pas pour cette fois. «Son rival, le Maroc, a efficacement entravé cette tentative, les abstentions lors du dernier tour ayant entraîné un report du scrutin», rapporte, depuis Addis-Abeba, le bien informé Mwangi Maina, journaliste kényan et spécialiste de l’Afrique.

L’Algérie a eu beau brandir le principe de la rotation en Afrique du Nord et mettre en avant une supposée «hégémonie» du Maroc, qui occupe déjà le poste de directeur général de la commission de l’UA, elle n’a pas réussi à convaincre. Les solides appuis du Maroc ont fait le reste, et le show pathétique a abouti à une débâcle.

Accusant le coup, la diplomatie algérienne a simplement plié bagage. Le soir même, «le Gulfstream du gouvernement algérien a quitté Addis-Abeba, probablement en direction d’Alger. À bord se trouvait vraisemblablement le ministre des Affaires étrangères, après l’échec de la candidature de l’Algérie à un siège au Conseil de paix et de sécurité de l’UA», poursuit le journaliste kényan. De nouvelles élections seront organisées dans un délai d’un à deux mois pour pourvoir ce siège.

On ignore pour l’instant quelle sera l’attitude du président algérien Abdelmadjid Tebboune à Addis-Abeba, où il est attendu pour la tenue du sommet ordinaire des chefs d’État, les 15 et 16 février. Le chef d’État tablait sur un retour de son pays au CPS pour effectuer un semblant d’entrée triomphale, mais aussi pour prêter main-forte à sa protégée, la juriste inexpérimentée Selma Malika Haddadi. Cette dernière est en effet en lice pour la vice-présidence de la commission de l’Union africaine en charge des finances… contre la Marocaine Latifa Akharbach, poids lourd de la diplomatie et du monde de la communication.

Au vu du passage raté au CPS, il n’est plus du tout certain que le séjour éthiopien d’Abdelmadjid Tebboune soit une sinécure. Car après ce revers inédit, le président algérien aura fort à faire pour promouvoir «sa» candidate, déjà bien handicapée par son CV diplomatique approximatif et son manque manifeste d’expérience managériale.

Par Tarik Qattab
Le 13/02/2025 à 15h14