Maroc-Allemagne: de la nécessité d’un nouveau pacte migratoire

Drapeaux du Maroc et de l'Allemagne.. Le360

TribuneAlors que l’Allemagne fait face à un vieillissement rapide de sa population active, et que la jeunesse diplômée marocaine est en quête de nouvelles opportunités, la sociologue Soraya Moket* plaide pour un nouveau pacte migratoire entre les deux pays. Dans cette tribune, elle revient sur les leçons du passé et propose les bases d’un partenariat renouvelé, plus juste et structuré, fondé sur la coresponsabilité et la reconnaissance mutuelle et formalisée dans le cadre d’une institution dédiée.

Le 04/07/2025 à 15h30

Dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne de l’Ouest a connu une croissance économique fulgurante, surnommée le Wirtschaftswunder. Ce «miracle économique» n’aurait pas été possible sans l’apport de la main-d’œuvre étrangère, notamment marocaine. À partir des années 1960, des accords bilatéraux ont permis à des dizaines de milliers de Marocains de venir travailler en Allemagne. Ces migrations répondaient à une double nécessité: lutter contre le chômage structurel au Maroc post-indépendance, et combler le déficit en main-d’œuvre dans les secteurs clés de l’économie allemande.

Les Marocain·e·s ont œuvré dans la sidérurgie, l’agriculture, les mines ou encore l’industrie manufacturière, contribuant activement à l’essor de l’économie allemande. Les campagnes de recrutement, menées jusque dans les villes marocaines comme Casablanca ou Tanger, étaient encadrées par des structures institutionnelles et appuyées par des organisations locales, telles que l’Union des femmes marocaines. Cette coopération exemplaire constitue aujourd’hui un précédent historique dont il convient de s’inspirer.

Selon le Ministère allemand de l’Économie et de la Protection du climat (BMWK), les travailleurs immigrés ont contribué à doubler le PIB allemand entre 1960 et 1980.

En 2025, les enjeux ont changé, mais les complémentarités persistent. Le Maroc dispose d’une jeunesse instruite et ambitieuse. Chaque année, plus de 40.000 diplômé·e·s sortent des universités marocaines. Le gouvernement s’est fixé pour objectif la création de deux millions d’emplois à l’horizon 2026. Toutefois, dans un contexte marqué par des pressions économiques et géopolitiques de plus en plus fortes, la faisabilité de cette ambition suscite des interrogations.

En parallèle, l’Allemagne affronte une transition démographique de grande ampleur: plus de 12 millions de baby-boomers partiront à la retraite d’ici 2035. Déjà, 1,7 million de postes sont vacants, en particulier dans les secteurs des soins, de l’artisanat, du numérique et de l’éducation.

Deux dynamiques se rencontrent: une jeunesse marocaine en quête d’opportunités, et une économie allemande en quête de compétences. Le moment est venu de transformer cette convergence en partenariat structuré.

Une Agence binationale pour la mobilité et les compétences

Malgré des initiatives prometteuses, tel le programme THAMM piloté par la GIZ, aucun cadre bilatéral pérenne n’existe à ce jour pour organiser la mobilité des compétences entre le Maroc et l’Allemagne. Les projets existant, souvent limités dans le temps et dans l’espace, ne suffisent pas à répondre aux enjeux systémiques.

Un nouveau pacte de mobilité est à imaginer. Il devrait reposer sur les piliers suivants:

  • la transparence du processus de recrutement;
  • la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles;
  • la garantie des droits sociaux et juridiques pour les travailleurs;
  • la mise en place de dispositifs d’intégration en Allemagne et de réinsertion au Maroc.

Le tout devra être formalisé dans le cadre d’une Agence binationale pour la mobilité et les compétences, qui sera investie des attributions suivantes:

  • identifier les secteurs à forte demande: santé, IT, artisanat, éducation;
  • développer des parcours de formation professionnelle conjoints;
  • organiser des cours de langue et des modules d’intégration préalables au départ;
  • mettre en œuvre des garanties sociales conformes aux normes de l’OIT;
  • accompagner le retour volontaire et la réinsertion professionnelle au Maroc.

Une telle agence incarnerait un partenariat de nouvelle génération, fondé sur la coresponsabilité, la transparence et le respect des droits.

L’histoire a prouvé que la migration marocaine a été un levier de reconstruction pour l’Allemagne. Aujourd’hui, une nouvelle opportunité se présente: celle de transformer la migration en vecteur de coopération stratégique entre le Nord et le Sud.

En co-construisant un cadre migratoire juste, structuré et visionnaire, le Maroc et l’Allemagne poseront les fondations d’un modèle exemplaire pour d’autres partenariats euro-méditerranéens.

La migration ne doit plus être pensée comme un phénomène à réguler en urgence, mais comme une stratégie partagée à long terme. Le partenariat gagnant-gagnant n’est pas un slogan: il peut devenir réalité.

En 2016, Soraya Moket a reçu la Croix fédérale du Mérite pour son engagement.

*Dr Soraya Moket est sociologue et experte des inégalités globales ainsi que militante féministe et antiraciste. Spécialiste des dynamiques postcoloniales et des migrations, Soraya Moket œuvre à la croisée de la coopération internationale, de l’éducation politique et de la justice sociale. Elle plaide pour des partenariats équitables fondés sur la solidarité et la reconnaissance des savoirs locaux. Consultante et formatrice, elle intervient en Europe et en Afrique du Nord. En 2016, elle a reçu la Croix fédérale du Mérite pour son engagement.

Par Soraya Moket
Le 04/07/2025 à 15h30