Au moment de l’indépendance, comme il fallut donner une cohérence aux différents ensembles composant la jeune Algérie, la nécessité de l’unité se fit à travers un nationalisme arabo-musulman niant la composante berbère du pays. L’arbre algérien fut alors largement coupé de ses racines.
En 1962, Abderrahmane Ben Hamida, ministre algérien de l’Éducation nationale, déclara ainsi que «les Berbères sont une invention des Pères Blancs». Selon lui, être berbère ne serait donc pas inné, mais acquis…
Cette affirmation était d’autant plus infondée qu’en Algérie, la colonisation française fut largement profitable à la langue arabe, et cela pour une raison simple: après la révolte de 1871, la Kabylie fut considérée comme peu sûre et même comme un foyer rebelle, à la différence des régions «arabes» de l’Ouest, généralement demeurées dans la «fidélité» à la France. Durant la période française, le bloc berbère fut doublement entamé, à la fois par «l’école de la République», dont l’enseignement se fit en français, et par l’usage administratif de la langue arabe. L’émigration vers la France favorisa également cette «déberbérisation».
Le problème fut encore compliqué par le fait que bien des dirigeants partisans de la politique de l’arabité étaient des Berbères arabisés, dont les présidents Houari Boumédiène, Chadli Bendjedid ou Liamine Zeroual. Nous touchons là au cœur du problème, qui est celui de l’arabisation des Berbères. Ainsi, certaines tribus des Aurès, qui sont d’origine berbère, sont aujourd’hui arabisées comme les Bouazid, les Ouled si Ahmed Benameur, les Ouled Derradj ou les Beni Tazaght.
En 1962, dès l’indépendance acquise, le gouvernement algérien supprima la chaire de kabyle de l’université d’Alger. Cette mesure symbolique annonçait l’orientation qu’il comptait donner au pays, la légitimité du régime s’ancrant sur la négation de son histoire et de sa composition ethnique. Pour les dirigeants algériens, la revendication berbère fut en effet présentée comme une conspiration séparatiste dirigée contre l’islam et la langue arabe.
Selon les dirigeants algériens arrivés au pouvoir en 1962, le fait d’être musulman imposait donc que l’on se rattache à la «nation», à la civilisation arabe. Or, comme l’amazighité affirmait la double composante du pays, berbère et arabe, le parti FLN parla de dérive «ethnique», «raciste» et «xénophobe» menaçant de détruire l’État, l’amazigh étant vu comme un danger pour l’unité nationale.
Les Kabyles et les Chaoui, qui avaient mené la guerre contre la France, se retrouvèrent donc citoyens d’une Algérie arabo-musulmane niant leur identité. Comme la nécessité de l’union contre la France les avait poussés à mettre entre parenthèses leur revendication identitaire, ils comprirent, mais un peu tard, qu’ils avaient laissé le champ libre aux arabophones.
De fait, durant toute la guerre d’Algérie, et même quand ils étaient d’origine kabyle, les dirigeants arabophones du FLN firent tout pour marginaliser les chefs kabyles, allant jusqu’à liquider les plus gênants d’entre eux, comme Abane Ramdane ou Amirouche Aït Hamouda, et isolant les autres comme Krim Belkacem ou Hocine Aït Ahmed.
Une fois l’indépendance obtenue, face au rouleau compresseur du FLN, et après l’échec de la rébellion kabyle de 1963, la revendication berbère fut estompée. C’est ainsi que Hocine Aït-Ahmed ne parla pas de berbérité, mais de socialisme et de démocratie. Pourtant à recrutement quasi exclusivement berbère, le Front des forces socialistes, parti politique qu’il créa en 1963, n’eut donc aucune lisibilité, son substrat ethnique s’étant replié sur le non-dit. Après s’être évadé de prison en 1966, Aït Ahmed partit pour l’exil et son influence fut plus que limitée.
Avec le colonel Houari Boumédiène, la politique d’arabisation devint systématique, fondée sur les conclusions de la Conférence nationale de mai 1975 sur l’arabisation, qui fit totalement encadrer le pays par la langue arabe et nia toute existence à l’amazigh.