Accord agricole Maroc-UE: Politique d’abord!

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueNégociation rondement menée, à quelques jours de l’ultimatum posé l’an passé par la Cour de justice de l’Union européenne (UE), le message des Européens est clair: pas question de fragiliser la relation avec Rabat. La politique a repris ses droits, y compris dans le rapport de force institutionnel qui se poursuit à Bruxelles.  

Le 11/10/2025 à 07h58

C’était, de fait, la réaction la plus largement partagée par les États membres après les trois arrêts du 4 octobre 2024: préserver le partenariat stratégique avec le Maroc. Il faut dire que la décision des juges de Luxembourg allait à contre-courant de la dynamique politique autour de la marocanité du Sahara. Aux initiatives espagnoles et françaises antérieures à ces arrêts se sont, depuis, agrégés gestes et déclarations en ce sens, particulièrement les engagements du Portugal et du Royaume-Uni. Des mots mais aussi des actes: pour exemple, le Forum économique de Dakhla, ouvrant les perspectives d’investissements français dans la région.

Au fil de l’intégration européenne, les États ont fini par admettre que les décisions de la CJUE s’imposent à eux. Un «gouvernement des juges» subi en silence, ou presque; hormis quelque rébellion de l’un, la Pologne, sur l’indépendance des juges, de l’autre, la Hongrie, sur la migration ou la loi «anti-Soros», ou la plus symbolique, la remise en cause en 2020 par la Cour constitutionnelle allemande de la légitimité du juge européen ayant «outrepassé ses compétences» en validant le programme d’achats obligatoires de la Banque centrale européenne (BCE). Si, selon les mots de François Mitterrand, «président florentin» de la Vème République, «la politique, c’est avant tout de choisir. Et le droit ne remplace pas la décision», c’est collectivement que les États membres ont ici choisi: ils ont autorisé l’ouverture des discussions entre la Commission et le Maroc en septembre, puis ont autorisé la signature de l’amendement de l’accord agricole début octobre. L’accord, signé le 3 octobre, est désormais en vigueur - à titre provisoire - étant entendu que des ajustements au protocole 4 seront introduits ultérieurement par le Conseil d’association Maroc-UE.

La Commission européenne n’avait pas mis un an pour analyser les arrêts de Luxembourg, mais de longs mois pour gérer leurs conséquences politiques. Entre les impératifs politiques de 28 États et les exigences juridiques de la Cour, la révision de l’accord agricole devenait une équation presque impossible. Pourtant, la Commission a tranché. Or, s’il est déjà exceptionnel qu’un État membre défie ouvertement les juges de Luxembourg, il l’est plus encore que la Commission, «gardienne des Traités», s’y risque. Habituellement, c’est elle qui traque les États déviants, martelant la hiérarchie des normes et la sacro-sainte primauté du droit européen. Entre les États membres et la CJUE, la Commission joue habituellement les équilibristes: sanctionner pour préserver la primauté du droit européen tout en évitant la rupture diplomatique avec les gouvernements.

Il arrive pourtant qu’elle feinte, omette de lancer des procédures d’infraction, ou interprète un arrêt de façon minimale ou restrictive. C’est le cas de la Commission «géopolitique» revendiquée par Von der Leyen, qui assume de contourner ses juges au nom de l’intérêt supérieur des relations extérieures. Dans les relations commerciales de l’Europe avec les pays tiers - TTIP, Mercosur - la Cour a voulu, à plusieurs reprises, imposer plus de transparence et de contrôle parlementaire. En vain.

C’est d’ailleurs sur le fondement de l’article 218 du Traité de l’UE - clé de voute de la politique extérieure des 27 - que la contestation de l’accord agricole monte au Parlement européen. Derrière l’opposition juridique, l’activisme obstiné des adversaires du Maroc. D’abord, au sein de la commission INTA (Commerce international), devenue dernier refuge des députés pro-Polisario depuis la disparition d’un intergroupe Sahara occidental dont tous étaient membres: le président de la Commission, le socialiste allemand Lange, deux de ses vice-présidentes, Aubry et Van Brempt. Cette dernière était, dans le précédent mandat, à la tête du monitoring group Maghreb - lui a succédé l’élue de la gauche radicale irlandaise, Lynn Boylan.

Particulièrement mobilisé depuis les arrêts de 2024, le monitoring group avait accueilli à huis-clos, l’hiver dernier, le Polisario pour un échange sur l’accord agricole. Une réunion extraordinaire d’INTA a ouvert la semaine de Plénière d’octobre au Parlement de Strasbourg; tandis que le Danois Clausen - qui s’était illustré en mars par des menaces de boycott d’un cabinet de lobbying gérant les intérêts de la CGEM - coalisait une trentaine de députés dans un courrier destiné à la présidente Metsola afin que celle-ci «rappelle à la Commission ses obligations, garantisse que le Parlement joue son rôle de co-législateur, et défende la crédibilité de l’UE , en tant qu’espace régi par le droit, et non par des arrangements politiques».

Dans la bataille feutrée entre institutions, le Parlement européen devient la scène où va se poursuivre l’affrontement.

Par Florence Kuntz
Le 11/10/2025 à 07h58