Selon un rituel bien rodé – et une fascination pour l’Amérique – à chaque rentrée, la présidente de la Commission européenne déroule son discours sur l’état de l’Union, récit très personnel sur l’avenir du continent, qui livre aussi le programme législatif de l’année, puisque la Commission a seule l’initiative des lois. Défense commune, autonomie stratégique, souveraineté numérique… En 2025, dans ce récit rêvé de l’Europe puissance, l’agriculture n’a plus sa place– à peine un mot sur le renouvellement des générations ou deux lignes sur le bien-être animal. Un exposé qui confirme– s’il en était besoin– la hiérarchie des priorités de la Commission. Une priorisation des secteurs stratégiques par ailleurs clairement énumérée par la Présidente, «de l’automobile aux produits chimiques, de l’acier à la pharmacie, de la défense à l’agriculture».
De fait, la liste est vertigineuse, des filières sacrifiées sous les mandatures d’Ursula Von der Leyen. Tantôt monnaie d’échange, dans le cadre d’accords commerciaux; la viande bovine, le sucre ou le maïs livrés à la concurrence déloyale de produits sud-américains ne respectant pas les mêmes normes sanitaires, sociales et environnementales, et troqués contre l’ouverture des marchés industriels, de l’automobile ou de la chimie. Tantôt offrandes pour satisfaire les ambitions «géopolitiques» de la Commission européenne: la volaille, les œufs, le sucre pour soutenir l’économie ukrainienne en mars 2022, quand Bruxelles suspendait droits de douane et quotas sur ces produits afin de permettre à Kiev d’exporter massivement vers le marché communautaire; la compétitivité des vignobles des pays du Sud, torpillée dans le cadre d’un accord léonin, «symbole d’unité et d’amitié» selon les mots de Trump, en amont duquel la présidente de la Commission avait pourtant promis de défendre l’inclusion des vins et spiritueux dans la liste des produits exonérés des droits de douane américains.
Autre victime, le budget de la Politique Agricole Commune– régulièrement réformé pour alléger son poids dans le budget européen– 30% actuellement contre plus de 70% dans les années 80 – et sous la pression d’une évolution majeure, annoncée cet été par la Commission européenne, en prévision du nouveau cadre financier pluriannuel 2028-2034: rien de moins que la volonté– sous prétexte de simplification de la gestion des fonds– de faire disparaître la structure à deux piliers (l’un pour les aides directes, l’autre pour le développement rural), ciment historique entre les citoyens européens et leurs institutions, au profit d’un budget global, divisé en 27 plans nationaux, soit un plan unique par État membre, sur le modèle des plans de relance.
En bref, la fin du modèle historique de cohésion et une baisse générale des aides. De quoi entraîner la réaction de tous les secteurs agricoles, les organisations et coopératives agricoles européennes (Copa-Cogeca) et de syndicats nationaux regroupés dès juillet dernier en une manifestation devant les bâtiments de la Commission. Les annonces, ce 17 septembre, de la répartition des enveloppes nationales, pour un budget global en recul de près d’un cinquième par rapport à la programmation précédente, vont désormais alimenter à la fois les tensions entre États membres et le mécontentement global des lobbies agricoles.
Pour quelle influence? Les organisations agricoles, longtemps habituées à parler à l’oreille des politiques, sont frappés d’une double peine. D’une part, l’impuissance des élus censés les défendre, débordés par un exécutif bruxellois omnipotent. Pour exemple, le Mercosur, avec une Commission européenne cherchant à scinder l’accord en deux afin de pouvoir ratifier l’accord commercial sans passer par l’aval des parlements nationaux. D’autre part, une représentation qui connaît un fort déclin. Le secteur agricole européen perd ses exploitations (moins 37% en 15 ans, sur la période 2005/2020) et ses hommes, ce qui relativise lourdement le poids des agriculteurs dans l’électorat. Un à 2% en France, en Allemagne, en Espagne, aux Pays-Bas. À peine plus en Italie. Seuls quelques pays à l’Est du continent– Roumanie, Pologne– dépassent les 10%.
Ce grand effacement s’accompagne d’une minorisation politique du monde agricole. Rien qu’en France, la Vè République a connu une division par 8 à 10 du poids des agriculteurs dans la population votant, tandis que les agriculteurs siégeant au Parlement passaient de 30% à 2%. On retrouve les mêmes proportions au Parlement européen où, sur la mandature 2024/2029, on estime à 2% la proportion d’eurodéputés travaillant dans l’agriculture. Le lobby agricole survivra-t-il à la disparition de ceux qu’il prétend représenter?
Signe des temps, l’Europe est, au XXIème siècle, la seule grande puissance agricole à diminuer le soutien à son agriculture.





