Suspension par la France de l’exemption de visa pour les passeports diplomatiques algériens: le régime d’Alger ulcéré

Siège de l'ambassade d'Algérie à Paris.

Siège de l'ambassade d'Algérie à Paris. AFP or licensors

Les détenteurs algériens de passeports diplomatiques ou de service, soit les membres de la nomenklatura et leurs familles, voient tomber un privilège qui semblait éternel: l’exemption de visa pour la France. À Alger, l’indignation est feinte, la colère bien réelle. C’est tout un système qui vacille, celui qui permettait aux élites de faire du shopping à Paris ou de se faire soigner à Neuilly sans se soucier de formalités. Dans un communiqué, le régime algérien tente de sauver la face... et s’enlise dans des arguties procédurales pathétiques. Lecture.

Le 19/05/2025 à 19h11

Claire comme de l’eau de roche, parfaitement légale et ne souffrant aucune ambiguïté, la mesure a laissé coi un régime qui considérait comme acquise la possibilité de se pavaner, faire ses courses et se soigner en France sur simple présentation d’un passeport diplomatique ou de service qu’il distribuait sans compter à tous ses fidèles et inféodés. À El Mouradia, au Club des Pins et dans les beaux quartiers d’Alger, héritage du colonialisme français, la fin du privilège choque. Le «Système» n’en revient pas: comment la France ose-t-elle refermer cette porte dorée, ouverte depuis 2007 sans contrepartie, au profit de ses affidés?

La sidération est telle qu’il aura fallu cinq jours au «Système» pour digérer – mal – la décision prise par la France de renvoyer en Algérie tous les agents titulaires de passeports diplomatiques qui n’auraient pas actuellement de visa. Il va sans dire que «tous» les autres, qui avaient ou ont l’intention de faire leur shopping à Paris, devront revoir leur programme.

Cinq jours de silence, suivis d’un communiqué éploré, pour dénoncer une décision prise, rappelons-le, en représailles au refoulement par le régime algérien de Français détenteurs de passeports diplomatiques. Une gifle diplomatique à laquelle Paris a répondu du tac au tac. Jean-Noël Barrot, chef de la diplomatie française, a été clair sur BFMTV: «Notre réponse est immédiate, elle est ferme et elle est strictement proportionnée à ce stade, avec la même demande, c’est-à-dire le renvoi en Algérie de tous les agents titulaires de passeports diplomatiques qui n’auraient pas actuellement de visa».

Sauf que le régime d’Alger refuse d’y croire. Le communiqué dont la diplomatie voisine nous a gratifiés ce lundi 19 mai est une master class en matière de déni et de faux-fuyants. Nous y apprenons que, peut-être, la France s’est trompée de communication. L’Algérie «suit avec un grand étonnement les développements intervenus récemment dans la communication française au sujet de la problématique des visas d’une manière générale et de celle de l’exemption des passeports diplomatiques et de service de cette procédure d’une manière particulière», lit-on. Et il s’agit, évidemment, d’un «manquement de la partie française à ses obligations et engagements». Traduction: Alger feint de tomber des nues. Et, sans ciller, accuse la France d’avoir manqué à ses engagements.

Alors que c’est la diplomatie française qui en a fait l’annonce en premier, par voie de communiqué officiel, Alger parle de fuites grossièrement organisées via «des médias savamment sélectionnés par les services du ministère français de l’Intérieur et de la Direction générale de la police française».

Mieux, et alors qu’il a bêtement enfreint les dispositions du très avantageux accord de 2007, revu en 2013 pour inclure également les passeports de service, qui stipulait cette exemption de visas, le régime d’Alger en impute la responsabilité à la France. La décision a beau être annoncée solennellement, «l’Algérie n’a été rendue destinataire d’aucune notification officielle française par le seul et unique canal qui vaille dans les relations entre États, en l’occurrence le canal diplomatique», pleure-t-on.

Élément croustillant, et preuve du désarroi total du régime, on apprend dans le même texte qu’en l’absence de l’ambassadeur, rappelé à Paris depuis plus d’un mois maintenant, le chargé d’affaires de l’ambassade de France à Alger a fait l’objet de quatre convocations au ministère des Affaires étrangères à ce sujet. Manque de bol, «il n’a pas été en mesure de répondre aux demandes algériennes formelles de clarification sur ce même sujet», relève-t-on.

À l’évidence groggy, le «Système» n’assume même pas être à l’origine de la dernière escalade. «C’est la partie française qui porte la responsabilité, pleine et entière, des premières violations de l’Accord de 2013 portant exemption de visas au profit des détenteurs de passeports diplomatiques et de service». Ceci, alors que le chef de la diplomatie française l’avait crié haut et fort mercredi dernier.

Selon le Quai d’Orsay, l’expulsion des fonctionnaires français a été prise sur la base d’une «décision unilatérale des autorités algériennes d’établir de nouvelles conditions d’accès au territoire algérien pour les agents publics français détenteurs d’un passeport officiel, diplomatique ou de service, en violation de l’accord bilatéral de 2013». Le chargé d’affaires algérien en avait été notifié la veille, mardi.

Une semaine plus tard à peu près, Alger se réveille pour rejeter «comme étant foncièrement une inexactitude et une contre-vérité, l’allégation française selon laquelle c’est l’Algérie qui aurait été la première à manquer à ses obligations au titre de l’Accord de 2013». La réaction est aussi tardive que déplorable. Dans une formule trahissant une fierté mal placée, le communiqué algérien rappelle que le voisin «n’a jamais été demandeur». «Lors de l’introduction du visa, en 1986, pour les ressortissants des deux pays, c’est la France qui a pris l’initiative d’une proposition portant exemption de cette exigence au profit des détenteurs de passeports diplomatiques. L’Algérie y avait alors opposé une fin de non-recevoir franche et sans équivoque», lit-on encore dans le communiqué-fleuve.

Ainsi donc, ce n’est qu’en 2007, lorsque la partie française est revenue encore une fois à la charge sur ce même sujet, que la partie algérienne a fini par «consentir» à la conclusion d’un accord bilatéral portant exemption de visas au profit des détenteurs de passeports diplomatiques. «Et c’est toujours à l’initiative de la partie française qu’un nouvel accord, conclu en 2013, a élargi l’exemption aux détenteurs de passeports de service et a abrogé l’accord de 2007 à portée limitative», rappelle le communiqué.

N’empêche. Le communiqué algérien finit par prendre acte du bout des lèvres de la suspension de l’accord. Et promet une «application stricte de la réciprocité». Traduction: deux peuvent jouer à ce jeu-là. Mais dans les faits, c’est le régime algérien qui perd un de ses derniers privilèges symboliques: circuler sans entrave dans l’ex-puissance coloniale.

Le plus ironique, c’est que, dans sa réponse, Alger reprend mot pour mot les éléments de langage français. Comme si, au fond, le désarroi empêchait toute imagination. Le temps des passe-droits semble terminé. Tout est de savoir comment la nomenklatura algérienne va réagir à cette fin de privilèges qu’elle impute à demi-mot à l’hystérie d’Abdelmadjid Tebboune. Le président algérien fait très mal aux caciques du Système. Et la vraie réciprocité viendra peut-être de l’armée… pour dégager un président fou-furieux.

Par Tarik Qattab
Le 19/05/2025 à 19h11