L’affaire Boualem Sansal, suite et fin ou suite sans fin?

L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal.

À l’occasion de la fête nationale algérienne, Abdelmadjid Tebboune a grâcié 6.500 détenus, parmi lesquels ne figure pas le nom tant attendu de Boualem Sansal. Xavier Driencourt commente à chaud pour Le360 l’inhumanité du régime d’Alger.

Le 04/07/2025 à 19h40

Avec la condamnation et l’absence de grâce présidentielle accordée à Boualem Sansal, l’une des crises les plus violentes de la relation franco-algérienne depuis 1962 est vouée à perdurer.

C’est l’occasion de revenir sur cette crise et d’en analyser la signification profonde.

Il faut le rappeler, car on l’oublie parfois, cette quasi rupture entre Paris et Alger a été provoquée par la reconnaissance, le 30 juillet 2024 de la marocanité du Sahara occidental par le président français. Boualem Sansal n’est qu’un élément de ce drame, un pion dans cette crise, un otage pris par un pays qui autrefois se rangeait - comme lors de la crise de 1980 entre Washington et Téhéran - du côté des libérateurs d’otages, mais n’hésite plus à faire la leçon au reste du monde, à commencer par la France.

C’est le 16 novembre 2024 que l’écrivain franco-algérien est arrêté à Alger où il retournait en pensant, comme il me l’avait dit la veille au soir, revenir dix jours plus tard en France où il voulait s’installer définitivement. Emprisonné et malade depuis cette date, l’écrivain est, en outre, poursuivi, critiqué, assassiné moralement par un régime dont il ne cessait de dénoncer le plus grand mal, la duplicité et la dangerosité. Embastillé, il l’est officiellement pour avoir porté atteinte à l’honneur de l’armée, aux institutions, aux frontières algériennes ainsi qu’à la sécurité nationale. En réalité, Boualem Sansal est un gage, un otage pris par Alger pour constituer un levier dans sa politique vis-à-vis de Paris. En réalité, Boualem Sansal est emprisonné pour penser, écrire et publier en français, langue désormais quasiment interdite en Algérie. En réalité, Boualem Sansal est emprisonné pour avoir dit et écrit un certain nombre de vérités que le pouvoir autiste d’Alger ne veut pas entendre et surtout que son peuple ne doit pas entendre.

C’est cela la réalité.

Boualem Sansal est donc condamné à cinq ans de prison. Le chef de l’État algérien, n’ayant pas usé d’une de ses prérogatives, a finalement décidé de ne pas le gracier. Ce faisant, le président Tebboune apparaît aux yeux de l’opinion mondiale et en particulier française, comme le chef d’un clan autoritaire, affairiste, dépourvu de tout sens de l’humain. C’est un échec pour MM. Macron et Barrot, qui, il faut le dire, ont été discrets dans ce triste dossier; un échec pour la diplomatie française et un échec pour les droits de l’Homme. C’est notre posture vis-à-vis d’Alger qu’il faut donc désormais revoir. Aura-t-on cette lucidité à défaut du courage?

Il restera de cette affaire trois choses.

D’abord une question: que devrait payer la France pour la libération de Boualem Sansal? Il est un otage. Dans toute prise d’otage, il y a généralement le paiement d’une rançon. Que devrait-on promettre à M. Tebboune? Que devrait-on supplier? Sans doute la promesse d’une visite d’État à l’automne du président algérien à Paris avec le faste et le protocole de nature à lui plaire. Sans doute la promesse de ne pas porter atteinte aux avantages de l’Algérie en France, notamment les accords de 1968, si décriés par tous les dirigeants politiques, les biens divers des VIP algériens, les consulats et la Grande Mosquée de Paris. La France devrait, pense Alger, se montrer généreuse.

Ensuite, il ne faudra pas sous-estimer les dégâts de cette longue crise. Il est illusoire de croire qu’une fois la crise passée (quand?), tout repartira comme avant. On aura beau célébrer une fois encore le «partenariat d’exception» et la «normalisation retrouvée», la crise sera bel et bien durable et Alger aurait tort de croire s’en sortir à bon compte. Poser un sparadrap sur la plaie ne suffit pas à la guérir. Jamais, depuis 1962, une tension entre l’ancienne métropole et son ancienne colonie n’aura autant impacté une relation diplomatique.

Enfin et peut-être surtout, cette crise aura, sans doute durablement, terni l’image de l’Algérie et des Algériens en France. Interrogez donc les Français sur leur perception des Algériens. Que vous répondront-ils? OQTF, barbouzeries, influenceurs, fraudes diverses. C’est cela aussi la réalité.

J’avais eu l’occasion, en 2012, d’aborder le sujet devant le président Bouteflika. Je lui avais posé directement et crûment la question: pourquoi les Français ont-ils une image négative de l’Algérie? Il avait habilement retourné la question: comment pouvez-vous nous aider à l’améliorer?

C’est bien cela la réalité.

L’affaire Boualem Sansal a donc été le révélateur de la profonde ambiguïté de la relation franco-algérienne, le révélateur bien sûr du vrai visage du régime algérien, le révélateur, une fois encore, de la naïveté, de la complaisance, de l’aveuglement de Paris vis-à-vis de ce régime.

Par Xavier Driencourt
Le 04/07/2025 à 19h40