La cérémonie, présidée par le roi Mohammed VI, a eu lieu lundi 15 mai 2023 au Palais royal de Rabat et ses images ont fait le tour des médias et des réseaux sociaux, au Maroc et dans le monde. Ce jour-là, il était question de la présentation au Souverain du tout premier modèle d’une marque marocaine d’automobile, détenue par des capitaux marocains: Neo Motors. Il s’agissait également du prototype d’un véhicule à hydrogène de la société NamX, nommé HUV (Hydrogen Utility Vehicle). Le premier, grand public, est déjà sur les rails, une unité de fabrication étant déjà en place à Aïd Aouda, près de Rabat, avec un taux d’intégration locale de 65%. Néo prévoit un lancement commercial dès cet été (pour un prix de vente allant de 170.000 à 190.000 dirhams) et une capacité de production annuelle prévisionnelle de 27.000 véhicules. L’investissement total est de 156 millions de dirhams pour plus de 580 emplois qui vont être créés.
Le second entend amorcer une véritable révolution dans l’industrie automobile, en alliant performance, design et respect de l’environnement. Le prototype NamX HUV a été conçu en collaboration avec le bureau de design et carrossier italien Pininfarina, alors que son design intérieur a été réalisé par des talents marocains. Tel qu’il est présenté, le véhicule sera animé par une motorisation électrique, alimenté par une pile à combustible usant d’hydrogène. Outre l’absence de tout rejet polluant, le HUV apporte une innovation majeure: en plus d’un classique réservoir central d’hydrogène, il pourra également se ravitailler via six capsules amovibles. Cette solution inédite permet de garantir une autonomie très élevée (annoncée à 800 kilomètres, un record), et surtout de faciliter la recharge d’hydrogène, grâce aux capsules échangeables au niveau d’un réseau de kiosques automatiques à déployer.
Loin d’être un début, ces deux projets marquent une étape supplémentaire dans le développement du secteur automobile au Maroc, et en disent long sur les grandes ambitions du Royaume en la matière. Des ambitions nées en 1959 (déjà) avec la création de la SOMACA (Société marocaine de constructions automobiles), restée modeste jusqu’au milieu des années 1990 avec un premier partenariat de taille avec l’italien FIAT et le début de fabrication de la Fiat Uno, dès juillet 1995, et des Fiat Palio et Siena à partir de 1998.
Le vrai bond sera enregistré dans les années 2000 quand, grâce à une forte volonté royale, le Maroc s’est engagé dans des projets structurants avec la mise en place d’écosystèmes dédiés et la cession, en 2003, de 26% des parts de la Somaca au français Renault (portées depuis à 54, à 80 puis à 100%) pour une production estimée actuellement à 85.000 véhicules par an. En 2005, le premier modèle produit au Maroc de la Dacia Logan voit le jour. Le premier véhicule exporté de ce modèle passera quant à lui la frontière en 2008.
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Un an auparavant, soit en 2007, une première grande convention est signée entre l’État marocain et le groupe Renault. Objectif, créer une nouvelle usine grandeur nature à Tanger. En prime, un investissement de 600 millions d’euros pour la production, tenez-vous bien, de 400.000 véhicules par an, dont 90% sont destinés à l’export. La production démarrera dès 2012. À l’arrivée, et en 2019, année de référence, 360.000 véhicules «made in Morocco» ont été exportés depuis cette plateforme, rapportant quelque 10 milliards de dollars à l’économie et créant 220.000 postes d’emploi direct et indirect. De quoi s’adjuger la première place dans le continent africain, loin devant l’Afrique du Sud (349.000 unités) et surtout l’Égypte, troisième avec 18.500 unités produites. Après un ralentissement dû à la pandémie du Covid-19 en 2020 et 2021, l’activité reprend et de plus belle. Au terme de l’année 2022, le secteur automobile se positionne en tant que deuxième meilleur secteur exportateur derrière les phosphates et dérivés. Cette année-là, les ventes ont atteint 111,28 milliards de dirhams, en hausse de 33% par rapport à 2021, selon l’Office des Changes.
La même année, l’ancien PSA (Peugeot-Citroën), fusionné au sein du géant Stellantis, a lancé son usine de Kénitra pour un investissement, là encore, de 600 millions d’euros. À la clef, la production annuelle de 200.000 exemplaires du modèle phare, la Peugeot 208, véhicule le plus vendu en Europe en 2022. Le succès est tel que Stellantis a annoncé le doublement de ses capacités de production pour atteindre 450.000 unités produites.
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Plus qu’une révolution industrielle en soi, la stratégie automobile marocaine a su attirer des géants mondiaux en termes de pièces de rechange et de fournisseurs. Les Japonais Yazaki et Sumitomo, l’allemand Leoni, l’espagnol Antonelli, l’américain Delphi, le français Valeo sont des exemples types sur ce registre. Entre entreprises marocaines et groupes mondiaux, ils sont aujourd’hui quelque 250 fournisseurs à faire partie de l’écosystème automobile. Résultat, d’autres constructeurs, de la taille de l’allemand Volkswagen ou du coréen Hyundai, lorgnent également sur le Maroc. Si aujourd’hui, 700.000 unités sont produites au Maroc, le seuil symbolique de 1 million de véhicules est de plus en plus proche, notamment grâce à aux prévisions de Stellantis. Le groupe Renault n’est pas en reste, puisque l’annonce a été faite il y a un mois de la prochaine entrée en production dans l’usine de Tanger d’un nouveau modèle, le Dacia Jogger, dont l’énorme succès sur les marchés européens boostera sensiblement les volumes du site marocain.
Le tout, avec un taux d’intégration actuel légèrement supérieur à 60%, amené à être rapidement porté à 80%. D’ici 2030, le Maroc veut passer à la vitesse supérieure dans le développement de son industrie automobile: atteindre 2 millions d’unités produites, avance le ministre le l’Industrie et du commerce, Ryad Mezzour.
Le défi du passage à l’électrique
Comment en est-on arrivé là? Pour le Maroc, il y a les arguments classiques de la proximité géographique vis-à-vis de l’Europe, son principal marché, et de la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée à des coûts compétitifs. Il y a aussi, et surtout, les réflexions stratégiques ayant conduit à de telles réalisations. Notons, entre autres, la logique du guichet unique pour les investisseurs qui leur épargnent les rouages bureaucratiques et le dispositif fiscal avantageux. Les grandes infrastructures dont dispose le pays, un des principaux fers de lance du règne du roi Mohammed VI, ont fait le reste. Comptez notamment la plateforme portuaire de Tanger-Med, la plus importante du genre en Afrique et dans le pourtour méditerranéen.
Reste à relever le défi majeur auquel l’industrie automobile est confrontée, celui du passage à l’hybride puis à l’électrique. La perspective 2035, année à laquelle l’Union européenne, principal marché du Maroc, sonnera la fin des moteurs thermiques dans les voitures neuves, c’est déjà demain. La production des quadricycles électriques Citroën AMI et Opel Rocks-e (à hauteur de 50.000 unités par an à l’horizon 2030), fait figure de mise en bouche, tout comme celle de leur alter ego chez le groupe Renault, le Mobilize Duo, bientôt assemblé à Tanger. Cependant, le premier vrai pas vers l’électrification sera franchi dans les prochains mois, avec le début de la production de modèles hybrides de Dacia, toujours dans l’unité tangéroise. Stellantis répliquera quelques mois plus tard, avec le démarrage, d’ici l’automne 2023, de la production de la version actualisée de la Peugeot 208, équipée elle aussi de motorisations hybrides. Autant dire que, loin d’être en panne sèche, le moteur de l’industrie automobile marocaine est en pleine accélération.