À l’issue de la réunion trimestrielle de son Conseil, tenue mardi 23 septembre à Rabat, le wali de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, a livré de nouvelles précisions sur l’épineux dossier de la directive européenne qui menace l’activité des banques marocaines en Europe et, par ricochet, les transferts des Marocains résidant à l’étranger (MRE).
S’il se veut rassurant quant aux avancées obtenues, le patron de la Banque centrale insiste sur la vigilance à maintenir afin d’écarter toute ambiguïté juridique.
Une directive européenne aux conséquences lourdes
Adoptée par le Parlement européen et publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 19 juin 2024, cette directive entrera en vigueur le 1er janvier 2026. Son objectif principal est de restreindre l’activité des banques étrangères opérant dans l’espace communautaire, dans le sillage du Brexit. Si la cible initiale est le système bancaire britannique, le texte s’applique à toutes les banques non européennes, y compris les établissements marocains.
Ces derniers disposent pourtant d’un maillage important en Europe: filiales, succursales et bureaux de représentation dans au moins sept pays (France, Espagne, Italie, Belgique, Pays-Bas, Allemagne et Royaume-Uni), offrant à la diaspora marocaine une proximité bancaire précieuse. Ils permettent l’ouverture de comptes, la gestion d’épargne, mais surtout l’envoi de fonds vers le Maroc.
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Ces transferts constituent une ressource stratégique pour le royaume: en 2024, ils se sont élevés à plus de 117,7 milliards de dirhams, représentant 7,7% du PIB et constituent un soutien vital à la balance des paiements. Selon les projections de BAM, après une quasi-stabilité attendue cette année, ils s’accroitraient de 4,8% en 2026 à 125,5 milliards.
Le risque: fragiliser un canal vital pour les MRE
En interdisant formellement certaines activités bancaires transfrontalières, la directive menace de couper l’accès des MRE à leurs banques de référence. Le danger est double: d’un côté, une perte de confiance et de proximité pour les Marocains établis en Europe; de l’autre, une menace macroéconomique pour le Maroc, qui pourrait voir ses flux de devises ralentir, voire diminuer si les MRE étaient contraints de passer par des circuits plus coûteux ou moins adaptés.
Dès septembre 2024, Abdellatif Jouahri avait alerté sur ce risque. Face à l’urgence, une task force permanente a été créée, réunissant Bank Al-Maghrib, le ministère des Finances, le ministère des Affaires étrangères ainsi que les banques marocaines concernées. Sa mission: négocier avec les institutions européennes et les autorités nationales des pays où la diaspora marocaine est fortement implantée.
Première percée en France
C’est dans ce cadre qu’une avancée significative a été annoncée en juin 2025. Après plusieurs rounds de discussions, un compromis a été trouvé avec le Trésor français, pays d’où proviennent plus de 30% des transferts des MRE. Jouahri s’était alors déclaré «plus rassuré», évoquant une «bonne compréhension» du problème par la partie française et un «assouplissement» de sa position.
Cet accord, finalisé en juillet, doit ensuite être soumis à la Commission européenne. Il ouvrait la voie à une méthodologie de négociation «pays par pays», avec pour objectif de capitaliser sur la percée française pour convaincre les autres partenaires européens: Espagne, Italie, Belgique et Pays-Bas, notamment.
Les zones d’ombre à lever
Si Jouahri a confirmé, ce 23 septembre, que les négociations progressent dans la bonne direction, il a néanmoins insisté sur la nécessité de clarifier certains points demeurés «vagues» du côté du Trésor français. «J’ai demandé à l’équipe de négociation de lever immédiatement toute ambiguïté. Il ne faut surtout pas laisser de termes susceptibles de prêter à confusion», a-t-il averti.
Autrement dit, le risque ne réside plus seulement dans l’orientation politique des discussions, mais dans la technicité juridique des textes, qui, s’ils restent flous, pourraient ouvrir la porte à des interprétations restrictives par les régulateurs européens.
Vers un règlement définitif d’ici 2026
Pour le Maroc, l’enjeu dépasse la simple question bancaire: il s’agit de préserver un lien vital entre la diaspora et son pays d’origine. Les transferts des MRE représentent non seulement un soutien aux familles, mais aussi un levier de développement économique.
«Nous sommes sur la bonne voie», a conclu Jouahri, tout en soulignant que la bataille n’est pas encore gagnée. Les mois à venir seront décisifs pour transformer l’accord français en un modèle de négociation avec le reste de l’Europe et éviter qu’une directive conçue pour gérer le Brexit ne vienne fragiliser injustement les relations séculaires entre le Maroc et ses ressortissants à l’étranger.








