Et si le Maroc mettait un coup d’accélérateur pour la production de carburants verts? Les opportunités offertes par ces combustibles, communément appelés e-carburants ou e-fuels, ont été remis au goût du jour après la récente signature d’un protocole d’accord entre le groupe français MGH Energy et le marocain Petrom, visant à produire, chaque année, 500.000 tonnes de carburants decarbonés dans la région de Dakhla-Oued-Ed-Dahab, pour un investissement de 51 milliards de dirhams. La mise en service de la première tranche de ce mégaprojet dénommé «Janassim» est prévue pour 2030 lorsque le port de Dakhla Atlantique sera opérationnel.
Les carburants décarbonés sont des dérivés de l’hydrogène vert. Les plus prisés étant l’ammoniac vert et l’e-méthanol, ce dernier pouvant être utilisé directement pour le transport maritime ou converti en essence, diesel ou autres carburants compatibles avec les moteurs actuels, sans nécessiter de modifications.
Plusieurs spécialistes consultés par Le360 confirment les nombreuses opportunités pour le Maroc dans ce domaine, grâce à son énorme potentiel de production d’hydrogène vert. D’après l’expert en transition énergétique Saïd Guemra, il faudra tout de même patienter entre cinq et dix ans avant de mettre le cap sur ces e-fuels. Et pour cause: tous les gigaprojets de production d’hydrogène vert annoncés dans le Royaume ne seront opérationnels qu’à partir de cette date, le temps nécessaire pour que les promoteurs stabilisent la production à travers la recherche et développement (R&D).
Un besoin de plus de 6 millions de tonnes de carburant vert en 2050 pour le transport
Amine Bennouna, expert en énergie, abonde dans le même sens. «Le Maroc a le potentiel pour produire des carburants décarbonés pour des secteurs clés, à partir des énergies renouvelables, notamment l’hydrogène vert, au cours des dix voire quinze prochaines années», affirme-t-il.
Une fois cette étape franchie, le Maroc pourra ainsi accélérer la production industrielle de carburants décarbonés pour des secteurs clés comme le transport routier, maritime, et aérien, afin de renforcer son indépendance énergétique. «Le Maroc aura besoin de plus de 6 millions de tonnes de carburant vert en 2050, uniquement pour décarboner le transport, c’est pour vous dire l’importance de ce marché», révèle Saïd Guemra.
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Et de poursuivre: «En 2023, nous avons importé 8,12 milliards de litres de gasoil et essence. La progression moyenne de ces importations étant de l’ordre de 3,75%, notre besoin prévisionnel en 2050 serait de 22 milliards de litres, d’où l’importance de la future production des carburants verts».
Au-delà de la production, le Royaume sera même en mesure d’exporter d’importants volumes vers l’Europe, sachant que ces combustibles, gazeux ou liquides, sont aussi des vecteurs de transport de l’hydrogène vert. «La construction d’un hydrogénoduc reliant le sud marocain à l’Europe est envisageable pour pouvoir exporter plusieurs millions de tonnes d’hydrogène par an. Les exportations de carburants décarbonés peuvent avoir lieu à partir du port de Dakhla, comme le projet MGH Energy et Petrom et bien d’autres projets similaires qui viendront par la suite», soutient le spécialiste.
Exporter des carburants verts vers l’Europe, depuis Dakhla
D’après notre interlocuteur, le futur port de Dakhla Atlantique pourra également ravitailler en e-carburants les centaines de navires qui transitent dans la région, principalement en ammoniac vert. «Dakhla sera certainement l’une des premières stations de ravitaillement en carburant vert au monde, un marché loin d’être négligeable», souligne-t-il.
L’expert international en transport et logistique, El Mostafa Fakhir, insiste aussi sur les avantages de cette transition énergétique pour le transport maritime. «Le Maroc est en train de se positionner sur la production d’hydrogène vert. Les dérivés de cette énergie verte, comme les e-fuels, seront utilisés pour décarboner le transport maritime. Il existe actuellement une forte demande de ces produits sur le pourtour de la Méditerranée, particulièrement en Europe», affirme-t-il.
Pour lui, cette future production d’hydrogène vert incitera les grands navires qui effectuent de longs trajets «à privilégier les ports marocains, notamment celui de Tanger Med, pour leur ravitaillement en carburants verts mais aussi pour le transport de ces combustibles vers d’autres destinations».
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Conscient de ces nombreuses opportunités, le ministère de l’Equipement et de l’Eau, à travers la Direction des ports et du domaine public maritime, a lancé, le 24 septembre dernier, l’étude de faisabilité préliminaire pour la production, le stockage, la fourniture et l’exportation de carburant décarboné dans les ports marocains, en partenariat avec la Banque mondiale. Les ports de Tanger Med, Jorf Lasfar, Mohammedia et Tan-Tan ont été retenus pour la phase pilote.
Quatre mois plutôt, le 24 mai, le Cluster Green H2, qui ambitionne de promouvoir la filière hydrogène au Maroc, avait organisé une conférence internationale sur les e-fuels à Salé, avec la participation de plus de 250 acteurs de l’hydrogène vert. Cet évènement a notamment été marqué par le ravitaillement d’un véhicule en carburant de synthèse à base d’hydrogène vert et de CO2 recyclé, réalisé par l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN), en partenariat avec HIF Global, un des leaders mondiaux des e-carburants.
Lancer de nouveaux projets d’énergies vertes qui produiront de l’hydrogène vert
Thorsten Herdan, président de HIF EMEA, filiale de HIF Global, avait révélé l’intention de son groupe de soumettre une proposition, dans la cadre de l’«Offre Maroc» pour hydrogène vert, afin de produire de l’e-méthanol pour le secteur de l’aviation, du transport maritime et routier.
Afin de disposer d’importantes quantités d’e-carburants et d’en saisir les nombreuses opportunités, le Maroc devra impérativement construire de nouveaux sites de production d’énergies vertes sur réseau qui fourniront de l’hydrogène vert dédié à cette production, dans le cadre de la loi 13-09, complétée par la loi 40-19, relative aux énergies renouvelables, selon Saïd Guemra.
«Pour l’instant, les grandes réalisations renouvelables au Maroc sont plus dirigées vers la decarbonation de l’électricité marocaine, et non vers la production de carburant vert. Le principe de l’additionalité ne permet pas une production du carburant vert avec une énergie dédiée à la decarbonation du réseau», explique le spécialiste. Toutefois, tient-il à préciser, ces projets devront avoir des puissances limitées puisque le réseau national «ne peut supporter de grandes puissances en gigawatts (GW) demandées par les grands projets».
L’expert en transition énergétique préconise en outre la révision de la réglementation afin de permettre aux entreprises utilisant des lignes moyenne tension d’accéder à l’électricité produite à partir des énergies renouvelables, pour encourager la décarbonation du secteur industriel et lui permettre de carburer à l’e-fuel.
«Si on arrive à mettre les carburants verts à la disposition de notre industrie, tous secteurs confondus, et qu’on peut assurer une électricité renouvelable sur le réseau, à travers une nouvelle règlementation des renouvelables, il deviendra possible de décarboner ces industries à plus de 80% voire 90%», soutient-il.