Il y a quelques jours, le bureau de l’Unesco pour le Maghreb et la représentation du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) ont sonné la mobilisation dans les rangs des médias maghrébins. Objectif, se serrer les coudes pour sensibiliser à l’importance des programmes pédagogiques liés à une éducation sexuelle complète. Il n’en a pas plus fallu pour que des voix s’élèvent contre cette manie de vouloir absolument mettre le sexe au centre de tous les débats, sachant que de l’avis de bon nombre de nos concitoyens, ceci ne nous concerne pas. Après tout, nous sommes des musulmans et en tant que bons musulmans, on ne parle pas de ces choses-là et surtout on ne passe pas à l’acte…Sujet clos. Fin du débat.
Dans un Maroc où l’on peine à concilier traditions, religion, tabous, interdits, désirs et frustrations, l’initiation à la sexualité n’est pas une mince affaire. En parler en famille? No way! En parler à l’école? Encore faudrait-il que les profs osent aborder le sujet car, dénoncent les deux institutions onusiennes, le corps enseignant semble aussi gêné que les parents quand le moment arrive de parler sexe et sexualité reproductive. Un comble!
Leur apprentissage sexuel, les Marocains l’acquièrent donc sur Internet. Ajoutez à cela que plus de 75% de Marocains sont équipés de smartphones… Vous voyez le tableau? Pas étonnant que le Maroc caracole dans le peloton de tête des pays arabo-musulmans qui consomment le plus de pornographie.
«Bon et alors? Un petit porno de temps en temps ça ne fait de mal à personne!», vont arguer certains, au nom de la préservation de la chasteté IRL (in real life). Oui, mais non! Découvrir son corps et le coït à travers le porno sans pour autant expérimenter la sexualité et l’amour, ce n’est pas la meilleure des manières pour faire ses premiers pas dans l’intimité et être en mesure de jauger la notion de respect de l’autre et de consentement.
La violence et la sexualisation des mots qu’entendent les femmes chaque jour dans nos rues témoignent de l’impact de la pornographie sur la formation sexuelle des hommes de ce pays. Et quand le passage à l’acte se fait, c’est pour mieux imiter ce qu’on a vu sur Internet ou à la télévision. Pas étonnant que la culture du viol ait encore de beaux jours devant elle, comme en témoigne le nombre de faits divers aussi sordides qu’affolants qui gangrènent notre actualité au quotidien.
L’impact de ce tabou qui entoure la sexualité est aujourd’hui palpable, visible et chiffrable. Ainsi, selon l’UNFPA, les Marocains prolongent de plus en plus leur célibat, l’étendant du côté des hommes jusqu’à 32 ans, et jusqu’à 27 ans pour les femmes. Et en attendant le mariage, on croise les jambes et on serre les cuisses? Ne soyons donc pas si naïfs ou plutôt de mauvaise foi…au nom de la foi.
D’après les statistiques évoquées, ces jeunes gens qui ne sont pas pressés de se marier batifolent gaiement de plus en plus tôt, dès l’âge de 16 ans pour les garçons et 17 ans chez les filles, quand ce n’est pas beaucoup plus tôt encore.
Alors oui effectivement, le mariage pour accéder au Graal de la première partie de jambes en l’air n’a plus vraiment de sens. Une chose est sûre, en voulant absolument maintenir le sujet de la sexualité sous une chape de plomb pour ne pas éveiller le désir et l’intérêt des jeunes et ainsi préserver nos valeurs musulmanes, c’est tout l’inverse qui se produit. Car modernité oblige, la 4G ne se plie pas aux règles religieuses. Alors que faire? Continuer à rougir, interdire, se taire ou prendre enfin le taureau par les cornes pour donner aux jeunes l’éducation sexuelle qu’ils méritent d’avoir?
Preuve qu’il est grand temps de lever l’omerta sur le sexe, 37% des jeunes entre 15 et 24 ans ayant eu des rapports sexuels, déclarent n’avoir jamais utilisé de préservatifs et 44% d’entre eux ne l’utilisent que parfois.
Côté jeunes filles, elles sont 8% âgées de 15 à 24 ans ayant eu une expérience sexuelle qui s’est soldée par une grossesse non désirée. 70% d’entre elles, ont déjà subi un avortement…
Ces jeunes et ces adultes qui ne résistent pas à leurs pulsions (naturelles) ne sont pas à blâmer. Ce ne sont pas des brebis égarées du troupeau qui se sont mal comportées, n’en déplaisent aux gardiens de la vertu des autres, qui feraient mieux de s’occuper de la leur et de s’y limiter. Car au-delà de la sensibilisation à l’éducation sexuelle, il est plus que jamais important de statuer enfin sur les libertés individuelles, dont celle de disposer de son corps. Sans quoi, c’est le serpent qui se mord la queue.
Et sans quoi, on aura droit dans les tous espaces publics à une séparation des citoyens par genre, à l’image de cette mouqataâ de Temara, où la distanciation sociale en temps de pandémie se mue en distanciation des genres pour mieux préserver les fesses de ces dames des mains baladeuses et des frotteurs intempestifs.