Comme le qualifiait le philosophe Gabriel Marcel, «le handicap est un malheur innocent». C’est ainsi. La nature peut se tromper. Une aberration chromosomique est possible. Malgré le progrès de la médecine, cela arrive. Un cas sur dix mille ou plus.
Le problème, c’est comment accueillir un enfant né avec une différence, avec un handicap? Comment l’accepter et surtout lui garantir une vie presque normale? Je sais, ce n’est pas facile. C’est même dur et parfois désespérant. Mais une fois passée l’annonce, il faut revenir à la réalité et l’affronter pour le meilleur.
C’est ce que ma famille et moi avions fait en 1991, à la naissance de notre fils, avec une trisomie 21. Aujourd’hui, il est autonome, indépendant, champion de natation, passionné de foot. Il travaille et gagne sa vie. C’est un être exceptionnel. Une lumière qui éclaire toute la famille et bien plus. Mais pour cela, nous n’avions ménagé aucun effort. Ce fut une bataille de tous les instants. Bataille contre les administrations qui vous conseillent de le mettre dans une structure où tous les handicapés sont mélangés, bataille contre les préjugés des uns et des autres. Et puis, nous avons appris à rire avec lui et à lui faire une immense confiance, ce qui l’a structuré et lui a donné la force de vivre.
Il est des pays qui ont fait de cette difficulté une priorité sur tous les plans, sanitaire, éducatif, réparateur, etc. D’autres bricolent, mettant en avant l’immense énergie que le handicap exige.
Il y a, en France, 10% de personnes en situation de handicap (physique ou mentale). Il existe une foule de lois votées, mais rarement appliquées. Une grande ville comme Paris n’a pas prévu de système pour que des personnes handicapées puissent prendre le métro, par exemple, ni accéder aux salles de l’opéra ou autres lieux culturels. À l’époque, seule une classe de l’école publique acceptait de recevoir notre fils. Peut-être qu’aujourd’hui, les choses ont changé. Ceux qui sont en pointe dans ce domaine ce sont les pays nordiques.
Qu’en est-il au Maroc?
Je sais qu’il existe des associations de parents d’enfants nés avec des handicaps. Mais les infrastructures ne sont pas suffisantes. On a pris l’habitude de considérer l’enfant trisomique, par exemple, comme un don du ciel et qu’il faut le laisser à son aise.
Erreur. Un tel enfant, s’il n’est pas stimulé dès les premières années, s’il n’est pas pris en main par les parents et les spécialistes, ne fera que régresser. C’est un enfant innocent. Il n’a pas le sens du mal ni celui de l’argent. Mais chacun a un handicap particulier. Impossible de généraliser.
«La polémique autour de la série “Rahma” confond probablement le réel et la fiction. Mais c’est l’occasion d’attirer l’attention sur ce “malheur innocent” qui frappe certaines familles, lesquelles se retrouvent dans une grande solitude.»
Tous ceux (ils sont plus de dix millions) qui ont vu le film «Un p’tit truc en plus» (réalisé par Artus, 2024), savent que la vie n’est pas facile, mais que tout est possible à partir du moment où l’on choisit de se battre, de rire et d’aller de l’avant.
La polémique autour de la série «Rahma» confond probablement le réel et la fiction. Comme a tenu à le préciser Abdellah Didane, «il s’agit d’un personnage de série». En principe, on peut tout montrer et même rire avec la personne handicapée. N’ayant pas vu cette série, je ne porte pas de jugement sur cette affaire. Mais c’est l’occasion d’attirer l’attention des autorités, de tout le monde, sur ce «malheur innocent» qui frappe certaines familles, lesquelles se retrouvent dans une grande solitude.
Il m’est arrivé, en constatant une gêne, voire un rejet de mon enfant par quelqu’un de «normal», de lui dire: «Tu sais, la trisomie 21, ce n’est pas contagieux. Et sache que des milliers de familles connaissent et vivent avec ce problème».
J’ajoute ceci: Stephen Hawking, astronome et astrophysicien (1942-2018), avait dit que «le handicap ne doit pas être un handicap». Il a vécu longtemps et a résisté avec un rare courage à son grave problème de motricité, tout en étant un savant inventeur, vivant, optimiste et formidable. Un exemple exceptionnel.
Toutes les personnes handicapées n’ont pas eu la chance d’une telle intelligence hors du commun. Mais ce n’est pas une raison pour poser sur eux un regard mauvais, comme s’ils étaient responsables moralement de ce que la nature a fait d’eux.
Reste le travail de la pédagogie. Je me souviens, à l’école primaire à Fès, d’un camarade né avec un trouble de la motricité. Enfants, nous en avions ri. Un jour, nous avions tous été punis. L’instituteur nous a fait une bonne leçon de morale où il fallait apprendre à accepter l’être différent. Il nous avait dit: «Et si c’était toi ou ton petit frère, tu rirais?».
Cette leçon a été pour moi le début du rejet de tout racisme. Le civisme, le respect sont des valeurs qui s’apprennent dès l’enfance. Que ce soit à l’école publique ou privée, cette pédagogie doit être la base de toute éducation.