Rallye Aïcha: le secret des Bennani, reines des Gazelles

Jawhara Bennani (à gauche) et sa maman Dounia Bennani (à droite), duo mère-fille participant ensemble à la 34ème édition du Rallye Aïcha des gazelles. (K.Sabbar/Le360)

Le 25/04/2025 à 16h30

VidéoElles incarnent l’histoire vivante du Rallye Aïcha des gazelles: Dounia Bennani, 18 participations depuis 2004, un record féminin marocain, et Jawhara, sa fille, héritière de cette passion devenue championne à ses côtés. Cette double singularité fait de leur binôme un sujet incontournable: la navigatrice marocaine la plus expérimentée du circuit a formé sa descendante directe aux arcanes du désert. Entre dunes dangereuses et éclats de rire, plongée dans leur aventure hors norme.

Entre elles se joue presque toute l’histoire du Rallye Aïcha des gazelles: les 18 ans d’expérience de la mère dialoguent avec l’énergie nouvelle de la fille, dans un fascinant passage de témoin. Connues sous le nom de l’équipage 167, Dounia Bennani, créatrice de mode et doyenne du Rallye depuis 2004, et sa fille Jawhara, opticienne et pilote de rallye-raid, cumulent les victoires et les émotions sur les pistes marocaines. À l’issue de la deuxième étape de la 34ème édition, elles nous ont confié leur histoire, leur complicité et les défis qui font d’elles une équipe hors norme. Portrait d’une mère et d’une fille unies par la passion du désert et de l’aventure.

Depuis qu’elle a 10 ans, Jawhara Bennani voit sa mère, Dounia, participer chaque année au Rallye Aïcha des gazelles. «C’est elle qui m’a inspirée à être là aujourd’hui», confie-t-elle, les yeux brillants. Promesse tenue: dès l’obtention de son permis, Dounia l’embarque dans l’aventure. Après deux participations avec d’autres coéquipières, Jawhara réalise enfin son rêve: courir aux côtés de celle qui lui a «tout appris», selon ses mots. Résultat? Dès leur première course ensemble, en 2023, elles montent sur la plus haute marche du podium.

Avant de devenir une navigatrice hors pair, Dounia a elle-même dû apprendre dans le feu de l’action. Son histoire avec le Rallye Aïcha des gazelles commence en 2004, mais prend racine un an plus tôt: «En 2003, avec une copine, on a fait un mini rallye de trois jours. À l’arrivée, premier équipage féminin!» s’enthousiasme-t-elle. Le Rallye des gazelles lui paraissait alors inaccessible, mais cette victoire lui a fait dire: pourquoi pas? L’année suivante, elle est sur la ligne de départ. «Physiquement prête, oui. Mais pas en navigation... À l’époque, il n’y avait pas de stages au Maroc comme aujourd’hui. En entamant le rallye, ce fut le désarroi total», se souvient-elle. Cette première expérience difficile aurait pu la décourager. Mais, c’est tout l’inverse: «Je me suis promise de revenir pour prendre ma revanche.» 18 ans plus tard, la revanche est plus que prise – c’est devenu une passion qui ne l’a plus quittée et qu’elle transmet désormais à sa fille.

Pour Dounia, emmener sa fille au rallye fut bien plus qu’un défi sportif. À son retour des États-Unis, où elle venait de terminer ses études supérieures, Jawhara, un peu perdue, cherchait sa voie. Installée à Meknès, sa ville natale, elle hésitait entre lancer son magasin d’opticienne ou entamer d’autres projets. «Elle avait perdu ses repères, ses amis étaient encore à l’étranger. J’ai dit à son père: il faut qu’elle vive cette expérience, ça va la changer», raconte Dounia. Un stage de conduite dans le désert plus tard, la révélation est immédiate. «Le moniteur lui a dit qu’elle était faite pour ça», se souvient-elle.

Deux mois après, une place se libère dans les rangs du Rallye Aïcha des gazelles… et l’aventure commence. Jawhara se souvient encore de son baptême en 2015: «Je n’ai su que je partais que quelques semaines avant le départ. Aucune préparation spécifique, juste l’envie de réussir», confie-t-elle avec ce sourire qui ne la quitte jamais. Associée à une coéquipière sympathique mais tout aussi novice, elle découvre à la dure les réalités du rallye: «Le premier jour, catastrophe, j’ai manqué trois balises.» Mais Jawhara ne se décourage pas. Dès le deuxième jour, elle prend le rythme. Pour elle, terminer 25ème lors d’une première participation reste une victoire, preuve qu’au-delà de la technique, c’est la passion qui fait la différence. Une philosophie qu’elle n’a jamais abandonnée depuis.

Sur le terrain, leurs rôles sont bien définis: Jawhara pilote, Dounia navigue. «Avec 18 ans d’expérience, je ne pourrais pas trouver meilleure navigatrice», assure Jawhara. Leur secret? Une confiance absolue et une gestion imperturbable des crises. «On reste calmes, on ne s’accuse jamais, on cherche des solutions», explique Dounia.

Preuve en est, le matin même, lors de la deuxième étape: dans les dunes de Merzouga, leur 4x4 s’est retrouvé en position de dévers, penché dangereusement sur une pente sableuse. Un faux mouvement et la voiture aurait pu basculer. «J’ai vraiment eu peur», avoue Jawhara, descendue un instant pour évaluer la situation. Mais grâce à leur sang-froid et au pelletage stratégique de Dounia, elles ont réussi à stabiliser le véhicule et à repartir – sans même appeler l’assistance. «C’est ça, le Rallye des gazelles… se sortir des pires situations par soi-même», sourit Jawhara. Une leçon qu’elles appliquent aussi dans la vie quotidienne.

En six étapes...

Leur performance dans cette édition du rallye illustre parfaitement leur maîtrise du désert et leur résilience. Dès la première étape, elles se classent 23ème sur 152 équipages dans la même catégorie, avec seulement 4 kilomètres de pénalité, un départ prudent mais prometteur. Leur véritable coup d’éclat vient le lendemain: un bond de 17 places les propulse en 6ème position, malgré 7 kilomètres supplémentaires parcourus.

La troisième étape confirme leur régularité (7ème, +9 km), avant une démonstration de précision lors de la quatrième étape où elles frôlent le podium (4ème, à seulement 4 kilomètres de la tête). Si la cinquième étape les voit reculer légèrement, où elles sont 8ème, leur capacité à limiter les pénalités sur l’ensemble du parcours témoigne d’une navigation exceptionnelle. Alors que le classement final de la sixième étape reste en suspens, une chose est sûre: leur progression en dents de scie révèle l’âme même du rallye, où chaque jour réécrit le classement et où seules comptent la ténacité et l’intelligence de course.

Au-delà des trophées, le rallye a renforcé leur lien. «On ne s’appelle plus maman et fille, mais ma gazelle», s’amuse Jawhara. Une passion qui les suit au quotidien: «Ça nous apprend que rien n’est impossible. Si on surmonte des galères ici, on peut tout affronter après», souligne-t-elle. Pour Dounia, c’est une source de force: «Depuis que je fais ce rallye, j’ose entreprendre des choses que je n’aurais jamais crues possibles.»

L’appel du désert… et de la famille

Malgré les défis physiques – comme l’ascension du Toubkal, que Dounia qualifie de pire épreuve de sa vie –, elles reviennent toujours. Même après avoir évoqué, un temps, une séparation l’année prochaine (Dounia avec sa cadette, Jawhara en solo), elles savent déjà qu’elles ne pourront pas se quitter. «Une fois rentrées à Meknès, on s’appelle… et on repart ensemble», rit Dounia.

Leurs philosophies de vie, comme leur complémentarité sur la piste, se répondent avec harmonie. «Ma philosophie? Vivre le moment présent, prendre soin de mes proches et de moi, un point c’est tout», résume Dounia avec simplicité. Jawhara, dans le même élan, ajoute: «On n’a qu’une vie, il faut la vivre pleinement.»

Leur complicité transparaît aussi dans l’admiration mutuelle qu’elles se portent. «Ce que j’admire le plus chez maman pendant la compétition, c’est sa sagesse et sa bienveillance envers tous, que ce soit les autres concurrentes ou l’équipe d’organisation», confie Jawhara, émue. Dounia, son regard maternel plein de fierté, lui rend la pareille et loue la détermination sans faille de sa fille: «Quand elle veut quelque chose, elle l’obtient. Et puis cette douceur, ce sourire qui ne la quitte jamais...»

Leur mot de la fin? Un encouragement vibrant. «À toutes les mères et filles: foncez! Ce rallye va vous changer la vie», lance Dounia. Jawhara abonde: «C’est une expérience unique, qu’on soit marocaine ou étrangère.»

Dounia et Jawhara Bennani incarnent bien plus qu’un duo gagnant. Elles sont la preuve que l’aventure, la famille et la détermination peuvent tracer des chemins extraordinaires… même dans les dunes les plus hostiles.

Par Camilia Serraj, Khadija Sabbar et Youssef El Harrak
Le 25/04/2025 à 16h30